Dans l’histoire du cinéma italien populaire, la trajectoire de Sergio Sollima est un peu à part. Cinéphile érudit et ancien critique, il réalise une poignée de films incontournables qui, par leur style et leurs thématiques constantes, tranche avec le stakhanovisme des artisans du bis, tout en n’étant pas considéré comme un auteur à part entière de par sa volonté de s’inscrire définitivement au sein du cinéma de genre. Une position délicate qui ne permet pas, avant longtemps, d’accéder à une reconnaissance malheureusement tardive.
Sergio Sollima lègue au moins cinq chefs d’œuvre : trois westerns avec Tomas Milian (Colorado, Le Dernier face à face et Saludos, hombre) et deux polars urbains, La Cité de la violence avec Charles Bronson et, surtout, La Poursuite implacable dont le titre original, Revolver, est préférable
Revolver s’ouvre par une séquence déchirante. Suite à un braquage qui a mal tourné, Milo Ruiz enterre sous un tas de pierre son ami, Jean Daniel, blessé au cour d’une altercation avec les représentants de l’ordre. La caméra s’élève et le générique débute avec une chanson d’une cruelle ironie,Un ami, chantée par Daniel Beretta, qui incarne Al Niko, chanteur pop pour midinettes. Sergio Sollima construit son récit de façon très théorique dans le premier quart d’heure présentant chaque personnage selon leur appartenance sociale.
La chance ne sourie guère aux voyous de seconde zone, la classe populaire la plus méprisable et méprisée. En toute logique, Milo se fait serrer et incarcérer. Plus veinard, Al Niko, ancienne petite frappe, est devenue une célébrité adulée par la jeunesse. Seulement, son passé trouble remonte à la surface pour avoir fricoté aux côtés de Jean Daniel et Milo quelques années auparavant. Il est convié à la morgue pour reconnaître le corps de son ancien ami. Une ambiguïté se dégage de ce personnage sur le fil du rasoir. Il symbolise une certaine idée de la réussite, une caricature du parvenu, marquée par une existence traversée de zones d’ombre. D’autant qu’il prétend que le cadavre est bien celui de son ami, pourtant enterré quelque part en Italie sous la caillasse. Troisième homme du film, Vito Cipriani, ancien flic, est directeur de la prison dans laquelle est enfermé Milo. Il vit avec une femme splendide. La première apparition de cet homme honnête le voit enlacer Anna lors d’une très belle scène, étreinte qui atteint une poésie pure, sorte de repos du guerrier avant que le récit ne démarre vraiment.
Ces trois individus, archétypes endossant chacun les attributs d’une classe sociale déterminée, permettent à Sergio Sollima d’étayer les bases de la dramaturgie de son scénario d’un pessimisme radical sous-tendu par une sensibilité à fleur de peau.
Le destin va évidemment les réunir, les confrontant chacun à leur propre dilemme moral. Le jour où Anna est kidnappée, Cipriani reçoit un appel anonyme lui ordonnant de faire évader Milo. Il organise l’évasion du prisonnier, mais, très vite, il se rend compte que cette situation n’est que la pièce d’un puzzle les impliquant dans un vaste complot autour de l’assassinat d’un magnat du pétrole mêlant des personnalités des deux côtés de la barrière.
Vito et Milo, enchaînés l’un à l’autre, vont se découvrir une conscience à travers leur fuite en avant. Sergio Sollima aborde à nouveau le thème de l’amitié comme dans Le Dernier face à face, mais sans le renversement idéologique et avec davantage d’ambiguïté. Dans ce contexte humain, le cinéaste tourne à la fois le dos aux fictions de gauche marqués par la démonstration et aux « poliziechi » droitiers tournés par Enzo G. Castellari et Umberto Lenzi. Il ouvre une brèche vers une vision sociale désenchantée à travers son polar urbain sombre et lucide, refusant tout manichéisme.
Le film tisse subtilement la naissance d’une amitié qui n’évolue pas par des discours ou des dialogues inutiles, mais par la simple puissance du cinéma. Tout passe par le regard du cinéaste, sa manière de rapprocher les acteurs pris dans un engrenage qui les dépasse. La complicité entre l’ex-flic et le petit délinquant se développe naturellement sans qu’on y prête attention, sans aucun artifice ou rebondissement. La force du film tient dans ce rapprochement que l’on sait pourtant illusoire. En ce sens, Sergio Sollima est le digne héritier de grands cinéastes hollywoodiens comme John Ford ou Howard Hawks, plaçant les personnages au centre de l’histoire. Dans le rôle de l’ex-flic, Oliver Reed, massif et animal, impressionne par sa présence, son obstination à retrouver sa femme. Il prend la mesure de l’injustice du monde par l’amour porté à un tiers. Et il va devoir choisir, renoncer à ses idéaux, pris dans la machine infernale du système, et, peut-être, au final tout perdre comme le suggère ce plan final sublime sur le visage d’Anna, plein d’amertume et de déception. Face à lui, Fabio Testi trouve là son plus beau rôle. Comme Solomon Bennet dans Le Dernier face à face, il se rend compte qu’il n’est qu’un pion, se découvre une conscience de classe. Il symbolise le héros pasolinien dans toute sa splendeur, celui qui n’a rien et qui, par le contact avec l’autre, voudrait changer le système. Milo n’est pas un martyr, mais une figure bouleversante du prolétariat écrasé.
Entre les deux, Sergio Sollima, homme de gauche, dénonce aussi les dérives de la société de consommation récupérant le rêve hippie à travers la silhouette assez détestable du chanteur pop, impliqué dans la sombre affaire. Et la chanson Un Ami laisse une empreinte forte teintée d’amertume.
Réalisé en pleine période des brigades rouges, époque tourmentée pour la société italienne, La Poursuite implacable se drape d’une réflexion nihiliste sur notre impuissance à changer le monde, doublé d’un polar haletant, sublimé par la partition inspirée de Ennio Morricone.
La mise en scène impressionne par sa capacité à prendre le pouls d’une ère révolue. Très incarnée quand elle utilise les décors naturels des villes, elle se révèle aussi abstraite lors de séquences nocturnes renvoyant aux classiques des films noirs des années 40. Dans ce foisonnement esthétique, entre brutalité documentaire et stylisation, Revolver se démarque haut la main de tous les thrillers italiens des années 70. Sergio Sollima n’a jamais recours aux effets à la mode tels que le zoom, le flou artistique ou les images déformées. Sa volonté d’épouser une forme classique sert à merveille une narration implacable, fusion harmonieuse entre l’intimité des rapports humains et la critique du système capitaliste.
L’épilogue, inéluctable, comprime le cœur, condense toute l’horreur des situations draconiennes auxquelles aucun être humain ne voudrait jamais être confronté et impose surtout Revolver comme un grand film politique, émotionnellement inégalable.
Le combo DVD/Blu-ray de M6 vidéo propose le film dans deux versions, le montage français et le montage italien. Certaines scènes sont manquantes, la version intégrale étant devenue très rare. Mais cette petite déception est compensée par la qualité irréprochable de la copie et l’intervention passionnante de Jean-François Rauger qui analyse pertinemment la place inconfortable de Sergio Sollima au cœur du cinéma italien.
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