Roman Porno Japonais – HK Requiem/ L’Epouse, l’amante et la secrétaire/ 5 secondes avant l’extase

© Wild Side

La collection Wild Side nous a permis jusqu’à maintenant de voir combien les romans pornos de la Nikkatsu était le lieu de l’expérimentation, de la subversion et de la naissance de véritables auteurs ; mais les trois pinkus ne sont cette fois ci pas vraiment à la hauteur de nos espérances et du choc des précédentes salves, ce trio se définissant par du bon, de l’intéressant et de l’affligeant.

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Avant de devenir l’un des chantres du pinku SM deviant, Konuma réalisa quelques œuvres apparentées plus encore au film noir qu’au pinku. Hong Kong Requiem est de cette veine et porte bien son titre tant l’œuvre ressemble à un voyage sans retour dans le cimetière de la morale. Lassée par son mariage et sa morne existence de femme au foyer, Akiko fuit avec son amant – et collègue de son mari – à Hong Hong Kong, où il vient d’obtenir un poste. L’époux désespéré quitte tout pour se rendre sur l’île dans une quête éperdue, errant dans les quartiers chauds. Il rencontre un étrange métis sino-japonais, qui devient son protecteur et mauvais génie, et s’enfonce toujours un peu plus bas dans la désespérance pendant que sa belle soeur, préoccupée et secrètement amoureuse, se lance à sa recherche. Hong Kong Requiem est l’histoire de deux descentes aux enfers parallèles mais la narration choisit de se concentrer sur le cheminement de l’époux, celui d’Akiko se reconstituant progressivement aux yeux de ce dernier. En plongeant le destin d’Akiko dans l’ellipse visuelle et en l’abandonnant rapidement, cet étonnant choix narratif la métamorphose en image mentale, d’autant plus obsessionnelle qu’elle est absente. Aux antipodes de ses incarnations précédentes Junko Myashita se mue ici en pur fantasme et objet du désir : elle est d’abord l’épouse disparue, essence du souvenir et de l’amour perdu, objet de quête désespérée définitivement invisible, puis le double de cette dernière à Hong Kong, prostituée hagarde et accro à l’héroïne, sorte de miroir inversé de l’image de la femme idéale et vertueuse telle que le concevait le mari. L’icône s’est fissurée. Et l’héroïne glisse vers l’impalpable et la métaphore. Hong Kong Requiem dématérialise ses personnages féminins et leur substitue des ombres, des vues de l’esprit, des incarnations de pensées. En outre, la femme apparaît comme un écho du sentiment archétypique qu’elle peut inspirer, épouse adultérine rongée par la culpabilité ou belle sœur amoureuse alliant pureté et courage avec, en guise de passerelle entre ces deux images, cette prostituée droguée, encore plus proche de la chimère et figurant le glissement d’un monde à l’autre, vers la dépravation et le Néant. Il serait facile d’y déceler un point de vue très conservateur et misogyne servant une imagerie conventionnelle, mais dans Hong Kong Requiem le symbolisme lyrique de Konuma, bien qu’un peu systématique, se fait le porte parole d’un désespoir irrévocable dans lequel la libération féminine n’est, dans un monde d’hommes, qu’un leurre, prophétisé par les paroles de la femme adultère comme frappées du sceau de la malédiction – « Je serais punie par le ciel » – , la tristesse et de la culpabilité présageant d’emblée d’une histoire condamnée à l’échec. C’est une tromperie sans joie à laquelle elle se livre, trouvant dans la passion charnelle une échappatoire au quotidien et à une vie qui ne lui procure aucun plaisir. La relation adultère agit comme une fuite symbolique qui présage de la fuite réelle, vers un ailleurs mirage de liberté qui la plongera dans l’abime.

