New World Pictures, un nom qui résume à lui seul toute une époque du cinéma d’exploitation. Créée par l’inévitable Roger Corman en 1970, la compagnie spécialisée dans la série B la plus décomplexée a permis à nombre de cinéastes de faire leurs premiers pas en son sein (Joe Dante avec Hollywood Boulevard, Piranhas, Ron Howard et Lâchez les bolides !). Plutôt axée sur des longs-métrages de genre contestataires purement 70’s au départ (Cockfighter de Monte Hellman, La Course à la mort de l’an 2000 signé Paul Bartel ou l’excellent Meurtres sous contrôle de Larry Cohen), les productions se diversifient au fil des années et deviennent de purs produits de vidéoclub. La Galaxie de la terreur, C.H.U.D., mais aussi Flic ou Zombie ou encore le Punisher version Dolph Lundgren, sont les nouveaux fers-de-lance d’un cinéma bis, certes racoleur, mais souvent généreux et fun. La firme importera même les œuvres d’Hayao Miyazaki sur le sol yankee, à travers une version honteusement tronquée et ridiculement américanisée de Nausicaä de la Vallée du Vent. Sorti en salles en 1984, Angel est un succès surprise, totalisant plus de dix-sept millions de dollars de recettes pour un budget de seulement trois millions. Réalisé par Robert Vincent O’Neill (scénariste de Vice Squad) d’après un script qu’il a coécrit avec Joseph Michael Cala, le film suit donc la jeune Molly (Donna Wilkes), lycéenne de bonne famille âgée de quinze ans, qui, une fois la nuit tombée, gagne sa vie en se prostituant sous le pseudonyme d’Angel. Lorsqu’un tueur en série s’en prend à ses proches, elle décide d’arpenter la ville pour mener son enquête. Carlotta, décidément très hétéroclite dans ses choix éditoriaux, sort donc la trilogie en DVD ou coffret Blu-Ray aux airs d’antique VHS, réunissant les trois opus dans sa Midnight Collection. L’occasion de s’intéresser à cette saga typiquement 80’s.
Angel, Robert Vincent O’Neill (1984)
Il se dégage d’Angel premier du nom, une dichotomie assez intéressante. Molly, la lycéenne, est un prototype parfait de l’adolescente californienne, studieuse et prude, potentielle final girl d’un slasher quelconque. Un pur produit de l’Amérique WASP, une petite fille sage aux airs de poupée en jupe plissée et chaussettes hautes, assise timidement à l’arrière de son bus scolaire. La photo signée Andrew Davis (futur réalisateur du Fugitif), appuie cette dimension de carte postale du Los Angeles des années 80, et lorsque l’héroïne traverse Hollywood Boulevard c’est d’abord en rêvant (en apparence) aux innombrables stars qui y ont laissé leurs empreintes. Pourtant, en un plan sur un corset rouge affriolant et du maquillage flashy, O’Neill présente une toute autre facette. Une fois le soleil couché, l’héroïne, tout comme la ville, change de visage. Sur fond de musique pop (dont un tube kitsch asséné pas moins de trois fois durant le film), les rues se transforment en véritable Cour des Miracles. Des flics, des prostitués, des artistes de rue, des drogués, même une délégation de dévots de Krishna, toute une faune noctambule digne de GTA d’autant plus réaliste que, comme le signalent le réalisateur et son scénariste dans leurs interviews respectives présentes en bonus, tout a été tourné dans des décors naturels, sans réelle autorisation, et durant seulement quatre semaines. Un souci de véracité qui est à mettre au crédit du projet, et qui présente une ville dépeinte comme un pendant caniculaire du New York sordide de Maniac. Au cœur de cet environnement, Angel semble épanouie, loin des quarterbacks et autres garçons du lycée qui la harcèlent à longueur de journée (notons une vraie scène jouissive lorsque cette dernière se venge des mâles en rut). La lolita retrouve sur le trottoir la famille qu’elle n’a plus dans le « monde réel » : un groupe hétéroclite composé de Mae, un travesti haut en couleur (Dick Shawn), Solly, une lesbienne artiste à ses heures perdues (Susan Tyrell, issu de la scène underground et vue dans Forbidden Zone, Cry Baby ou La Chair et le sang) et Kit, un vieux cowboy que le système tente d’enfermer dans une maison de retraite, interprété par le vétéran Rory Calhoun. Le cinéaste évoque même un parallèle avec Le Magicien d’Oz, le boulevard pavé d’étoiles devenant une version urbaine de la route de briques jaunes. Si certains éléments semblent superflus, telle cette romance niaise entre Yoyo (Steven M. Porter) et Crystal (Donna McDaniel), cette opposition entre l’univers soi-disant respectable de la Californie des nantis, et les trottoirs mal famés, se révèle le versant le plus réussi du film. La protagoniste, (trop) sérieuse et triste au quotidien (même le nerd secrètement amoureux, figure classique et positive du teen movie, devient ici un misogyne obsédé), trouve un havre de paix dans ce monde de débauche, rejeté par la société, et se permet même de se comporter de manière puérile, comme l’enfant qu’elle est encore. En découle une sympathique vision libertaire et transgressive, certes, mais qui malheureusement se heurte à de nombreuses limites.
