[Réédit de l’article publié 26/01/2011]
Ce mois-ci au programme, trois œuvres n’ayant que peu de rapport entre elles mais reliées par une même actrice : Asami Ogawa.
Journal érotique d’une secrétaire est une œuvre un peu différente de ce qu’on pourrait attendre du spécialiste du SM, Masaru Konuma, qui évoque de manière mélancolique la vie quotidienne d’Asami, une secrétaire maitresse de son patron et son cheminement vers l’émancipation. On nage évidemment dans les purs codes du pinku avec tout ce que cela comprend de critique sociale tapie derrière l’érotisme mais également d’ambiguïté roublarde entre les intentions transgressives et dénonciatrices et la complaisance évidente du cinéma d’exploitation – respect du cahier des charges oblige – à représenter ses héroïnes dans des situations les plus équivoques possibles. A vrai dire,
Journal érotique d’une secrétaire mène plutôt à l’ennui poli et malgré quelques jolies séquences, telles cette vision de l’héroïne faisant l’amour au milieu des poussins, sans pour autant être désagréable, demeure très loin des œuvres majeures du cinéaste. Konuma nous offre une n-ième variation sur le thème de la libération féminine par l’entremise du corps qui, manquant singulièrement de personnalité (sur un sujet assez proche et sur un même mode dépressif, on lui préférera très nettement le
journal érotique d’une infirmière de Chûsei Sone), ne laissera pas un souvenir impérissable. Restent une superbe photographie, la beauté émouvante d’Asami Ogawa et le poignant personnage de la collègue alcoolique d’Asami, femme entre deux âges qui tombera amoureuse du père de l’héroïne pour entrevoir de manière illusoire la transition d’une « nouvelle vie ». Elle apporte un peu de trouble et d’originalité à un film qui en manque singulièrement.
Avec Chasseur de vierges de Koretsugu Kurahara voici la comédie du lot, une curieuse comédie d’ailleurs puisqu’axée sur une course à la défloration d’une des rares lycéennes à être parvenue à protéger sa virginité, et poursuivie par un curieux élève pervers et violeur (on se demande ce que vient faire ce cancre trentenaire au fond de la classe). Chasseur de vierges entremêle la comédie grivoise à d’autres genres, convoquant même la mode du sukeban (le film de gang de filles) ce qui a le mérite d’attirer l’attention d’abord avant de se rendre à l’évidence : il s’agit d’un pur produit opportuniste plus proche du nanar que du film d’auteur. Chasseur de vierges c’est un peu la rencontre improbable du Violeur à la rose et d’American Pie, entremêlant ce comique troupier mettant en scène des ados prépubères en quête de dépucelage, et le sous genre du violeur en série. On a tout d’abord du mal à capter le ton du film, dont l’absurdité la plus souvent involontaire intrigue, mais plus le film avance plus la perplexité s’installe. Même si les romans pornos nous ont habitués à la trivialité et à la propension à transformer scabreux en gag, le rire échafaudé autour du viol, à répétition, l’humour potache et la provocation d’un goût franchement douteux finissent par laisser une sensation franchement désagréable. La manière dont l’humour cochon se conclut en humour « avec cochon » suffira pleinement à nous convaincre que Chasseur de vierges ne recule devant rien pour racoler. L’effet escompté n’est pas rassurant, au choix : indigestion, soupirs agacés ou bâillements.
Le plus intéressant des trois demeure indéniablement
Harcelée et sa femme flic séquestrée à répétition, pour être violée et re-violée, bâillonnée et les yeux bandées par un agresseur dont elle ne connaîtra jamais le visage. Le jeu sur la répétition, assez magistral, rappelle énormément le sort réservé aux deux héroïnes argentesques d’
Opera et du
Syndrome de Stendhal, victimes de façon similaire d’une forme d’un agresseur initiateur.
Harcelée plonge donc avec force dans les vertiges du fantasme et de la psyché. Il est captivant lorsqu’il s’échappe du réel pour une traversée – sadienne – du miroir qui rappelle l’univers du giallo, jusque dans les gans de cuir de son agresseur et autres stimulations fétichistes. A chaque instant le rodeur peut sortir de l’ombre et entrainer sa victime de l’autre côté : constamment aspirée vers le fantasme du cauchemar et le primitif, pour être à nouveau ramenée à une réalité à laquelle elle doit se confrontée meurtrie, blessée, face à elle-même, comme deux visions presque antithétiques d’un même traumatisme. C’est aussi par le biais de cette dualité – entre l’acte innommable et l’acte primitif stimulant l’imaginaire – qu’opère le glissement vers la folie.
Harcelée est d’autant plus dérangeant qu’il use d’une esthétique raffinée (plus que celle du
Violeur à la rose également réalisé par Yasuharu Hasebe) portée par une mise en scène opératique que souligne le contrepoint de la musique de Beethoven, ce qui n’est pas, une fois de plus sans rappeler Argento. La musique classique crée une tension, ajoute une forme de tragique au destin de l’héroïne et métamorphose le scabreux en beau. Il est juste dommage qu’Harcelée débouche à nouveau sur le stéréotype du syndrome de Stockholm, car il s’agit dans l’ensemble d’un très beau roman porno éveillant parfois chez le spectateur un trouble très proche des œuvres de Noburo Tanaka. Et la dernière scène montrant l’héroïne dévisageant les hommes dans la rue, en imaginant en chacun d’eux son violeur potentiel apporte une grande puissance à l’ensemble, comme si le masque pulsionnel pouvait être porté par tous. Harcelée est indéniablement la plus passionnante de cette salve, car la plus convaincante et novatrice formellement. Opérant autour de la variation autour d’un seul thème, d’une seule figure, elle apporte la preuve que le roman porno a donné parfois naissance à de singulières œuvres conceptuelles.
Journal Erotique d’une secrétaire (Japon, 1977) de Masaru Konuma Asami OGAWA, Aoi NAKAJIMA, Morihei MURAKUNI, Katsuro YAMADA, Michio HINO
Chasseur de vierges (Japon, 1977) de Koretsugu Kurahara avec Asami OGAWA, Morihei MORITA, Mami YUKI, Asami MORIKAWA,
Harcelée de Yasuharu Hasebe (Japon, 1978) avec Asami OGAWA, Jun TAKAHASHI, Kai ATO, Shu SHIRAI, Yoko AZUSA
DVD sortis chez Wild Side
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).