Sam Peckinpah – « Le Convoi » (« Convoy ») (1978)

Dire que la carrière de Sam Peckinpah ne fut pas un long fleuve tranquille relève de l’euphémisme. Entre des longs-métrages qui firent scandale (Les Chiens de paille, Major Dundee), des révolutions mal perçues à leur sortie (les outrances de La Horde sauvage) et un comportement autodestructeur, le cinéaste a écopé d’une réputation désastreuse auprès des studios. En 1977 sort sur les écrans Croix de fer, un film de guerre brutal et anti manichéen qui est un échec cinglant au box-office américain. Plus que jamais acculé et fauché, situation qui accentue sa dépression chronique, le réalisateur n’a d’autre choix que d’accepter une commande de producteurs, l’adaptation cinématographique d’une chanson à succès. Old Home Filler-Up an’ Keep On A-Truckin’ Cafe de Bill Fries (sous le pseudonyme de W.C. McCall) fait alors un tabac, notamment grâce à son utilisation dans une campagne de pub pour une marque de pain de mie. Le scénario qui en est tiré suit la figure de Martin « Rubber Duck » Penwald, un camionneur charismatique poursuivi par un shérif récalcitrant, qui entraîne dans sa cavale une foule d’admirateurs. Peckinpah propose initialement les rôles principaux à Ally McGraw et à son ami Steve McQueen afin de reformer le duo de Guet-Apens, son dernier succès en date. L’acteur refuse et cède sa place à Kris Kristofferson, qui retrouve le metteur en scène quatre ans après Pat Garrett et Billy le Kid. Le Convoi, qui amorce le crépuscule de la carrière de son auteur, est désormais disponible en steelbook 4K UHD/ Blu-Ray chez Studiocanal, une occasion parfaite pour le disséquer et saisir ses forces mais aussi ses limites. 

© 1978 Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved.

Avant que Sam Peckinpah ne s’empare du projet, le film avait un temps été confié à Hal Needham et Burt Reynolds, qui préférèrent se tourner vers Cours après moi shérif, carton surprise de l’année 1977. A posteriori, il est amusant de constater les nombreuses similitudes entre les deux longs-métrages. Comme The Bandit, interprété par Reynolds, Rubber Duck est une légende dont les exploits anarchistes traversent les Etats et nourrissent l’aura quasi mythologique. Plus sérieux que la pochade de Needham, Le Convoi est en outre, moins centré sur le spectacle pur des cascades, néanmoins impressionnantes. Se dégage pourtant une même méfiance vis-à-vis des figures d’autorité, une même vision de la route comme berceau de mythes américains et ultime espace d’indépendance, poursuivant une démarche héritée du western, similaire à Easy Rider. Les agents de police, le FBI, voire l’armée lors du final, ne sont qu’une entrave à la liberté des personnages. Constamment en mouvement, le road-movie ne freine ni ne s’arrête jamais. Lorsque des journalistes viennent interviewer le héros au volant de son camion, c’est perchés sur un pickup lancé à toute vitesse. Une frénésie et un dynamisme qui tranchent radicalement avec le calme et la majesté des paysages. Le générique, qui suit le jeu de séduction entre Duck et Melissa (McGraw) à bord de son cabriolet, sorte de version romcom de Duel, impose des décors sauvages et vides de toute présence humaine. Le sable immaculé du désert fait office de page blanche où tout est encore à écrire. Lorsqu’on lui pose la question « Où êtes-vous né ? », le protagoniste répond d’ailleurs « Sur la route », faisant du couple principal des figures primordiales, Adam et Eve d’un Eden de bitume. Un retour aux sources, aux origines d’une terre d’espoir, que Peckinpah observe avec une certaine ironie. La voiture des années 20 qui apparaît au détour d’une scène, symbole de progrès et de révolution technique dans La Horde sauvage, devient ici un vestige antique dépassé par les semi-remorques rutilants. 

© 1978 Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved.

