Petit retour en arrière. Sam Raimi n’a que 22 ans lorsqu’il se lance au début des années 80 dans l’aventure Evil Dead. Court métrage de 30 mn, initialement appelé Within in the wood, le film sort en 82 et devient instantanément culte, transformant une vague série Z sur le papier en un déluge d’inventivité formelle couvert de sang qui tâche, de vomi, de yaourt qui dégouline et de matières suspectes visqueuses. Au lieu de poursuivre la voie naturelle de ses ainés (George Romero, Wes Craven, Tobe Hooper), ancrée dans la marge du nouvel Hollywood, et surtout imprégné par un esprit contestataire et libertaire, le jeune Raimi réinvente un genre qui commence à s’essouffler, sans pour autant renier un héritage assez vaste traversant quelques décennies des chefs d’œuvre de la Universal jusqu’à Massacre à la tronçonneuse et Zombie.

Il propose un univers plus délirant, très premier degré et paradoxalement empreint d’un humour bon enfant. Fauché et inventif, Evil dead est devenu un film culte, quasi générationnel, poussant les curseurs de l’horreur graphique très loin. Par ses séquences chocs et son gore outrancier, cette micro production bricolée traumatisa les adolescents que nous étions au point d’en occulter totalement la dimension burlesque et ultra référentielle. Hors l’influence du cartoon s’insinue discrètement au milieu de cette histoire de cabane hantée infestée par des zombies revenus d’entre parmi les vivants à la lecture du livre des morts.

© Powerhouse

Une dimension qui va littéralement vampiriser son deuxième long métrage, feu d’artifice ininterrompu de gags visuels hérités de Tex Avery et Chuck Jones, de dialogues non sensique intégrés au sein d’un récit qui déroule les idées les plus folles d’un plan à l’autre. Pourtant Crimewave (Mort sur le gril en français) déçut à sa sortie en salles et fut un grave échec commercial. Les fans du genre attendaient sans doute une nouvelle plongée dans l’épouvante trash de la part de leur nouvelle coqueluche. Sam Raimi prit le spectateur à revers – en apparence – alors que le film ne faisait que poursuivre l’esthétique et les thématiques de Evil dead qui, derrière ses oripeaux sanglants et ses débordements macabres, était déjà une déclaration d’amour d’une désarmante sincérité d’un cinéaste pour le burlesque, le cinéma d’animation, les sérials, les classiques Hollywoodiens.

© Powerhouse

Dans un style ébouriffant et coloré, Crimewave détourne intelligemment la structure du film noir dont les modèles pourraient être Assurance sur la mort et Détour. Le scénario co-écrit par Ethan et Joel Coen, célébrés pour le génial Blood Simple sorti un an avant, reprend l’axe des films de Billy Wilder et Edgar G. Ulmer : la figure centrale, victime désignée, qui explique « pourquoi il en est arrivé là ? »

Mais reprenons depuis le début. Le pauvre Vic Ajax se retrouve sur une chaise électrique, prêt à être exécuté pour des meurtres qu’il n’a pas commis. Sa seule chance : l’arrivée de bonnes sœurs possédant la preuve de son innocence. Cette ouverture, qui démarre sur les chapeaux de roues, dans un climat survolté proche de l’hystérie, rappelle furieusement la séquence de Phantom of the Paradise où Winslow se retrouve incarcéré à Sing Sing. La ressemblance physique entre Vic et Winslow tous deux accoutrés d’un pyjama rayé de prisonnier est frappante, deux « toons » projetés dans un monde cruel et sans pitié.

Avant l’instant fatidique, Vic revient sur les évènements qui l’ont conduit à cette malencontreux malentendu. Ce gentil gardien de sécurité, installateur de vidéo de surveillance, tombe amoureux d’une charmante demoiselle, archétype de la femme fatale qui n’a pourtant d’yeux que pour un bellâtre génialement campé par le fidèle complice du cinéaste, Bruce Campbell. Il se retrouve, comme dans tout bon film noir qui se respecte, mêlé à l’assassinat de l’associé de son patron. Dans son périple, où l’on retrouve le gout des frères Coen pour les boucles, les destins existentiels absurdes d’éternels loosers, il croise la route de deux tueurs improbables, brutes épaisses au QI proche du degré zéro. Pour couronner le tout le récit se passe dans une paisible ville où il ne se passe jamais rien. Mais cette nuit, la tempête va frapper cette petite bourgade sans histoire soudain malmenée par une série d’évènements.

