Voici de belles sorties DVD et Blu Ray de décembre 2012, ou comment finir l’année en beauté ! Rendez-vous en 2013 pour de nouvelles aventures !
La Servante (Corée du Sud, 1961) de Kim Ki Young – dvd et blu-ray édités par Carlotta
Après sa sortie en salle cet été, Carlotta édite logiquement la version intégrale de La Servante en Blu-Ray et DVD cet hiver. Si les éléments restaurés retrouvés sont techniquement imparfaits à la base (quand la transposition numérique du matériel bien connu est assez sidérant), ils permettent de proposer le film dans une vision optimale, alors que des bobines avaient été perdues durant de longues années. Si La Servante est un film phare et étendard de l’histoire du cinéma coréen, c’est parce qu’il a été réalisé pendant une année charnière (1961) où la censure du Sud connaissait un certain relâchement… De fait si le cinéma de Corée du Sud ne manque pas d’intérêt antérieurement à la fin des années 80, l’œuvre de Kim Ki-young comme quelques autres reste un témoignage assez unique de ce qu’aurait pu être une totale liberté à cette époque.
Alors que la Nouvelle Vague européenne sévit et que son pendant japonais n’a pas vraiment commencé, La Servante évolue résolument à part : c’est une tragicomédie d’une bourgeoisie fragilement installée qu’on aurait un peu facilement envie de relier à Buñuel bien qu’elle tienne peut-être plus du film cerveau et du baroque à la Kubrick : l’œuvre reste surtout simplement inclassable aujourd’hui, même après son récent remake léché paradoxalement plus banal, tant le propos est violent. Kim Ki-young nous trompe d’emblée dans un piège narratif où la véritable héroïne, comme un virus, se déploie sur le tard, émergeant au-delà d’un banal récit de démon de midi (escamoté rapidement bien que très cruel). Il s’en suit un dispositif claustrophobe où la maison du jeune ménage « modèle » mais précaire devient une toile d’araignée et un jeu de surface vertigineux : le film plastiquement en sort de la pure charge contre une société néo-confucéenne archaïques et destructrice pour les femmes. Avec un humour féroce et assez cynique, le réalisateur conçoit surtout la pulsion de mort inhérente à ce modèle social et familial, agité comme un fantasme et simulacre : le spectateur voyeur à travers ces murs et ces fenêtres, c’est aussi le spectateur piégé dans l’observation et les commentaires des mœurs de ses proches. (G.B)
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Carlotta présente le film d’une manière on ne peut plus complète, avec un module de 29 minutes consacré à la restauration du film, et un autre de 48 minutes qui via plusieurs réalisateurs coréens de la nouvelle génération nous invite à redécouvrir Kim Ki-young et sa filmographie qui reste encore méconnue au delà de ce titre. N’oublions pas qu’avant le remake d’Im Sang-soo, il livra lui même deux autres variations sur La Servante.
Koyaanisqatsi (USA, 1982) de Godfrey Reggio – Blu Ray édité par Koba Films
Premier film de la trilogie des Qatsi de Godfrey Reggio, Koyaanisqatsi constitue une radiographie muette de l’humanité, telle qu’elle se présente au XXème siècle de notre ère, soit un peu plus de 4,6 milliards d’années après la formation de la Terre.
En soit, le visionnage du film constitue une épreuve. L’absence de toute forme de discours (sinon le sens du titre, qui nous est donné à la fin) déplace celui-ci vers le spectateur, qui est amené à adopter une position contemplative qu’il n’adopte jamais au quotidien, et au sein de laquelle il pourra les éprouver, tout en étant éprouvé par elles.
Constitué d’une multitude de séquences présentant des phénomènes soit naturels soit humains (du grand Canyon à une usine de saucisses), Koyaanisqatsi fascine parce qu’il bouleverse notre perception du monde, en changeant d’échelle, soit dans l’espace, soit dans le temps. Il nous amène à voir le monde autrement que depuis notre corps (physique et social) aux préoccupations locales. Le grandiose des phénomènes naturels devient effroyable transposé à l’activité humaine. Autoroutes, fusées, explosion, villes, immeubles, population, tout devient étouffant, écœurant. Trop trop trop !