Tout d’abord, la mise en scène de Robert Vincent O’Neill ne rend que très peu justice à un environnement qui se veut décadent et fascinant. Seul le tueur, interprété par John Diehl, semble l’intéresser. Sportif, bel homme, obsédé par son apparence, cloîtré dans son appartement éclairé par des néons fluo, il est un pur produit des années 80, un Patrick Bateman de la rue mâtiné de Norman Bates. Il écope d’ailleurs de la seule séquence malsaine, lorsqu’il gobe un œuf, les yeux rivés sur une photo de sa mère. Pourtant, le cinéaste n’en fait rien d’autre qu’un simple meurtrier frustré, à la sexualité trouble, venu punir les prostituées pour leurs péchés. Là se situe le vrai problème d’Angel, le scénario tente de dire une chose que l’image contredit constamment, et le monde dépeint, refuge bienveillant de l’héroïne, est sans arrêt condamné par des personnages présentés comme positifs. Le lieutenant Andrews (Cliff Gorman), policier intègre et professionnel, prend ainsi Molly sous son aile tout en lui reprochant ses choix et déclarant qu’elle mériterait un « coup de pied au cul ». Finalement assez puritain malgré une nudité gratuite typique de ce genre de productions, le film n’assume jamais vraiment son message, ne montrant à aucun moment la protagoniste au « travail », devenant une simple touriste au milieu de cet univers (elle est par ailleurs inspirée d’une jeune prostituée croisée par le cinéaste). Globalement assez peu convaincant (Donna Wilkes, surtout connue pour des rôles à la télévision et une apparition dans Les Dents de la mer 2, en tête), le casting n’arrange pas les choses, tout comme ces facilités scénaristiques relevant presque de la prédestination pure et simple (au hasard, les éperons portés par l’assassin, le revolver de Solly…). Platement réalisé, le long-métrage souffre également de scènes d’action molles et peu spectaculaires, résultat probable de l’absence de Roger Corman à la production, ce dernier ayant revendu sa société l’année précédente. Le producteur, passé maître dans l’art de la production value et de l’efficacité roublarde et racoleuse, aurait peut-être apporté un supplément d’âme jouissif. Il se dégage au final des relents de moralisme, synthétisés dans le personnage de Kit, représentant des valeurs traditionnelles et défenseur du deuxième amendement (Rory Calhoun a fait carrière dans des westerns de série B durant les années 50 et 60) ou dans ce plan de Molly priant à l’église afin de légitimer sa croisade. De petite production bis à l’argument de revenge movie, le récit se mue en fable réac que ses suites ne vont pas contredire.
Angel 2, la vengeance (Avenging Angel), Robert Vincent O’Neill (1985)
Le succès surprise du premier opus pousse logiquement New World Pictures à mettre un deuxième chapitre en chantier dès l’année suivante. Vincent Robert O’Neill évoque d’ailleurs une clause de contrat qu’il ignorait totalement, stipulant qu’il devait réaliser le film si celui-ci voyait le jour. Contraint et forcé de rempiler, au même titre que Joseph Michael Cala, ils écrivent donc une nouvelle aventure à Molly (cette fois interprétée par Betsy Russell, vue dans Private School aux côtés de Phoebe Cates, Donna Wilkes ayant exigé un trop gros cachet), qui reprend du service pour enquêter sur le meurtre du Lieutenant Andrews (Robert F. Lyons remplace Cliff Gorman).
