En 1958, Roger Corman compte déjà dix-neuf longs-métrages en tant que réalisateur en seulement trois ans d’activité. Il a touché à plusieurs registres tels que le western (Cinq Fusils à l’Ouest, La Femme apache, La Femme d’Oklahoma, La Loi des armes), l’horreur (The Beast with a Million Eyes), la science-fiction (Il a conquis le monde, Le Vampire de New York) ou le film policier (La Fille aux mains sales), le tout en adoptant des budgets et des temps de tournage dérisoires. Néanmoins, sa collaboration avec Samuel Z. Arkoff, l’un des fondateurs d’AIP, va lui permettre de se « professionnaliser » davantage, sans pour autant dévier de sa ligne de conduite initiale. Les deux hommes avaient tout pour s’entendre, le producteur ayant fait de son nom un acronyme résumant sa formule et sa vision des choses : Action, Revolution, Killing, Oratory, Fantasy, Fornication. Mitraillette Kelly constitue la première incursion de Corman dans le film de gangsters avant I Mobster, L’Affaire Al Capone et Bloody Mama, qui deviendra l’un de ses versants les plus connus avec ses adaptions d’Edgar Allan Poe. À l’époque, le genre connaît un nouvel engouement suite au succès de L’ennemi Public de Don Siegel en 1957, consacré à la figure de Baby Face Nelson (entre autres, acolyte de John Dillinger), après des coups d’éclat remarqués (Scarface d’Howard Hawks demeure le plus célèbre) aux débuts du cinéma parlant, un quart de siècle auparavant. Le scénariste R. Wright Campbell, déjà auteur du script de Cinq Fusils à l’Ouest, s’intéresse ici, à un criminel phare de la prohibition, George Kelly Barnes alias Machine Gun Kelly (soit le titre original). Afin de camper cet antihéros, le pape de la Série B jette son dévolu sur un acteur qui n’en est qu’aux prémisses de sa lente ascension. Fraîchement délesté du nom qui a jusqu’à présent caractérisé la majorité de ses apparitions à l’écran, Charles Buchinsky, désormais baptisé Charles Bronson, arrive en tête d’affiche par deux fois cette année 1958, il porte également Showdown at Boot Hill de Gene Fowler Jr. Sidonis Calysta, qui consacre depuis 2019 une collection spécifiquement dédiée au comédien, nous propose aujourd’hui de redécouvrir le premier rôle important dans sa carrière, à l’occasion d’une réédition en DVD et Combo Blu-Ray DVD. Surnommé par sa maîtresse Mitraillette Kelly (Charles Bronson), le gangster George Kelly réussit un audacieux hold-up. Il en confie le butin à Fandango, un complice qui, en essayant de détourner une partie de l’argent à son profit, suscite sa colère. Plutôt que de se faire oublier, lui et son gang préparent un nouveau braquage. L’attaque des banques et transports de fonds présentant désormais des risques trop élevés, Kelly kidnappe la fille d’un riche industriel…
Le générique rythmé par une bande-son jazz et accompagné de dessins, place partiellement le film vers une dimension enfantine. Une manière implicite pour Roger Corman de déconsidérer d’entrée de jeu les personnages et l’univers qu’il s’apprête à dépeindre. Des individualités puériles, bêtes et méchantes, égarées dans des corps d’adultes. Les premières minutes, sans dialogues, introduisent ensuite le protagoniste (chapeau sur la tête, vêtu d’un imperméable et mallette en main) sans présentation ni contextualisation. Le braquage annoncé se déroule hors champ, à la faveur d’un travail malin sur les ombres. Le réalisateur témoigne ainsi très tôt de son sens de l’astuce visuelle et de sa capacité à transformer ses carences budgétaires en atouts de mise en scène. Ce prologue très musical s’interrompt lorsque Kelly monte à bord du véhicule de Florence Becker, sa compagne (interprétée par Susan Cabot), après avoir au préalable effacé ses traces et celles de ses acolytes. Changement de tenue et d’attitude, le bandit se montre d’abord bavard, blagueur et souriant, loin de ce qu’il a laissé entrevoir mais aussi de l’image qui colle à la peau de son acteur, Charles Bronson. Il ne tarde pourtant pas à durcir les traits et le ton, le temps d’un contrôle de police. Cette scène étrangement peu tendue, vise à révéler une personnalité irréfléchie capable de se mettre inutilement en danger, comme le lui signifie explicitement Flo. Mitraillette Kelly s’intéresse dès lors davantage à l’intimité de son antihéros qu’à ses exploits. Observation d’un lion en cage (métaphore appuyée le temps d’une séquence marquante), sans perspectives (il n’est pas l’instigateur du deuxième hold-up) ni valeurs véritables. Loin du gangster flamboyant ou idéalisé en vogue au sein d’Hollywood, il est impulsif, violent et lâche. La trame, calquée sur la trajectoire du vrai George Kelly ne surprend guère, a contrario de ses à-côtés et de ce regard méprisant. Le cinéaste allie à l’économie de moyens, un recours minimal aux mots, il privilégie l’efficacité et la nervosité en guise de style pour livrer une série B plaisante, sciemment antiglamour et antispectaculaire.