Mais il ne faut pas voir dans Koyaanisqatsi qu’une charge écologique par trop naïve. C’est tout d’abord un très grand film de montage, les séquences les plus hétéroclites se succèdent avec précision et fluidité. La musique de Philip Glass fait beaucoup également pour la cohérence du film, et la puissance de ses images que la partition porte véritablement dans des sphères tour à tour intimes, spirituelles, métaphysiques ou au contraire très physiques.
Puis, Koyaanisqatsi se dit très peu. Il a quelque chose du regard que pourrait porter un extraterrestre arrivant sur notre planète et étudiant nos moeurs. Cette dimension anthropologique trouve sa légitimité dans la récurrence de motifs humains (la tour, le quadrillage, les tubes) à plusieurs échelles de son activité. La chair à saucisse sortant des tuyaux devient le flux des voyageurs émergeant des escalator qui devient celui des voitures sur les changeurs d’autoroute.
L’image est donnée d’un homme qui s’approprie le monde, et qui l’investit à tous les niveaux, dans un mouvement de génération quasi exponentielle. L’humain est cela, et vous êtes humains (rappelez-vous).
Et au milieu de cela, vous êtes seuls.
Koyaanisqatsi est donc bien sûr un film militant, écolo, quasi politique, mais plus que ça, c’est une expérience de nous-mêmes. Que dit-je, que fais-je, que suis-je ? (G.W)
Chambre avec Vue / Retour à Howard’s End (GB, 1985 /1992) de James Ivory – blu ray édités par MK2
Depuis des décennies, le qualificatif de « plus britannique des cinéastes américains » poursuit James Ivory, d’abord, comme un compliment puis comme une malédiction au point que lui-même se soit replié dans un académisme suranné, et que ces dernière œuvres – peu enthousiasmantes il est vrai – soient passées quasi inaperçues. Certes le choix de son casting y est souvent pour beaucoup (Redgrave, Hopkins, Thompson… etc) Mais a-t-on songé à définir Edith Wharton ou Henry James comme les plus britanniques des écrivains américains ? Etre raffiné, exceller dans les études de mœurs, et s’intéresser aux drames enfouis sous la beauté des robes et le luxe des appartements est-il donc l’apanage de l’Angleterre ? Ce serait également oublier toute une période, l’un des plus intéressantes du cinéaste, la plus significative de sa collaboration avec Ruth Prawer Jhabvala qui commence dans les années 60 jusqu’en 1970 et s’intéresse aux rapports entre indiens et américains, avec en filigrane le spectre de la colonisation. Toujours est-il que la sortie en blu-ray de deux des meilleures œuvres de James Ivory dans sa période Forster permet un peu de remettre en lumière les qualités d’un réalisateur un peu facilement au rang de cinéaste engoncé dans ses reconstitutions académiques.
Deuxième adaptation de l’écrivain E. M. Forster, Chambre avec Vue reste à ce jour l’une des plus belles œuvres « victoriennes » de James Ivory dans laquelle Helena Bonham Carter offre toute la fraicheur des débuts à son personnage de Lucy, découvrant l’amour à Florence sous les traits du jeune Julian Sands alors qu’elle est déjà destinée à l’ennuyeux Cecil (Daniel Day Lewis). Au fil des visions, Chambre avec vue respire toujours la même beauté juvénile, portée par la fascination enjôleuse de l’Italie, la musique de Puccini et les douces remontrances de son chaperon joué par Maggie Smith. On ne s’en lasse pas et c’est sans doute cette musique là que l’on préfère chez Ivory. Nous aurions nous aussi aimé connaître la beauté d’un tel premier amour, au même endroit. La légèreté de Chambre avec vue, la féérie de cette histoire qui finit bien, fait toute sa saveur et sa splendeur et nous buvons à nouveau le film jusqu’à la dernière goutte.