Avec son obsession pour les réveils et les tic-tacs d’horloge, Hong Kong Requiem libère dès son ouverture un climat anxiogène qui ira en s’accroissant. Son exotisme est un exotisme en négatif, au point d’en devenir presque caricatural (lié à la dimension occidentale de l’ïle), une vision anti carte postale d’une autre asie, miséreuse, arriérée, comme un lieu de déperdition, un immense cloaque. Paradoxalement l’approche presque documentaire des marchés crasseux, des visages hagards, d’une faune qui entraine le personnage au milieu de la foule vire au cauchemardesque. Dur et sec, il fait basculer l’errance dans une ville putréfiée, tel un cimetière entouré d’eau, vers l’abime et le fantasmatique, cette propension s’illustrant particulièrement bien dans l’arrivée sur l’onde de l’homme perdu, vers une barque à prostituée et à la rencontre du double de son épouse. Une esthétique fétichiste proche du giallo fait la part belle aux couleurs primaires, la blancheur de la peau s’entremêlant pareillement à la rougeur du sang, dans une érotisation transgressive de la violence. Konuma met en scène cette balade funèbre comme une tragédie cynique en s’employant à une disposition de l’espace très théâtrale, agençant et faisant évoluer ses personnages dans le décor des lieux clos qui les enferment. Konuma conclue son œuvre dans l’amoralité universelle, Hong Kong devenant ici la matérialisation de chaque enfer intérieur.

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L’épouse, l’amante et la secrétaire (1982) constitue, disons-le d’emblée, un pinku de fond de panier, produit dont la médiocrité saute aux yeux dès les premières images au point qu’on s’interroge sur les raisons qui ont poussé Wild Side à sortir ce nanar tout à fait dispensable. Gageons que L’épouse, l’amante et la secrétaire constitue pour l’éditeur un « 3 pour le prix de 2 » car il ne reste pas grand-chose à garder de cette parodie grivoise de Comment se débarrasser de son patron ? qui met en scène un chef d’enteprise volage et sans scrupule aux prises avec trois femmes – l’épouse, l’amante et la secrétaire – bien décidées à se venger de ses bassesses.
Prenant conscience d’être manipulée par son patron/amant pour la pousser à rameuter des clients à la manière d’un proxénète, c’est la maitresse qui lance le processus, rapidement suivie par la femme trompée et la secrétaire outrée. Le principe d’une parodie de comédie américaine – déjà peu délicate – relevait déjà de la redondance et laissait présager du pire. Promesse tenue, la salacité de L’épouse, l’amante et la secrétaire n’a d’égal que la banalité de sa réalisation et la laideur de son image, soutenue par une insupportable musique disco.
Seules les scènes érotiques bien corsées suscitent quelque intérêt mais elles confirment par des dialogues assez effarants (« ah ah tu dis non, mais ta bouche du bas dit le contraire »), dignes d’un porno français des années 80, l’absolue vulgarité de l’ensemble. On est bien entendu à mille lieues de l’esthétique, des recherches graphiques propres à la Nikkatsu et il est difficile de ne pas être lassé de cet assemblage de scènes douteuses à l’image de celle qui voit la secrétaire se photocopier les seins en les plaquant sur la machine, avant d’être surprise par le mâle obsédé qui évidemment prolongera plus avant le coït sur la machine. Quant à la pseudo subversion féministe (victoire des 3 femmes sur le patron, donc le mâle dominant) elle ne mène qu’à des poncifs éculés, relevant du pur opportunisme, pour mieux enchaîner ses gags poussifs et visqueux. On retiendra cependant une scène sordide de viol dans les toilettes, curieuse rupture de ton dont on ne sait plus trop quoi penser si ce n’est qu’elle laisse un sentiment peut-être encore plus désagréable. Niveau délicatesse de l’humour et de l’érotisme, L’épouse.. c’est un peu « on se calme et on boit frais à Tokyo ».

