Alors qu’a priori, comparé à l’œuvre la plus métaphysique et cérébrale de Bergman, Fanny et Alexandre aurait pu paraître un peu académique dans la majesté de ses décors, sa photo chatoyante, son atmosphère de saga familiale houleuse, il apparaît plus que jamais maintenant comme un chef d’œuvre définitif, une sorte d’accomplissement jonction entre son Art et sa vie, dans lequel l’apparat du cadre et de la reconstitution ne font que soutenir toutes profondeurs introspectives, comme un parfait simulacre. Rares sont les cinéastes qui parviennent à ce point à nourrir leur œuvre de leur propre enfance, à donner un souffle romanesque à la vie reconstituée. On suit Fanny et Alexandre avec délice, on retrouve les regards illuminés par les lumières des fêtes familiales, on capte ses peurs aussi, et la manière dont l’enfant observe et appréhende le monde adulte. D’une densité thématique absolue, Fanny et Alexandre est également un splendide portrait de femme. Fanny et Alexandre est l’une des plus grandes œuvres sur le temps qui passe, les heures révolues, thème cher au maître suédois. Comme dans Les Fraises sauvages, les aiguilles des horloges semblent déjà prévenir l’enfant que la mort attend. On privilégiera la version longue de 5h à la courte qui fut imposée à Bergman au cinéma, puisqu’elle y trouve un rythme naturel éblouissant, une construction en actes fascinante. Curieusement, l’ennui risque plus de pointer son nez sur la version courte qui s’en trouve presque déstabilisée par ses coupures essentielles à la narration. Fanny et Alexandre est donc une œuvre qu’on a envie de faire respirer à tout le monde, et d’autant plus à tous les âges, qu’elle opère une résonnance bien différente que l’on ait 10, 40 ou 70 ans. On guettera le regard de ses propres enfants, avides de leur réactions, et nous rappelant les notre lorsque nous l’avons découvert au même âge. Contemplant cette merveille, nous nous apercevrons que l’émotion ressentie, est encore plus intense tandis que nous avons vu à notre tour notre visage changer, et qu’il nous est désormais impossible d’être ce petit Alexandre caché sous la table et observant les statues prendre vie. A le revoir maintenant, dans toute sa splendeur, s’interroger sur la vie, les disparitions, les plaisirs éphémères, les sensations fuyantes, on ne peut s’empêcher de penser – un peu à la manière de The Dead de Huston – que le véritable film testament de Bergman était là. Il appartient à ces merveilles qui évoquent la splendeur fugitive de l’existence, cette flamme si intense et si rapide à se consumer. (O.R)
Heureuse nouvelle que cette sortie en Blu Ray de l’opéra-rock du flamboyant cinéaste anglais, hommage bienvenu pour savourer comme il se doit une déflagration plastique de 101 minutes. Sorti en 1975,Tommy est adapté de l’opéra éponyme, premier du genre, créé par The Who en 1969, né de la rencontre entre Pete Townsend, guitariste et compositeur du groupe et Robert Stigwood, producteur de cinéma, puis de spectacles ( Jesus Christ superstar…). Il produira Grease par la suite. Quel meilleur réalisateur pour le porter à l’écran que l’inspiré Ken Russel, déjà auteur de films musicaux déjantés tels The Music Lovers ( sur Tchaikovsky ), Malher et Lisztomania ? Il fallait au moins l’inspiration prophétique du réalisateur britannique pour mettre en images cette trame bien chargée.A six ans, Tommy surprend l’assassinat de son père, présumé mort au front, par l’amant de sa mère. Il est convaincu par le couple fatal qu’il n’a rien vu, rien entendu et ne parlera pas. Il devient aveugle, sourd et muet. Sa mère essaye désespérément de le guérir. Un jour, en jouant au flipper, Tommy a une révélation… Il retrouve ses sens et devient le nouveau messie. Le film est une relecture délirante du complexe d’Œdipe, dynamitée par un esprit libertaire, outrageusement baroque, avec des scènes-cultes comme celle de l’église pop, où des infirmes et leurs familles viennent prier des Marylin géantes en plâtre ; Ann Margret (la mère) se roulant dans la nourriture, ensevelie sous un océan d’haricots, recrachés par la télé, etc… Le casting est à la démesure du projet : outre, Roger Daltrey ( chanteur des Who), il comprend un habitué de l’oeuvre de Russel, l’inquiétant Oliver Reed qui vient de faire scandale dans le controverséLes Diables, la danseuse Ann Margret qui irradie (entre autres) >Viva Las vegas, mais aussi Tina Turner en sulfureuse Acid Queen et Jack Nicholson qui campe ici un psychiatre retors, la même année où il accomplit le >Vol au dessus d’un nid de coucou. Inscrit dans son époque, le film convie aussi des vedettes plus « datées » comme Eric Clapton, Elton John. Jouant savamment sur l’air du temps – l’opéra rock et les Who étaient très prisés- et