Cheap Thrills (USA, 2013) de E.L. Katz, DVD édité par Luminor

« Frissons pas cher ». On pourrait à peu près traduire comme ça le titre de ce film de E.L. Katz. Et on aurait envie même d’ajouter « Ils sont bons mes frissons ! » avec un ton de maraîcher histoire d’aguicher un peu le client. Racoleur serait un bon mot pour parler de Cheap Thrills, mais pas pour parler du film en lui-même, plutôt de ce qu’il s’y passe ou même en fait de ce dont ça parle.Bien à l’opposé d’un film racoleur, Cheap Thrills manie avec une étonnante limpidité une grande richesse de sens sous des apparences de simplicité. Bien souvent, on voit dans la simplicité un manque, un défaut. Mais la simplicité – bien maniée, a l’avantage par rapport au film très détaillé, puissamment construit et péremptoire, de ne pas parler que du spécifique et de l’unique, mais de renvoyer à une réalité plus complexe et dont les frontières sont poreuses. C’est le sort qui est fait au terme « racoleur » pourrait-on dire dans le film. Plus de détail, du grand spectacle, de l’esthétique à gogo et le film y plongeait pieds joints. La simplicité de Cheap Thrills est au contraire son meilleur atout.Deux anciens amis se retrouvent par hasard dans un même bar. L’un essaie de se maintenir dans le droit chemin, l’autre exerce des jobs moins vertueux, mais les deux sont en galère. Un troisième larron propose, pour l’anniversaire de sa femme, de les payer à faire des épreuves idiotes. Au fil de la soirée, une compétition s’installe entre les deux looser et la violence des épreuves augmente insensiblement.
Cheap Thrills s’apparente en fait à une émission de télé-réalité, mais débarrassée de son filtre « télé-« , révélant une réalité bien plus glauque que ce que le strass et les applaudissement laissent apercevoir au premier abord. La satire est d’autant plus puissante qu’à aucun moment dans Cheap Thrills n’est évoqué son homologue télévisuel, avec qui il dialogue pourtant constamment. Une fois réduit, simplifié, plus besoin de revenir dessus. Tous les éléments sont là : les candidats en galère (financière ou identitaire), l’animateur cynique agitant son pognon sous leurs yeux, la spectatrice indolente « qui-n’a-pas-l’air-d’y-toucher » mais ravie de la surenchère, les épreuves dégradantes.Bien sûr Cheap Thrills ne s’arrête pas là, et son sujet n’est pas la télé-réalité ; il s’agit vraiment d’un dialogue, d’une tension que le film entretient et qui maintient le spectateur dans un état de stupéfaction où les frontières tv/réel/film sont perturbées. Ces trois niveaux imbriqués créent une richesse dans le film et rendent possible une lecture plurielle (où le spectateur choisit-il de se situer ?) en même temps qu’une interrogation transversale sur la valeur de la vie.Pris dans la dynamique impacable de la compétition, où chacun joue son salut (un gros paquet de blé) mais où le sort de chacun dépend de l’autre, une alternative est-elle possible ?
Si on envisage la question sur un plan moral, quitter le jeu paraît bien la meilleure solution : refuser de se soumettre aux règles ineptes et conserver son honneur, respecter autant l’autre que soi-même. Mais sur le plan économique, quitter le jeu paraît une chose insensée. Que sont quelques épreuves salissantes contre la perspective de passer désormais des jours tranquilles. Peu importe leur saveur si les billets sont là. La question finalement pourrait se poser en des termes plus abruptes : à quoi nous servent encore l’honneur, la morale (qui ne nourrissent pas) ?Par son caractère dépouillé, Cheap Thrills se permet une brutalité qu’un scénario ou un univers plus développé aurait amoindri ou rendu « racoleuse ». Il enfonce le clou bien profond, soulevant un véritable problème moral, celui, corrélatif de l’honneur, de la soumission, qui, bien loin d’être unilatérale, engage toutes ses parties (les riches cyniques et voyeurs et les pauvres voulant devenir comme eux) dans un monde vide de sens, où l’individu, bien que paradoxalement vanté par l’idéologie du dépassement de soi, ne s’appartient plus et devient misérable.
Non, mais quand même… qui est misérable avec 250000$ ? (G.W)

 


 

Henry, portrait d’un tueur en série (USA, 1986) de John McNaughton, dvd sorti chez Opening