Marquant la première collaboration avec Anthony Hopkins et Emma Thompson, Retour à Howard’s End adapte une nouvelle fois Forster, mais le tableau s’assombrit car l’œuvre est particulièrement tourmentée. A travers le destin de Margaret et Helen Schlegel (Emma Thompson et Elena Bonhem Carter) aux idées bien trop indépendantes pour la société à laquelle elles appartiennent, Ivory évoque la difficulté de l’émancipation féminine, la cruauté d’une société mondaine aussi impitoyable qu’artificielle. C’est également une œuvre remarquable sur la lutte des classes dans laquelle la rencontre des sœurs Schlegel – issue de la bourgeoisie modeste – avec la famille Wilcox acquiert une dimension symbolique évidente. La rencontre de Margaret avec Ruth Wilcox , femme aussi émancipée qu’elle déteignant dans sa propre famille de haute bourgeoisie capitaliste, la tire socialement vers le haut lorsque cette dernière lui lègue son domaine sur son lit de mort, entre reconnaissance et provocation et dès lors, les Wilcox n’auront de cesse de corriger cette faute . Pendant ce temps, l’amour secret de l’excentrique deuxième sœur pour l’employé d’assurance Leonard Bast, crée un lien avec la troisième classe, celle des travailleurs et des floués. Ivory, fidèle à Forster place ses personnages dans un bocal et les regarde s’ébattre. Malgré une fin plutôt heureuse, Howard’s End est une œuvre anxiogène, tendue à bloc, dans laquelle le poids des conventions y écrase les plus courageux et où les perdants restent les plus pauvres. Howard’s End n’a rien perdu de sa force. L’interprétation y est parfaite, la photo de Tony Pierce-Roberts somptueuse. Il y règne un climat presque mortifère qui trouvera son apogée dans Les Vestiges du jour. (O.R)
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Très bon travail que celui des éditions MK2 sur ces blu-ray. L’image est impeccable et les bonus à l’unisson, en particulier des entretiens avec James Ivory et Ismail Merchant, des rencontres avec les costumières et les décorateurs pour Howard’s End, une interview de Daniel Day Lewis et un portrait de Forster pour Chambre avec Vue. Bref, deux très belles sorties.
Twixt (USA, 2012) de Francis Coppola – DVD et Blu Ray édité par Pathé
Twixt, est juste l’histoire d’un artiste qui raconte une histoire d’artiste perdu dans son processus créatif, semblant se créer au fur et à mesure que l’écriture avance. Ecriture du cinéaste, composition de l’écrivain s’entremêlent et se confondent. Jamais film de Coppola n’aura autant été sur Coppola. Film majeurs de 2012, il vient confirmer – comment, vous n’avez pas encore vu Killer Joe ? – que les vieux cinéastes révèlent parfois une seconde jeunesse surprenante en offrant des propositions libres et novatrices. La renaissance de Coppola amorcée avec L’homme sans âge et Tetro resplendit plus que jamais dans Twixt, histoire d’un cinéaste revenant aux origines de son cinéma et de son passé d’homme. Celui qui débutât au sein de l’écurie Corman se jette dans la réalisation d’une série B à l’ancienne dans laquelle le héros discute avec Poe tout en enquêtant sur un crime mystérieux guidant son inspiration et l’entrainant dans les méandres de sa culpabilité. Il y mêle avec un brio ahurissant cinéma d’exploitation et veine plus expérimentale telle qu’on avait pu la voir dans Rumble Fish ou Coup de cœur, laissant toujours cette sensation rare de redécouverte du cinéma, d’un artiste s’éveillant pour la première fois à ce nouvel Art. Mais ce qui paraît le plus inédit, le plus singulier dans Twixt est probablement cette légèreté feinte d’un objet qui s’affirmerait presque comme anodin, ou mineur – un sujet de film d’horreur pour drive in – pour se plonger la tête la première dans les méandres autobiographiques les plus douloureux et régler ses comptes avec ses hantises et sa culpabilité – et plus particulièrement le souvenir de la mort de son fils lors d’un accident de hors bord, reproduit quasiment plan pour plan dans le rêve éveillé de Twixt. Twixt offre ainsi le choix d’être à la fois amusé et bouleversé, les aventures de cet écrivain en mal d’inspiration et miné par la mort de sa fille ne cessant de jouer sur les deux tableaux, celui du pur film de genre et de la retranscription du moi. Voilà pourquoi Twixt est aussi étrange qu’émouvant, jouant la carte du petit conte, pour mieux nous atteindre ailleurs. (O.R)
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Rien à signaler sur le transfert, excellent. Pas grand grand-chose à se mettre sous la dent niveau suppléments, si ce n’est un making of ainsi qu’un petit document filmé lors de l’avant-première du film à Paris. On regrettera juste que les éditeurs n’aient pas inclus les versions 3D des quelques scènes tournées avec cette technique par Coppola, qui étaient ludiques et astucieuses.