faisant ses gammes pour sa propre partition, ô combien singulière, Ken Russel connaît son plus grand succès : le film couta environ cinq millions de dollars et en remporta trente. Il est à la fois une pépite musicale très ancrée dans les seventies, quasiment un porte-parole générationnel et un nouvel opus très personnel d’un cinéaste merveilleusement obsédé par sa quête visuelle.Bien qu’il soit une adaptation, Tommy synthétise le gout de Ken Russel pour les scènes prouesses et les compositions ultra chiadées, faisant de lui une sorte de cousin british de Jodorowsky, également maître des défis de mise en scène et des plans picturaux. Qu’on goute ou non à la musique des Who, à l’histoire emberlificotée, qu’on trouve le film chargé jusqu’à l’indigestion- le kaléidoscope d’images flirte sans scrupules avec le kitsch- Tommy ne peut laisser indifférent, tant il explose avec brio tous les codes. Une expérience cinématographique psychédélique en diable… (X.B)
After Earth de M. Night Syamalan (USA, 2013) – Sony
Autant il nous était apparu opportun de défendre la beauté négligée du sous-estimé Dernier maître de l’Air, autant on peut reconnaître que sur ce coup là, M. Night Shyamalan n’ajoute qu’un projet très mineur à sa filmographie. Même si le metteur en scène n’est plus en odeur de sainteté avec les studios, le public ou la critique, il fut signifiant de constater à quel point After Earth s’est avéré le film où il s’est retrouvé le plus en retrait depuis l’avant-Sixième Sens, jusque dans la promotion même qui cette fois excluait quasi totalement son nom des différents matériels (alors qu’à l’instar d’un Carpenter, il avait pu parfois être associé au titre du film même). L’avantage c’est qu’il pourrait ne pas avoir à souffrir tant que cela, cette fois, de la gamelle au box-office… A la sortie, les débats se sont polarisés sur Will Smith et sa nouvelle association avec son fils, ainsi que sur certaines correspondances possibles avec la scientologie et les écrits de Ron Hubbard. Pourtant, After Earth est loin du ridicule d’un Terre Champs de Bataille, et son aventure autour de la croyance et du dépassement est même moins chargée que dans les touts précédents opus du réalisateur, pour ceux qui y auraient trouvés un caractère messianique un peu dérangeant. En service commandé ou bridé (au choix), Shyamalan semble simplement ne pas avoir plus d’ambition que celle de nous livrer ses thématiques en miniature, dans un récit qui a un fort goût de « Littérature jeunesse », dans son versant le plus linéaire… L’ensemble du film possède certe une certaine humilité, un premier degrés appréciable, et toujours quelques astuces élégantes de mise en scène. De même le film s’exclut plutôt agréablement du rythme et de la construction propre aux blockbusters estivaux, fidèle en tout et pour tout à son motif ténu : un père qui téléguide à distance son fils, dans une aventure initiatique moins marqué en rebondissements que par son atmosphère d’isolement, le tout marqué par quelques étapes symboliques voir assez illustratives, et un trauma minimaliste… Il n’en reste pas moins que Shyamalan s’efface ici presque plus qu’un Proyas dans I Robot, pour servir sans la transcender la partition bien évidemment supervisée par l’acteur / producteur. Cette mise en retrait caricature un peu les figures propres au cinéaste qui semble difficilement épanoui en tant que simple artisan, à l’instar de la musique cette fois-ci peu inspirée de James Newton Howard. Les thématiques sont par ailleurs un peu trop immédiatement proches de celles du Dernier maître de l’Air, mais dépourvu cette fois de grain de folie opératique dans le dernier tiers, sans ces moments de mise en scène inventifs, transperçant la pure mécanique à personnages de la fantasy. Sur le plan narratif, Shyamalan suit les bornes d’un scénario qui n’est pas entièrement le sien, ce qui sera apprécié pour ceux qui trouvaient son précédent opus catastrophique à ce niveau. Les envolées cinématographiques, elles, attendront… Dans La Jeune fille de l’eau, le système du réalisateur tournait à vide de par un délire théorique et conceptuel radicalisé, nourri de persécution et par la surconscience de son propos. Ici aussi, l’esthétique et la narration de Shyamalan perdent beaucoup d’impact, mais il est amusant de constater à quel point ce sont pour des raisons cette fois-ci entièrement opposées… Trop libre ou pas assez : dans les deux cas de figure, la position ne lui va guère. (G.B)
Contrairement au film, un Blu-ray de blockbuster très classique, essentiellement blindé de featurettes promotionnelles. Fini le temps où Shyamalan laissait des courts métrages d’enfance dans les bonus de ses DVD…
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