Genre cinématographique à part entière, le thriller journalistique a depuis longtemps inspiré les réalisateurs, donnant naissance à de grands classiques (Les Hommes du président), de franches réussites (Pentagon Papers), mais aussi des films plus mineurs voire trop académiques (Spotlight). La collection Make My Day ! a décidé de mettre à l’honneur l’une des rares incursions hexagonales dans un courant majoritairement américain, en éditant en combo Blu-Ray/DVD le méconnu Le 4ème pouvoir de Serge Leroy. Réalisateur peu prolifique disparu prématurément en 1993, ce dernier a développé un cinéma à la fois engagé et populaire que Jean-Baptiste Thoret dans sa traditionnelle préface, met en parallèle avec celui d’Yves Boisset. Lorsqu’il s’attelle au long-métrage (son avant-dernière incursion sur le grand écran avant de se tourner vers la télévision), Leroy a derrière lui une filmographie riche en succès tels que La Traque, Légitime violence et la bizarrerie Attention, les enfants regardent avec Alain Delon. Il narre l’investigation menée par deux journalistes, Yves Dorget (Philippe Noiret) et Catherine Carré (Nicole Garcia), au sujet d’une mystérieuse vente d’armes à destination d’un pays africain en pleine révolution. Fidèle à sa réputation de frondeur, le cinéaste s’attaque ici aux liens politiques troubles qui unissent la France à ses anciennes colonies tout en croquant un milieu qu’il connaît bien, celui des médias.
En effet, comme le relève Thoret, le metteur en scène commença comme documentariste au sein de l’émission Cinq colonnes à la une, pour laquelle il couvrit l’assassinat de Kennedy depuis Dallas. Une expérience et une connaissance de l’univers dépeint qui transparaît à travers le rythme effréné de la première partie du film. La photo crue d’André Domage (chef opérateur de La Grande vadrouille) saisit parfois sur le vif, caméra à l’épaule, l’effervescence d’une régie ou d’un plateau de télévision, constamment dans l’urgence. Un plan suit ainsi une dépêche du Télex jusqu’à son annonce en direct. La porosité entre la police remplie d’indics et la presse avide de scoop abolit les frontières morales. Le criminel incarné par Michel Subor (inoubliable Petit Soldat pour Godard) se montre par exemple bien plus éthique que les reporters et les agents lancés à sa poursuite. Très moderne dans son propos, Le 4ème pouvoir ausculte également un changement de paradigme politique. Bien que centré sur un pays imaginaire et mettant en avant un groupe dissident à l’acronyme banal de FLNSR, le scénario aborde des problématiques contemporaines telles que la Françafrique, l’ingérence hexagonale, ainsi que la mainmise des industriels sur les pouvoirs étatiques. Dorget déclare d’ailleurs avec une certaine ironie « C’est pas forcément con un ministre. C’est impuissant, mais c’est pas con ». S’il n’est pas dénué de certains défauts, comme ces rebondissements prévisibles ou un manque de moyens qui donne à une séquence dans l’aéroport de Damas des airs de cache-misère, le long-métrage se penche sur la dichotomie existant entre deux grandes ères du journalisme avec une acuité certaine.
La fin des années 80 sonne l’avènement de la télévision privée. Les présentateurs de JT sont starifiés (Yves Mourousi en tête) et les chaînes deviennent des firmes comme les autres. C’est cette période de bouleversements que le film anticipe, comme le prouve le générique au visuel très daté, et dont le thème composé par Alain Bashung évoque un pastiche d’émission d’investigation. Une bascule du métier qu’a pu constater la coscénariste Françoise Giroud, précédemment à la plume sur Antoine et Antoinette de Jacques Becker, mais surtout fondatrice de L’Express et secrétaire d’Etat à la Culture de 1976 à 1977. Difficile de ne pas voir dans le duo de protagonistes un autoportrait déguisé où chacun incarne une facette de sa personnalité. Véritable cheffe d’entreprise qui gère son équipe d’une main de fer, reconnue dans la rue par les badauds, Catherine Carré joue de son autorité et de son image publique. Symbole d’un journalisme nouvelle génération où rester connecté 24h/24 est primordial (elle allume la radio dès qu’elle monte en voiture), elle prédit les chaines d’info en continu mais aussi leurs dérives. Ici, l’actualité s’écrit en direct, à l’image de cette séquence de prise d’otages couverte en même temps qu’elle se déroule, dans un montage alterné. Contrairement à l’apparente libéralisation de la profession (l’ORTF est alors dissoute depuis dix ans), Carré travaille pour un patron de chaîne qui obéit aveuglément aux ordres et injonctions du gouvernement. Les relations troubles entre la presse et les politiques étaient d’ailleurs déjà au cœur du premier long-métrage de Leroy, Ciel bleu, comme le rappelle Thoret. Confrontée aux interférences du pouvoir en place, la journaliste quitte le confort de son plateau pour redécouvrir le travail sur le terrain où opère Yves, où les articles sont dictés à une dactylo pendant que l’on a une arme sur la tempe, dévoilant le véritable cœur du film : la belle relation qui unit les deux protagonistes.
Il suffit d’un regard de la présentatrice à un écran de télé où apparaît le visage de Dorget pour laisser poindre toute sa tendresse, sa passion mais aussi son ressentiment. Au milieu d’un très bon casting, où se croisent notamment Jean-Claude Brialy, Roland Blanche et un jeune Pascal Légitimus, les deux stars campent d’ancien amants attachant et héritent des meilleurs dialogues. Évitant l’écueil du film dossier, Serge Leroy donne même à leurs échanges des airs de screwball comedy. Nicole Garcia, qui se frottera au cinéma de genre l’année suivante avec le très bon Mort un dimanche de pluie, tient tête à un Philippe Noiret, tout juste sorti du carton des Ripoux, parfait en amoureux déçu. Les reproches fusent, mais une véritable tendresse se dessine. Une alchimie certaine entre les deux acteurs, perceptible dans le making of présent en bonus, qui constitue le point fort du long-métrage et rend encore plus touchante leur opposition finale. Le cinéaste y dresse une frontière claire délimitant deux conceptions du journalisme. Entre la carrière et l’éthique, un choix doit être fait, quitte à décevoir l’autre. En résumé, Le 4ème pouvoir convainc plus dans sa peinture d’un couple diamétralement opposé par ses valeurs professionnelles et personnelles, que dans son enquête, quant à elle plus attendue.
Disponible en combo Blu-Ray / DVD chez Studiocanal.
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