Et c’est parti pour 1h 20 de pur délire, invitation au voyage euphorique dans un train fantôme sous acide, cocktail brillant de cartoon et de pastiche de polar. La caméra virevolte, trouve des angles impossibles dans un décor carton-pâte génialement utilisé où Raimi se permet toutes les audaces graphiques comme un gosse qui ferait joujou avec les moyens du cinéma.

L’humour décalé et hyperbolique ne sera pas au goût de tout le monde mais pour peu que l’on se délecte devant les péripéties de bip bip le coyote, de Titi et Grosminet ou de Daffy Duck, le plaisir décuple au rythme des idées les plus iconoclastes sorties de l’imagination de talentueux artistes.

Crimewave se situe dans un espace-temps indéfini, fait co-exister les époques et les genres au point d’en devenir intemporel. A y réfléchir, en effet, il parait impossible de le dater de 1985 !

© Powerhouse

Pour donner vie à cet univers cartoonesque, qui ne s’embarrasse pas toujours de subtilités, Sam Raimi a réuni un casting parfait, des corps élastiques et des « gueules » en adéquation avec un récit survolté : évidemment Bruce Campbell cité plus haute mais aussi l’excellent Reed Birney, formidable en anti­-héros candide, Louise Lasser inoubliable en pantoufle et le duo Paul Smith et Brion James poussant jusqu’à ses retranchements les limites du cabotinage autorisé. Pour toutes ces raisons, ce deuxième long métrage de Sam Raimi, pause réjouissante avant le second volet de la trilogie Evil dead, mérite largement d’être réhabilité, d’être enfin reconnu à sa juste valeur comme une oeuvre qui ne ressemble à aucune autre.

 

Quatre versions du film sont proposées, l’internationale de 87 minutes avec ses 3 titres alternatifs Broken Hearts and NosesThe XYZ Murders, and Crimewave et l’américaine de 82 minutes.

On appréciera les commentaires audio de Bruce Campbell et du réalisateur Michael Felsher (2013) et de Sam Raimi et James Flower (2021). Dans The Crimewave Meter (2013, 16 mins) Bruce Campbell revient sur ses premières collaborations avec Sam Raimi. D’autres témoignages complètent ces bonus, celui de l’acteur Reed Birnney (Leading Man, 2013, 16 min), de l’acteur et producteur Edward R  Pressman (Made in Detroit, 2013, 9 min), du critique et auteur Kim Newman (Rank Outsider, 2021, 10 min) ou encore du comédien, musicien e scénariste Rob Deering (Too Much for Comfort, 2021, 8 min). Reed Birney’s nous ouvre ses archives personnelles pour un On-set footage (1983, 12 mins) proposant de rares images du tournage.

 Et pour finir, Promotionel reel (1984) n’est rien d’autre qu’une version condensée en 14 minutes, inédite avec voix off unique, destinée à un usage industriel. En plus de 3 bandes annonces, d’une galerie photos, du scénario complet au moment de la pré-production, le livret de 36 pages propose une analyse d’Amanda Reyes, des extraits du livre de Bruce Campbell’s, If Chins Could Kill: Confessions of a B Movie Actor, un guide de James Flower qui étudie les différences entre le scénario et le film terminé, des extraits d’entretiens des acteurs et de de l’équipe, ainsi qu’un aperçu de la réception critique de l’époque. La sortie de Crimewave en Blu-ray chez Powerhouse est un décidément une aubaine pour ce qui reste l’un des meilleurs films de Sam Raimi.

Blu-ray édité par Powerhouse films
Le films possède des sous-titres en anglais uniquement.

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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