Première œuvre de la « trilogie des appartements » avant Rosemary’s baby et Le locataire, Répulsion initie chez Roman Polanski une réflexion sur l’enfermement, sur la façon dont le lieu – l’appartement – étend son emprise sur les êtres – humains – qui les occupent. Quasi considérés comme des personnages à part entière, ces lieux agissent de manière insidieuse et diffuse, influent patiemment sur des personnages dont subtilement ils encouragent les rancœurs et guident la folie jusqu’à se rendre indispensable. Jusqu’à ce qu’humain et appartement deviennent inséparables, liés chacun par le désir d’habiter et d’être habité.
Ainsi, les films de Polanski sont soumis à la temporalité de ces créatures enveloppantes, et la folie qu’il met en scène tient plus de l’entropie, lente déperdition d’énergie, que de la rage. Les modifications sont infimes, toujours minuscules, mais tirent chaque personnage (Deneuve, Farrow, Polanski) inéluctablement vers la perte de soi. Décomposition, transformation, il ne reste plus grand chose de l’être originel.
Carol, jeune femme introvertie, travaille comme manucure dans un institut de beauté. Sous son apparence timide, se dissimule une panique des hommes qu’elle parvient à taire moyennant quelques absences et tics légers. Ce vernis (celui-là même qu’elle applique sur les ongles de ses clientes) est lentement amené à craquer au rythme des avances de Colin, des ébats quotidiens de sa sœur avec son amant, du carillon du petit couvent de la rue en face ; évènements lui rappelant constamment ce nœud qu’elle ne parvient à défaire en elle et qui la maintient dans une posture de petite fille pour qui l’homme est menaçant, s’avance la nuit dans la chambre et se glisse sous les couvertures.
La folie, bien que soulignée par un jazz vif lorsqu’elle marche dans la rue répondant à son impassibilité, débute véritablement lorsque la soeur de Carol part en vacances, la laissant seule dans l’appartement. Alors seul véritable être de confiance, bien que de nature double, l’appartement se fait cocon quand la peur de sortir est trop forte. Mais plutôt qu’il ne vise à protéger Carol d’elle-même et à la ressourcer, il cherche à faire émerger son intériorité, à l’ouvrir tout comme il ouvre lui-même ses murs. Il devient central, à lui convergent les hommes (Colin, le propriétaire) qui serviront au projet (psychotique) de Carol, sur ses murs elle perd progressivement sa substance comme le lapin qu’elle oublie se décompose lentement dans le salon ; jusqu’à tomber à un état d’équilibre apathique, alors parvenue au bout de son traumatisme.
En serrant Répulsion entre deux yeux, l’oeil triste du générique et l’oeil triste de la photo sur laquelle s’éteint le film, n’a peut-être jamais aussi bien ce qu’était l’essence d’un trauma, d’un secret caché dans une pupille, capable de déclencher le chaos jusqu’à l’inéluctable. Le secret de Carol, nous le saurons jamais – et le génie du cinéaste réside bien dans ce silence maintenu -, mais on en devine la substance, celle d’une fillette qui a du beaucoup subir avant d’en arriver là. Le cinéaste invite le spectateur à rentrer dans son film, à l’habiter, à y déceler les détails qui exprimeront, exacerberont sa propre intériorité et feront surgir bien plus qu’une terreur soigneusement mise à distance, des angoisses plus profondes qui ne laissent pas indemnes. D’un film qui converge lentement dans le fantastique et la folie, Polanski construit un lieu qui s’ouvre puissamment vers le réel pour nous happer.
Suppléments
. Commentaire audio de Roman Polanski et Catherine Deneuve
. Grand écran : Roman Polanski (21 mn)
Réalisation : Charles Chaboud – © 1964 INA
Un document rare sur le tournage du film, avec les témoignages de Roman Polanski, Catherine Deneuve et Yvonne Furneaux.
. Un film d’horreur britannique (24 mn)
Retour sur la production de Répulsion près de 40 ans après sa sortie. Avec les entretiens de Roman Polanski, du chef-opérateur Gilbert Taylor et du producteur Gene Gutowski.
. Entretien audio avec le professeur Richard L. Gregory (11 mn)
« Polanski est un maître, il contrôle l’esprit des spectateurs comme personne d’autre, peut-être, au cinéma. » Par Richard L. Gregory, professeur en neuropsychologie à l’université de Bristol.
. Bandes annonces originales
. 2 courts-métrages réalisés par Roman Polanski
« Meurtre » (Morderstwo – 1957 – N&B – 1 mn – Muet)
Une silhouette se glisse furtivement dans une chambre obscure où un homme est assoupi…
« La lampe » (Lampa – 1958 – N&B – 8 mn)
Un artisan répare des poupées mutilées à la lumière d’une lampe à pétrole…
Répulsion (1965 – N&B – 105 mn)de Roman Polanski, Blu-Ray édité par Carlotta
Nouvelle restauration 2K
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