Tourné en 1989 par Robert Sigl dont il s’agit de l’unique long métrage à ce jour réalisé pour le cinéma, Laurin affiche d’emblée une ambition et une singularité touchantes au vu de son budget étriqué. Le film semble échapper à une temporalité, réfugié dans un univers cinématographique d’un autre âge convoquant aussi bien l’expressionnisme du muet, la peinture romantique du XIXème siècle, le cinéma gothique italien que certaines œuvres de Werner Herzog. Il trouve néanmoins sa raison d’être dans ce refuge, son désir naïf d’échapper totalement à son époque. Le grand mérite de Robert Sigl réside dans cette appropriation d’un monde-rêve construit autour d’une histoire étrange multipliant – parfois à tort – les directions et les propositions. Que signifie le titre? Laurin c’est le nom de l’héroïne une petite fille de 10 ans qui vit dans un village portuaire en Allemagne au début du XXème. Son père est un marin pêcheur souvent absent, multipliant les grands voyages. Un jour, Flora, sa mère est retrouvée morte la tête la première dans l’eau. Simple accident ou meurtre? La veille, Laurin a entendu un enfant appelé au secours poursuivi par une ombre menaçante. Suite au décès de sa mère, elle est perturbée dans son sommeil et entend régulièrement des gémissements nocturnes. Désormais seule avec sa grand-mère paralysée, elle perçoit progressivement la cruauté d’un environnement inquiétant, fait de faux semblants et de duplicité. Elle se lie d’amitié avec un camarade de classe, Stefan, qui disparaît à son tour. Un tueur d’enfants rôde dans les alentours, et la curiosité naturelle de Laurin l’amène tel le petit chaperon rouge, à se rapprocher de la gueule du loup…
D’un récit touffu et hétéroclite, se dévoilant par bribe, Robert Sigl a la bonne idée de le recentrer vers l’essentiel au fur et à mesure que l’intrigue se déploie, soit le portrait touchant d’une petite fille qui observe le monde des adultes de biais, avec ce regard juvénile, tendre et cruel à la fois, évoquant à plusieurs surprises le chef d’œuvre de Victor Erice L’esprit de la ruche ainsi que Cria Cuervos de Carlo Saura. La présence de ce personnage central -remarquablement interprété par Dóra Szinetár – adoucit et humanise un mise en scène parfois figée, trop appliquée pour être totalement incarnée. Il ne parvient que partiellement à l’atemporalité comme en témoignent ses arrangements musicaux n’évitant pas les nappes de synthétiseurs ou certains jeux de lumières marqués par les codes visuels des années 80. Le talent de Sigl n’est pas à remettre en cause. Des les premières images qui baignent dans des éclairages très picturaux, plongeant le spectateur dans une atmosphère onirique et inquiétante propre aux contes de fée, Robert Sigl impose une esthétique forte, anachronique mais souvent hypnotique mettant en valeur les splendides décors naturels filmés en Hongrie.
Le soin apporté aux cadrages, savamment composés et la qualité des costumes et de la reconstitution, étonne pour une production dotée d’un budget aussi dérisoire. Mais, passé cet étonnement, le film peine parfois à convaincre, hésitant entre le giallo bavarois, les éclats poétiques et morbide d’un Edgar Allan Poe, le conte gothique, le drame de l’enfance sur le deuil et la fin de l’innocence. Mais à chaque fois qu’il recentre le récit sur la fascinante Laurin, très beau personnage mutique exprimant une palette d’émotions par un simple regard, le film parvient à captiver et finit par emporter le morceau. D’autant que la beauté plastique de ce drame fantastique et horrifique se justifie pleinement par la présence de l’héroïne, qui observe le monde avec ses grands yeux émerveillés dans un premier temps avant de découvrir l’envers du décor, le mal enfoui derrière des apparences bien respectables.
La quête de Laurin est bien de percer le mystère qui entoure la mort tragique de sa mère mais aussi du personnage ambigu et inquiétant de l’instituteur, clé de voûte d’une intrigue complexe mais souvent prenante. Si ce premier essai manque de chair et de folie, parfois écrasé par ses références et inspirations hétéroclites, il n’en constitue pas moins une œuvre singulière, un Ovni dans le paysage du cinéma allemand, auquel on ne peut regretter qu’une chose; que Robert Sigl n’ait pas confirmé, poursuivant une carrière essentiellement dirigée vers le petit écran.
Même si le film était déjà disponible en Blu-Ray import en Allemagne avec des sous-titres français, l’édition concoctée par Le Chat qui fume mérite à elle seule l’achat de ce combo DVD/ Blu-Ray (un des derniers de l’éditeur). Outre une copie parfaite restituant à merveille les couleurs contrastées du film, cette édition propose un making of d’époque, des scènes coupées entièrement muettes, des interviews des comédiens Dóra Szinetár et Barnabás Tóth, du chef opérateur Nyika Jancsó (15′) et enfin du réalisateur Robert Sigl.
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