Roger Corman, à défaut de révolutionner le genre ou esquiver ses lieux communs, parvient par aspect à insérer au programme des variations intéressantes. Dans cet univers à forte dominante machiste et masculine, le réalisateur fait émerger deux figures féminines détonnantes qui semblent autrement plus l’intéresser que son protagoniste. Florence d’une part, véritable cerveau du couple, et sa mère, Ma’, toujours encline à remettre le gangster face à la réalité de son statut guère enviable (de là à en faire la porte-parole du metteur en scène, il n’y a qu’un pas). Deux femmes autrement plus avisées que l’antihéros, soutenues par l’abattage de leurs comédiennes respectives, Susan Cabot et Connie Gilchrist. Kelly, minable attiré par l’appât du gain, précipite par ses actes et ses choix, sa propre déchéance. Pleutre tentant de compenser ses peurs à coups d’accès de violence, suffisant et inconséquent, il bénéficie de l’investissement de Charles Bronson pour gagner en substance. Avec une partition délicate, l’acteur impose une forme d’authenticité à son charisme naturel, il humanise subtilement son personnage. Il réussit à rendre perceptibles ses failles et faiblesse, en fissurant opportunément sa carapace de brute. D’une certaine manière, cette composition préfigure deux rôles qu’il tiendra ultérieurement, Tunnel King dans La Grande Evasion de John Sturges, pour le versant « sensible », et Joe Valachi dans Cosa Nostra, par sa dimension de force de la nature fragilisée. « Cette version de Mitraillette Kelly vous est proposé à partir des meilleurs éléments actuellement disponibles. Malgré tous nos efforts, il subsiste des imperfections. Merci de votre compréhension », nous précise l’éditeur au lancement du film. En dépit de cet avertissement initial, la copie est de bonne facture, surtout rapportée aux conditions de tournages etc, qui ne garantissaient d’évidence pas le meilleur matériel possible. Petit film d’exploitation honnête et incarné, Mitraillette Kelly, précède l’avènement de Corman, deux ans avant la sortie de La Petite Boutique des horreurs, et met son interprète dans une position idéale pour poursuivre sa conquête d’Hollywood. L’édition s’accompagne de deux suppléments, une présentation intéressante où François Guérif revient synthétiquement sur le contexte de production du métrage (temps de tournage légèrement plus long qu’a l’accoutumé, une dizaine de jours, budget faible mais supérieur…) et surtout le captivant documentaire Le Monde de Corman, les exploits d’un rebelle à Hollywood d’Alex Stapleton. Document de près d’une heure et demie (quelques minutes de plus que Mitraillette Kelly !), explorant en long et en large la carrière de Roger Corman, à la faveur de nombreuses interventions allant de Jack Nicholson à Ron Howard en passant par Peter Bogdanovich Robert De Niro, Paul W.S Abderson ou Martin Scorsese.
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