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Réalisé en 1986, 5 secondes avant l’extase remonte le niveau par l’originalité de son point de départ, transposant dans l’univers du pinku le thème du voyage dans le temps, tel un Retour vers le futur érotique. Etsuko est une adepte des plaisirs solitaires et vit son épanouissement sexuel en rêve, réduit à des fantasmes nocturnes dont l’unique objet reste son chef de service. Comme son titre l’indique, c’est en se caressant fougueusement que la montée du plaisir la conduit, cinq secondes avant l’orgasme, 15 années plus tard, dans le Tokyo de 2001, qui a bien changé. L’endroit où elle habitait a laissé la place à un terrain vague et son immeuble a disparu, tous les buldings ayant été détruits par le second séisme de Tokyo. La vision d’une mégalopole déserte, avec sa pleine lune stylisée et son ballon dirigeable flottant dans les airs insuffle le charme d’une romance rêveuse et touchante. Dans ses meilleures séquences baignant dans une belle photo vive et bleutée « 5 secondes avant l’extase » rappelle curieusement l’esthétique des néons hypnotiques de One From The Heart de Coppola.
Bien qu’un peu répétitives, les scènes érotiques, focalisées sur les petites culottes et les mains qu’on peu y mettre, sont plutôt convaincantes et leur moiteur confère une belle sensualité à l’ensemble, les plaisirs solitaires et les préliminaires prenant ici largement le pas sur l’acte en lui même. La censure y est en revanche assez mal contournée, les flous et les caches ajoutés maladroitement sur les parties les plus équivoques, laissant imaginer les plans plus explicites qui s’y dissimulent, en accentuant ici la sensation de pornographie censurée, laissant planer un doute certain sur la non simulation des séquences. Finalement le cache lui ajoute paradoxalement une obscénité, en surlignant l’élément plus encore qu’il ne le dissimule.
Et pourtant dans l’ensemble, 5 secondes avant l’extase instaure un érotisme au climat doux, sentimental, presque sucré au point qu’on le soupçonne d’être plus occidentalisé qu’à l’accoutumée, avec son initiation d’héroïnes un peu candides qui rappelle l’érotisme chic et choc, un peu publicitaire d’un Just Jaeckin et de son Emmanuelle, des œuvres elles mêmes marquées du sceau d’un exotisme très couleur locale et d’une fascination pour les délices d’Asie. Le vent a donc tourné. C’est à l’Asie de venir s’inspirer des clichés occidentaux. Kozue Tanaka, qui connaîtra une carrière minuscule dans le pinku (elle jouera dans deux autres films dont un Kumashiro) y est absolument craquante. A la fois très plantureuse et naïve, Alice traversant un Tokyo futuriste avec son petit chat, son charme est pour beaucoup dans le plaisir qu’on prend à regarder 5 secondes avant l’extase. Quelques scènes particulièrement savoureuses et drôles parsèment le film, avec des éclairs de mélancolie, comme la radio déclarant au moment de l’extase rêvée :. « Etsuko a eu un chagrin d’amour ce soir à 21h04 »… L’une des plus jolies scènes de cette oeuvre mineure mais fraiche restera sans doute la confrontation d’Etsuko avec une Etsuko de 35 ans, lui laissant l’occasion de dialoguer avec sa future elle-même (« Je vous assure que je suis vous il y a 15 ans ») tenant encore sur ses genoux un vieux chat, avant la confrontation avec sa future progéniture. Sans prétendre à révolutionner le genre, ce petit pinku tardif qu’est 5 secondes avant l’extase, parvient par ses aspirations oniriques à distiller une attachante atmosphère de fantaisie et de poésie.
  
L’épouse, l’amante et la secrétaire (Japon, 1982) de Katsuhiko FUJII, avec Yuki YOSHIZAWA, Miki YAMAJI, Nami MISAKI, Junko ASAHINA, Junichiro YAMASHITA
Hong Kong Requiem de Masaru Konuma (Japon, 1973), avec Junko MIYASHITA, Masako MINAMI, Ei SHIRAI, Kunio SHIMIZU.
Cinq secondes avant l’extase (Japon, 1986), de Yojiro TAKITA avec Kozue TANAKA, Saeko KIZUKI, Shinobu WAKABA, Kaori SUGITA. 

Dvds édités par Wild Side

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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