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Ne pas se fier aux apparences…. A l’instar de ses héros confrontés à une réalité-trompe l’œil qui les plonge dans un abîme d’incertitude, un thriller réalisé par Polanski n’est jamais tout à fait un thriller. Réalisé par un tout autre cinéaste, cette adaptation du roman de Robert Harris se serait fondue dans la masse des suspenses politiques bercés par la paranoïa et la manipulation tels qu’il en fleurit régulièrement aux Etats-Unis. Pourtant, Ghost Writer est juste un grand film et probablement l’un des meilleurs Polanski depuis longtemps.
A travers les aventures de ce « nègre » lancé dans l’écriture des mémoires d’un homme politique ressemblant facheusement à Tony Blair, et devenant héros malgré lui d’une intrigue qui le dépasse, Polanski métamorphose un schéma rebattu en quête identitaire. Ewan Mc Gregor semblait prédisposé à devenir un jour ou l’autre un héros polanskien dont il endosse à merveille le costume : anonyme presque apathique, passif, désolidarisé de tout engagement, il se laisse finalement avaler, vampiriser par l’attirance de la vérité. Tout comme dans Le Locataire ou Frantic, le protagoniste se retrouve abandonné dans toute sa solitude. Du continent au bâteau, du bâteau à l’île, d’abord intégré au monde, puis entouré d’étrangers avant d’être intégralement seul, son paysage fait progressivement table rase de tous les signes réconfortants du réel, se vidant vers un horizon plat et hostile. Polanski prend un malin plaisir à nous faire traverser le miroir, et d’une simple intrigue de politique-fiction frôle le mystère impalpable d’une réalité qui se défoule sous les pieds.
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Il renoue de manière inattendue avec l’enfermement et la perte des repères ; coïncidence, la même année, Scorsese nous offrait un deuxième grand film insulaire, dans lequel l’isolement spatial venait lui aussi figurer le vertige individuel. Le génie polanskien transparaît dans cette capacité à confondre légèreté du divertissement – avec tous les archétypes du thriller de manipulation – et profondeur des labyrinthes mentaux qui lui sont si chers. Le cinéaste navigue entre l’absurde et la bande dessinée, entourant son Tintin perdu de puissants seconds rôles : un Pierce Brosnan particulièrement trouble et complexe, une Kim Cattrall qui fait plaisir à revoir enfin échappée de Sex and The City (il était temps), et la bien trop rare et remarquable Olivia Williams. Tout comme dans son mésestimé La Neuvième porte, Polanski accorde une grand importance au livre, au sortilège du mot à travers un manuscrit comme lieu du secret et de la vérité, avec sa force et son sens caché… à décrypter. Ses multiples couches à gratter alors que l’évidence s’offre à nos yeux n’étant pas l’un des moindres points communs avec l’œuvre d’un autre grand trompeur, Dario Argento.
Comme le présage son titre original, The Ghost, le héros de cette initiation mélancolique et ludique n’est qu’une silhouette découpée dans un monde fantôme, un univers dans lequel les vivants semblent des pantins gouvernés par des forces qui les dépassent.
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Avec son inquiétante étrangeté, ses hôtels déserts et ses pavés mouillés, Ghost Writer distille une atmosphère somnambule et poétique, vers un suspense métaphysique de l’attente qui aboutit au néant, digne de l’absurdité d’un Cul de Sac. Destin dérisoire, enquête dérisoire, dirigeants dérisoires, dans Ghost Writer, décidément, rien n’est jamais sérieux et c’est bien là que réside toute la profondeur polanskienne celle d’évoquer avec la distance ironique nécessaire la tristesse de notre condition.
D’une fidélité absolue à la photo à la fois glacée et contrastée de Pawel Edelman le transfert est somptueux. Quant aux pistes sonores, elles sont à la fois subtiles et efficaces. On aurait souhaité des bonus plus conséquent pour une œuvre aussi forte, mais nous nous contenterons de quelques entretiens n’allant pas très loin dans l’analyse. Robert Harris évoque la gestation du livre et la manière dont l’histoire a germé en lui lorsqu’il entendit interviewer un homme qui voulait que Tony Blair soit poursuivi pour des crimes de guerre. Ainsi The Ghost est-il un mélange de réalité et de fiction, avec une idée romanesque sur laquelle est venue se greffer des éléments réels. Harris avoue être fasciné par le pouvoir et plus particulièrement par les réactions des dirigeants au moment de leur chute, au moment où tout désormais leur échappe et qu’ils s’aperçoivent qu’ils sont en train de tout perdre. L’autre grand axe souligné par Harris est celui d’un homme ordinaire plongé dans un univers qu’il ne maitrise plus. On ne peut s’empêcher de penser que c’est sans doute cette thématique qui scelle le mieux l’affinité entre le romancier et le cinéaste. Harris évoque l’écriture du scénario et cite en particulier l’influence de Boulevard du Crépuscule. Il est intéressant d’apprendre que la première version du scénario, à l’instar du film de Wilder avait en voix off, pour narrateur, un mort, avant que l’idée soit finalement jugée inappropriée. Pour ce qui est du décryptage du manuscrit, Harris déclare s’être inspiré du témoignage d’un ami nègre déclarant avoir été régulièrement tenté de glisser des messages codés dans ses textes. La collaboration avec Polanski fut visiblement un réel bonheur pour Harris qui définit Polanski comme LE réalisateur idéal pour tout romancier avide de voir adapter son livre et d’en voir respecter l’esprit. Si les suppléments sont tout de même bien limités et plus proche du matériel promotionnel qu’autre chose il est néanmoins plaisant d’écouter Ewan Mc Gregor qu’on sent totalement hypnotisé par Polanski et son sens inouï du détail et s’exclamant : « C’est un des derniers grands cinéastes encore de ce monde. Il est tout ce qu’Hollywood n’est pas. Personne ne contrôle ce qu’il tourne à part lui ». En dehors de l’aspect très superficiel de l’interview on sent que Mc Gregor a tiré un véritable plaisir et une incontestable fierté de ce tournage. Il évoque en particulier la richesse d’une équipe cosmopolite anglaise, polonaise, française ou américaine que Polanski dirigeait dans toutes les langues.
La courte interview de Polanski est frustrante car très courte et très en surface et l’on subodore que les bonus auraient été plus importants et plus aboutis si l’affaire Polanski n’avait pas freiné leur vraisemblable conception. Cependant, nous l’entendons dire que ce qui l’intéressa dans le livre de Robert Harris était dans les proximités qu’il voyait avec Chandler et dans les échos qu’il entrenait avec les problèmes politiques actuels. Il explique la manière dont il s’est attaché à rechercher les lieux pour capturer cette atmosphère d’hôtels vides, hors saison, de places désertes… Polanski se refuse à intellectualiser son cinéma préférant désormais le laisser entre les mains du spectateur. Il est également très intéressant de l’entendre expliquer combien l’anonymat de son personnage lui paraît fondamental, thème qui lui est cher depuis Le couteau dans l’eau et qui se révèlera par l’entremise de la perte d’identité l’un des éléments fondateurs de la dialectique polanskienne.
The Ghost Writer (France, GB, Allemagne, 2010) de Roman Polanski avec Ewan Mc Gregor, Pierce Brosnan, Kim Cattrall, Olivia Williams.
Blu ray édité par Pathé
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