Réalisé en 1986, le premier film de John McNaughton n’est sorti aux Etats-Unis que quatre ans plus tard, après des démélés avec la censure qui le bloquait pour son ultra violence. Presque 20 ans après Henry, portrait d’un sérial killer dérange toujours autant, dans son traitement réaliste, son absence d’humour, le grain crasseux de son image et tout le désespoir qui s’en dégage.
Il est à ranger pas très loin d’autres œuvres qui ébranlent par leur dimension quasi documentaires telles
Maniac de William Lustig, de Schizophrénia de Gérard Kragl, avec qui il partage d’ailleurs une électronique lancinante. Mais c’est peut-être plus encore du côté d’Abel Ferrara qu’il faudrait se pencher, moins celui de Driller Killer, que de Bad Lieutenant, avec cette vision écrasante d’une ville-monstre qui génère ses créatures, de ce monde totalement vide et froid. Car s’il est l’incontestable héritier de certaines œuvres cultes de séries –b  d’horreur underground suivant pas à pas des psychopathes hagards et leurs méfaits dans les bas-fonds des mégalopoles, il reste également un formidable portrait de la misère sociale et de ses répercutions. Si Henry est bien le portrait d’un serial killer, il est aussi celui de la pauvreté fait homme, de la dégénérescence et des laissers-pour-comptes.  La grande force d’Henry tient à l’incarnation de son personnage, totalement insondable, sans motivation – au-delà de ce qu’on suppose un trauma de l’enfance –  si ce n’est cette pulsion d’oter la vie, attirance primaire d ‘en finir avec les autres. Un gouffre. Dans l’ensemble le cinéaste ne filme pas les crimes en direct, mais c’est lorsque un autre tiers intervient, la caméra-meurtre qui filme les tortures et les diffuse sur une télé de mauvaise qualité encore plus neigeuse que l’image originelle que la terreur étreint le spectateur, le plongeant dans le regard du regard, dans la vision d’une agonie toujours renouvelée, en « rewind ». Henry reste un grand film de terreur « VHS », bien plus agressive et intelligente que l’ensemble des found footage qui suivront.
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Après, avoir travaillé à la télé et être passé par la case « Masters of horror » avec un beau Haeckel’s Tale, Johh MacNaughton a réalisé en 2013, The Harvest avec Michael Shannon et Samantha Morton, retour au cinéma de genre et au cinéma tout court. On espère qu’il ne restera pas inédit.
Opening nous propose une belle édition d’Henry avec un nouveau master HD, ainsi que de nombreux bonus : un making of, des scènes coupées, une Conversation entre John McNaughton et le critique Nigel Floyd (22′), un doc sur le film et la censure en Grande-Bretagne, un autre sur le vrai Henry Lee Lucas, ainsi qu’une présentation du story-board. (O.R)

 


 

Sacrifice – Burning Bush (République tchèque, 2013) d’Agnieszka Holland, dvd sorti chez les Editions Monparnasse.

La très belle mini-série d’Agnieszka Holland, Sacrifice  (Burning Bush) évoque une page historique  tourmentée de la Tchécoslovaquie et en particulier l’immolation par le feu de Jan Palach, un étudiant de 23 ans, pour protester contre l’invasion Russe, et les événements qui s’en suivirent. Burning Bush va s’attacher au destin de la jeune avocate Dagmar Buresová qui défendit la famille Palach par la suite, alors qu’un homme du gouvernement communiste, s’acharnait à le diffamer et identifier son sacrifice à un acte de manipulation et un jeu qui aurait mal tourné.Burning Bush fait judicieusement ressentir la tragédie collective à travers ces luttes individuelles. Dans cette fragilité, ce désespoir, cette colère des regards, la cinéaste parvient à reconstituer une période de manière intime et réaliste, avec un lyrisme mesuré mais palpable.
Le fait qu’Agnieszka Holland soit passée par l’école de cinéma FAMU de Prague dans cette même période n’est sans doute pas étranger à l’authenticité de Burning Bush et l’émotion qui s’en dégage à laquelle contribue fortement la musique de Antoni Lazarkiewicz. Le spectateur vit cette lutte de chaque jour pour la liberté d’un pays, happé par les événements. Les acteurs, en particulier ceux qui incarnent les étudiants, ont la beauté et la véracité de la jeunesse. Quant à Tatiana Pauhofová (Dagmar Buresová), elle est juste prodigieuse en femme portée par sa quête vaine et éperdue. La photo ternie se rapprocherait de cette atmosphère dépressive et humide – un peu grise, un peu verdâtre –  typique de l’esthétique des pays de l’Est, telle qu’on la trouvait chez Kieslowski et son Décalogue. Presque sépia elle vire parfois au noir et blanc pour se confondre avec des documents d’archives.  Mais elle renvoie également à la vision initiée par Fincher sur Zodiac de ces années 70 dénuées de ses couleurs. Agnieszka Holland partage d’ailleurs avec le cinéaste américain cette attention toute particulière apportée à la durée, dans cette lente et pénible avancée, recherche de preuves, cette investigation foulée aux pieds par l’iniquité, donc vouée à l’échec. Sorti en République tchèque dans une version remontée pour le cinéma Burning Bush vient de rafler presque toutes les récompenses des « Lions tchèques », sorte d’équivalent des Césars là-bas.  Elle y a déclaré : « Le combat pour la liberté et les droits de l’homme n’est jamais gagné d’avance, nous sommes toujours obligés de défendre ces valeurs. On le voit aussi ces jours-ci, sur le Maïdan, à Kiev« . Avec Burning Bush, l’inégale Agnieszka Holland signe probablement son meilleur film, beau et essentiel  : un acte tout à la fois politique qu’artistique. (O.R)