Ce rapport à l’Amérique du passé est synthétisé dans un élément essentiel de la construction du pays : la notion de communauté. Ici, les routiers sont un groupe homogène mais solidaire. Tous nommés par leurs pseudos, ils sont constamment en contact par CB, échangeant même avec leurs poursuivants par ce moyen. Loin de l’amitié virile attendue, le clan se compose également d’une femme noire (dont le rôle a néanmoins été sensiblement réduit selon Mike Siegel dans son bonus The Lost Convoy), un jeune père (dont le statut conduira à la perte), un routier dont l’homosexualité est évoquée, ainsi qu’on pasteur déjanté. Fidèle à ces figures, échos contemporains aux pionniers de l’Ouest sauvage, Peckinpah en profite pour fustiger la mouvance hippie, comme il le fit précédemment dans Apportez-moi la tête d’Alfredo Gracia, à travers un personnage déjà incarné par Kristofferson. Obligé de fuir les forces de police, tentant seulement de sauver sa peau, lancé dans une course poursuite se déroulant sur 24 heures, Duck devient le leader malgré lui d’individus qui projettent sur lui leurs propres combats. Simple rebel without a cause médiatisé par accident, il gagne l’opinion publique et la sympathie des laissés-pour-compte, à l’instar du couple de fugitifs de Sugarland Express. Il agglomère surtout toutes les revendications, des protestations au sujet du traitement des vétérans du Vietnam, de la hausse des prix, des conditions de travail, jusqu’à la lutte contre le racisme, ou, pour les plus anarchistes, une opportunité de « foutre le bordel ». Le héros devient un personnage public que les hommes politiques vont nécessairement tenter de récupérer. Symbole de ce pouvoir opportuniste, le gouverneur incarné par Seymour Cassel qui vise la réélection, matérialise ce pouvoir prêt à accaparer tout mouvement de contestation, probable reflet des exécutifs de majors tentant de s’approprier le maverick Peckinpah afin de le cadenasser. Peine perdue…

© 1978 Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved.

Malgré ses nombreuses qualités, et bien qu’il fût le plus gros succès de sa carrière au box-office, il serait excessif de considérer Le Convoi parmi les plus grandes réussites de son auteur, la faute, notamment à son tournage pour le moins compliqué. Le cinéaste, alors en plein combat contre son addiction à la cocaïne, tout comme Ali McGraw, qui n’avait en outre plus tourné depuis Guet-Apens en 72, se montrait totalement ingérable. Un plateau à l’ambiance électrique donc, qui força le réalisateur de seconde équipe, l’acteur James Coburn, à filmer lui-même certaines séquences capitales. L’ingérence du studio entraîna également de nombreuses coupes dans le script puis dans le montage original (dont certains passages sont présentés par Siegel dans les bonus). Il est étonnant, par exemple, de constater que la profession de photographe de Melissa soit finalement inutile dans le long-métrage alors même qu’elle nous est introduite utilisant son appareil pour immortaliser Duck. Se dégage néanmoins du film, moins nihiliste qu’à l’accoutumée, une atmosphère particulière, hantée par les fantômes de l’Ouest et magnifiée par la photo de Harry Stradling Jr. (Little Big Man). Une évasion de prison spectaculaire, l’arrivée au saloon du shérif et la bagarre générale qui s’ensuit (scène à l’occasion de laquelle Peckinpah use des ralentis dont il a le secret), voire certains dialogues (« C’est pas une route, c’est une piste ! »), autant d’éléments de western l’ancrant dans une Amérique immuable. Plus encore, c’est dans la relation entre Rubber Duck et Lyle (campé par Ernest Borgnine), lointains descendants des Deke et Pike de La Horde sauvage, que la fascination du réalisateur pour les valeurs ancestrales de son pays est la plus évidente. Un opus mineur d’un géant du cinéma donc, mais qui s’inscrit dans une œuvre dense, et dont la postérité (le logo de Duck se retrouve sur la voiture du Stuntman Mike de Boulevard de la mort, John Singleton avait envisagé de signer un remake au début des années 2000) prouve sa modernité et sa vitalité. 

Disponible en steelbook UHD / Blu-Ray chez Studiocanal.

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A propos de Jean-François DICKELI

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