Tess (GB, France, 1982) de Roman Polanski – DVD et Blu Ray édités par Pathé
Lorsque le pasteur Tringham, un historien local, déclare à un fermier de la région, John Durbeyfield que sa famille descendrait probablement des D’Urberville, ce dernier entrevoie le moyen de retrouver la fortune qui lui a été interdite durant toute sa vie. Il envoie la douce Tess faire sa demande auprès de son « cousin » Alex, qui l’engage dans sa belle demeure, avant de la violer et de la laisser enceinte. Commence ainsi la tragique histoire d’une des plus belles héroïnes de la littérature romantique. Est-il nécessaire de présenter à nouveau le chef d’oeuvre de Polanski qui ressort en dvd et en blu-ray dans une magnifique copie restaurée ? Tess reste le modèle de l’adaptation de l’oeuvre de Thomas Hardy, tout comme modèle il est en matière de film romantique, loin de l’académisme et de la douceur des étoffes, mais prêt de la cruauté du monde, du déchirement des âmes et du drame de la condition féminine au 19e siècle. Polanski restitue à merveille le tragique inéluctable de Thomas Hardy et livre un film illuminé par la présence alchimique de Nastassja Kinski. On ne se remet ni de la photo de Ghislain Cloquet, ni de la musique de Philippe Sarde. L’émotion vous prend d’autant plus à bras le corps que Polanski, épaulé par le fidèle Gérard Brach, évite toute tentation mélodramatique. La figure de l’inéluctable traverse l’œuvre, comme l’image d’un destin scellé quels que soient les choix – et les illusions de ses personnages. Les scènes d’anthologie ne manquent pas dans Tess : fête champêtre pleine de rubans et de robes blanches sur laquelle tombe la nuit, jeune pasteur amoureux faisant traverser Tess qui la regarde ébahie, bouche enfantine croquant des fraises dans la main du tentateur, Tess attendant son heure endormie à Stonehenge. Tess reste une œuvre merveilleuse dans laquelle Polanski ne renie pas pour autant la férocité ni la teneur anxiogène de ses œuvres précédentes. Car même s’il ne s’agit pas ici de folie ou d’appartements, Tess elle aussi est une héroïne de l’enfermement : enfermée dans une société patriarcale, enfermée dans sa condition de femme, et enfermée dans sa beauté… Polanski révèle l’actrice et la femme, y capte tout son naturel, la grâce des débuts, comme si la pureté du personnage s’accordait à la fragilité de l’actrice. Moment rare et sublime, inoubliable. En cela (bien que Kinski ait joué avec Wenders avant, par exemple) Tess fait partie de ses oeuvres de la première fois, dans laquelle certaines actrices, plus que de jouer un rôle fictif, semblent littéralement l’incarner en jouant leur vie. Tess a toujours été Nastassja Kinski. Nastassja Kinski sera toujours l’unique Tess. (O.R)
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Enfin nous pouvons revoir Tess dans un transfert digne de l’œuvre. Enfin nous pouvons admirer la subtilité du travail du directeur photo, tout en demi-teintes. La version digibook comprend en plus du blu ray et du dvd un livret plus joli que vraiment analytique. Un making of de 41 minutes vient compléter l’habituel documentaire de Serge July et Daniel Albin présent dans les précédentes éditions. Il revient en particulier sur le processus d’adaptation du roman de Hardy et le tournage.
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