La guerre des yokais (Japon, 2005) de Takashi Miike, dvd sorti chez HK vidéo


Avec
La guerre des Yokais Takashi Miike emprunte à nouveau la voie du remake-hommage (après 13 assassins ou Harakiri par exemple) en reprenant la trame d’un classique du film pour enfants de 1968. Curieux objet en réalité que ce mélange de monstres traditionnels et d’effets numériques, de recherches vidéastes, d’apparitions en live d’acteurs déguisés en monstres. C’est une œuvre aussi bancale, qu’étonnante et inclassable tout aussi folle qu’enfantine, dans laquelle un petit garçon pénètre dans le monde mystérieux des yokais pour y apprendre à devenir un chevalier mythique.
Ce fou de Miike se jette pleinement – et librement – dans la création de cet univers cher au mangaka Mizuki, il le cite, il nous amène visiter son musée et le catalogue de monstres merveilleux y est fascinant.
Si l’on est partagé à la vision de ce mélange incertain d’effets digitaux et de réelles trouvailles poétiques qui ne cessent de se confronter, La Guerre des Yokais finit par l’emporter par sa sincérité. Quelque part entre un Sushi Typhoon et les folies colorées du Jigoku de Nakagawa, le film de Miike est justement particulièrement intéressant dans cet entremêlement des contraires, cette propension à faire dialoguer constamment des imaginaires d’ère différentes.
Revoir Chiaki Kuriyama (Battle Royale, Kill Bill) en méchante sorcière fait partie du plaisir de La Guerre des Yokais, tout comme son catalogue de monstres fabuleux.
En plus de l’édition simple DVD du film de Miike, HK vidéo nous gratifie également de la sortie d’un coffret regroupant en plus du remake les trois films des années 70 : La Guerre des Yokai, La Malédiction des Yokai et La Légende des Yokai. (O.R)

Red lights (USA, 2012) de Rodrigo Cortés, dvd et blu-ray sorti chez Metropolitan video

Ça devient une fâcheuse habitude.
Red Lights
Après l’excellent Buried, modèle de claustrophobie, dans lequel l’unité de lieu – une caisse en bois dans lequel est enterrée son héros – créait un climat anxiogène particulièrement efficace, on était plutôt impatient de découvrir Red Lights, troisième long métrage de Rodrigo Cortés. Bien que plus classique que son prédécesseur Red Lights est un excellent thriller parapsychologue, comme ils fleurissaient dans les années 80-90, qui tient en haleine jusqu’au bout, prenant bien soin de nous entrainer vers le fantastique sans jamais nous y plonger totalement.
En cela Rodrigo Cortes rend parfaitement hommage à ses modèles, rappelant parfois le Fury de De Palma dans sa manière d’intégrer le surnaturel au thriller, et de s’attarder sur l’étrange psychologie de ses personnages. Plus encore, il rappelle parfois le formidable et encore trop méconnu Maître des illusions de Clive Barker, lorsqu’il s’attache à troubler le spectateur par ses mirages, ne sachant plus vraiment dans quel versant il se trouve, entre la prestidigitation et la magie. Particulièrement soigné formellement, dans un beau cinémascope, il nous entraine sur les pas de deux physiciens (Cillian Murphy, et Sigourney Weaver) sceptiques toujours prêts à démasquer les charlatans en surnaturel et psychologie et confronté au grand maitre Simon Silver (Robert De Niro), véritable gourou tordeur de cuillère et manipulateur-liseur de pensées, qui galvanise les foules et convainc les plus sceptiques. Ajoutons à cela un casting parfait, dont un Robert De Niro enfin convaincant (il était temps) et effrayant, et une Elizabeth Olsen (Marcy May Marlene, c’est elle) particulièrement mimi dans un rôle trop secondaire : nous avons un beau film entre-deux-eaux hautement recommandable. Au-delà du suspense parfaitement agencé Red Lights constitue également une belle réflexion sur la société du spectacle, le caractère pernicieux de médias omniscients, manipulateurs et laveurs de cerveaux et peut se révéler parfois effrayant. (O.R)

 

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