Sportive, en couple avec un étudiant bien sous tous rapports, l’héroïne a abandonné le trottoir et souhaite devenir avocate, réalisant le souhait de son tuteur. Elle est rentrée dans le rang, ne se méfie plus de la police et élimine de fait le peu d’ambiguïté du premier volet, devenant même la moralisatrice au cours de l’intrigue. Si le réalisateur ne s’est toujours pas découvert de talent pour filmer l’action et que Russell n’est ni crédible, ni vraiment à son aise avec une arme à la main (elle admet elle-même qu’elle ne comprenait pas ce qu’on lui demandait), le film s’avère plus fun que son prédécesseur. Dès l’introduction, et ses plans racoleurs sur une policière infiltrée prenant sa douche, suivie d’une fusillade assez sanglante au ralenti, le cinéaste démontre qu’il fait le choix de l’efficacité tape-à-l’œil et d’un goût douteux, plutôt que de l’étude de personnage d’Angel premier du nom. Il réussit même quelques séquences comme celle où une arme déchargée crée une montée de tension prenante ou encore lorsque Molly apprend la mort d’Andrews, cadrée en longue focale elle se retrouve isolée du monde qui l’entoure, sentiment renforcé par les bruits alentour comme étouffés et rendus inaudibles. De même, le repaire du grand méchant lors du final offre une architecture et une topographie assez originales, donnant un aspect presque baroque à l’ensemble. Très décomplexé, offrant quelques scènes de violence gratuite et inconséquente, le long-métrage reflète sans doute le je-m’en-foutisme d’O’Neill qui ne cherche plus à creuser la psychologie de sa protagoniste. Hollywood Boulevard est alors en plein bouleversement, le Disneyland pour adultes est en train de muter, les boutiques ferment, la gentrification est en cours, mais les mineures continuent à se prostituer. Une idée intéressante qui pourrait apporter un fond thématique mais qui se retrouve réduite à l’état d’anecdote et de prétexte pour lancer une banale intrigue à base de promoteurs immobiliers véreux. Pire encore, comme si ces plans sur des boutiques aux rideaux baissés ne suffisaient pas, l’héroïne explicite par un dialogue pompeux les bouleversements d’alors. Non content d’enfiler les péripéties poussives, les cascades pépères et des combats mous, le film fait montre d’un humour en total décalage avec son sujet. Appuyé par des transitions en volets kitsch à souhait, le groupe constitué dans le premier épisode, se change en véritable Agence tous risques (déguisements compris) lors d’une scène d’évasion de l’asile franchement gênante. Au final, entre des trucages visibles, des morts qui clignent des yeux, des méchants caricaturaux au possible et des nouveaux personnages grotesques (le bien nommé Johnny Glitter), Angel 2, la vengeance se pose en véritable nanar, non dénué de charme pour tout amateur du genre, mais qui tutoie le ridicule à de nombreuses reprises. Difficile alors d’éprouver une quelconque envie de voir un troisième opus à l’histoire d’Angel, et pourtant…
Angel 3, le chapitre final (Angel III : The Final Chapter), Tom DeSimone (1988)
Auréolé du carton successif des deux premiers films, les producteurs font fi du départ d’O’Neill et Cala (qui intenteront d’ailleurs un procès afin d’interdire la sortie de cette suite) et mettent donc en chantier Angel 3, le chapitre final. Cette fois-ci écrit et réalisé par Tom DeSimone (jusque-là spécialisé dans les thrillers sexy et les pornos gay), le scénario retrouve Molly (incarnée cette fois-ci par Mitzy Kapture, future star de la série nanardo-érotique Les Dessous de Palm Beach), apprentie journaliste qui, lors d’une interpellation musclée, prend en photo une femme qui s’avère être sa mère, disparue des années plus tôt…
Difficile de faire pire que le deuxième volet de la saga ? DeSimone semble pourtant se donner les moyens de relever le défi en proposant une sorte de long épisode de série télé, larmoyant et sans aucun intérêt, quelque part entre Rick Hunter et Les Feux de l’amour. Étonnamment versée dans le journalisme (elle écrit un livre sur les gamins des rues), l’héroïne s’est trouvé un nouveau chaperon dans la police qui lui permet de s’infiltrer à chacune de ses descentes, comme lors de cette pénible introduction dans un tripot clandestin à bord d’un yacht. Se voulant plus émouvant, le script renoue avec le mystère de la disparition de sa mère, tentant par là de créer une mythologie Angel. Projet d’autant plus abscons que le film semble totalement déconnecté de ses deux prédécesseurs, perdant le high concept du premier (une lycéenne qui se prostitue une fois la nuit tombée) et la dimension presque « ange gardien d’Hollywood Boulevard » du second (que sont devenus Kit et Solly ?). Sparky (Mark Blankfield), nouveau venu assez fade, synthétisant à lui tout seul les personnages hauts en couleurs des opus précédents, déclare que sur le trottoir l’ambiance est « bizarre, les gens meurent ». Une évocation probable du sida qui décimait alors les travailleuses du sexe. Mais le réalisateur ne filme même pas l’impact de la maladie sur l’univers de la nuit, ne raconte rien de cette période terrible, préférant se concentrer sur une romance inepte, des gags lourdingues (mention spéciale à la scène d’action à base de camion de glace). Le moralisme est toujours omniprésent (Angel annonce même à sa petite sœur qu’elle est là pour « protéger [sa] vertu »), la tension et le suspens sont toujours, quant à eux, absents et le casting (peu aidé par des looks improbables) demeure fade au possible, malgré la présence des vieux briscards Richard Roundtree (Shaft en personne) et Dick Miller (fidèle de Joe Dante). Très sage, exception faite d’une amusante séquence finale renvoyant au bon souvenir de Commando, le long-métrage se montre assez avare en excès de sexe et de violence, pourtant typiques de cette catégorie de films de vidéoclubs. En lieu et place, il offre un propos d’un racisme assez hallucinant, faisant de ses méchants des nouveaux esclavagistes issus du Moyen-Orient, venus enlever d’innocentes Américaines. Idéologie d’autant plus dangereuse lorsque l’on prend en compte que les relations entre les Etats-Unis et l’Iran sont alors plus que jamais tendues. Étonnamment, compte tenu du passif de DeSimone (qui se permet même une autocitation en faisant apparaître une affiche de son Reform School Girls au détour d’un plan), ce Chapitre final dresse un portrait peu flatteur du monde du porno, perçu comme un environnement toxique gangrené par la mafia. Entre producteurs abjects, actrices demeurées, et tournages de clips musicaux ridicules et très prudes, il règle probablement des comptes personnels tout en essayant de se racheter aux yeux d’un cinéma plus « traditionnel ». Amusant de trouver cette vision très puritaine dans un projet de New World, pourtant familier du cinéma d’exploitation le plus racoleur. Au final, ce troisième volet ressemble à un navet négligeable, ni fun ni efficace, cherchant à exploiter un filon déjà peu excitant. Et dire qu’un Angel 4 : Undercover (dont l’affiche est déjà tout un poème en soi) a vu le jour en 1994…
Trilogie qui fleure bon les rayons de vidéoclub, Angel a donc toute sa place dans la Midnight Collection qui, en plus de masters irréprochables, offre de nombreux bonus, dont des interviews du réalisateur Robert Vincent O’Neill (qui revient sur ses débuts comme accessoiriste et assistant de Richard Rush), du scénariste Joseph Michael Cala, qui compare le culte autour du premier opus à celui entourant le Rocky Horror Picture Show (rien que ça), du compositeur et des actrices principales. Si l’on ne leur en tiendra pas rigueur pour autant, compte tenu de la nullité supposée du film, étonnant que Carlotta n’ait pas ajouté le quatrième épisode de la saga pour satisfaire les fans complétistes.
Disponible en DVD et coffret trilogie Blu-Ray chez Carlotta.
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