Tournant le dos à la vague des films d’épouvante d’inspiration gothique de la fin des années 50, grands succès instigateurs de la reconnaissance officielle de la Hammer, le scénariste Jimmy Sangster, l’une des signatures les plus prolifiques de la firme, change d’horizon et puise son inspiration dans un classique du cinéma français, Les Diaboliques, qui remporte en son temps un franc succès en Angleterre. En s’inspirant ouvertement de la construction narrative du film de Henri-Gorges Clouzot, disséminant des motifs identifiables comme la présence /absence d’un cadavre ou cette obsession de l’eau catalyseur d’affects anxiogènes, Jimmy Sangster élabore une intrigue à tiroirs particulièrement retorse avec un script intitulé See no evil dans un premier temps, puis Hell Hats no Fury pour devenir finalement ce Taste of Fear, Hurler de peur en Français. Comme tout bon stakhanoviste profitant d’un succès éphémère, il poursuivra à trois reprises entre 1963 et 1964 cette immersion au coeur de récits alambiqués, articulés autour de secrets de familles, de morts qui ressuscitent, de vivants qui réapparaissent, de folie latente qui guette les personnages troubles avec deux excellents Freddie Francis, Paranoiac et Nightmare ainsi que Maniac de Michael Carreras.
La filiation avec l’histoire imaginée par Boileau et Narcejac, commence par les lieux. Hurler de peur situe son récit en France, pas dans cette France profonde et picaresque chère à Clouzot, non celle exportable pour une production anglo-saxonne, aux abords de Cannes dans une demeure luxueuse aux multiples pièces et couloirs tentaculaires. Dès les premières images, la fragilité de l’héroïne, frappée d’un handicap physique, rappelle celle de Vera Clouzot. Par un effet de mimétisme assez fascinant, la très jolie Susan Strasberg s’inspire du jeu effacé de la compagne du cinéaste français. Elle incarne donc Penny Appleby, une jeune américaine en fauteuil roulant, qui se rend dans la demeure familiale pour y retrouver son père qu’elle n’a pas vu depuis 10 ans. Alors que sa belle-mère lui affirme que son père est parti en voyage d’affaires, elle est terrorisée par l’apparition de son cadavre à plusieurs reprises. Est-elle folle ou victime d’un plan machiavélique? Perturbée, elle se confie au chauffeur de la famille. La machine s’emballe, le récit tortueux aligne les retournements de situations aussi ludiques qu’improbables, faisant étrangement basculer le film du côté du surnaturel alors que tout est conçu pour être rationalisé.
En effet, le scénario, dans son architecture extravagante, expose sans complexe à la fois la force et la faiblesse de ce petit thriller machiavélique. A aucun moment, les multiples rebondissements qui jalonnent le film ne peuvent être anticipés, même si à postériori, une fois la projection terminée, de nombreuses questions se posent sur la cohérence diégétique de l’ensemble. Dans un sens, peu importe, le plaisir ludique de se laisser griser par une vague continue de révélations l’emporte sur le reste. Les ressorts dramatiques des Diaboliques sont habilement exploités et détournés. Jimmy Sangster évite au moins d’en faire un paresseux remake, imaginant une histoire encore plus sophistiquée et délirante, évoquant les grands films hollywoodiens comme Le Château du dragon ou Hantise, le décorum gothique en moins.
Avec un scénario aussi jubilatoire qu’une visite dans un train fantôme, l’artisan Seth Holt, très inspiré, décline des idées visuelles pertinentes, apportant une dimension cauchemardesque à un ensemble de très belle tenue. Il ‘agit sans doute de son meilleur film avec l’excellent Confession à un cadavre, autre production Hammer avec Bette Davies. Outre ses décors magnifiquement exploités par un sens aigu des cadrages, la réussite plastique de ce thriller proche de l’épouvante incombe beaucoup à la sublime photographie de Douglas Slocombe, futur chef opérateur du Bal des vampires et des Aventuriers de l’arche perdue. La beauté d’un noir et blanc très contrasté, exhibant tous les détails, est intensifié par l’utilisation d’objectif en courte focale, laissant apparaître une très grand profondeur de champ, étouffant régulièrement les personnages, comme aspiré par un décor dévorant. Une atmosphère inquiétante imprime la pellicule, sortant le film du récit policier à tiroirs pour l’emmener vers des contrées plus oniriques et malaisantes. La première apparition du cadavre du père de l’héroïne est un joli moment de terreur pure, évoquant furtivement la présence fantomatique d’un sosie de Bela Lugosi.
La qualité de l’interprétation, parmi laquelle on notera la présence d’un Christopher Lee très glacial mais magnétique, souligne à quel point la Hammer a le soucis de soigner au maximum ses productions. Un excellent film qui remporte un franc succès, grâce notamment à la sortie d’un certain Psychose en 1960 qui relance alors la mode des thrillers horrifiques.
Le film sort chez ESC dans une très belle copie au format respecté rectifiant l’erreur de leur édition précédente (Les Deux visages du Docteur Jekyll). Le beau mediabook combo/dvd, outre son livret rédigé par Marc Toullec, est agrémenté d’une analyse du film par Laurent Aknin et d’une présentation de la Hammer par Nicolas Stanzick
(GB-1960) de Seth Holt avec Susan Strasberg, Ronald Lewis, Ann Todd
Format : 1.77
Audio : Français, Anglais
Sous-titres : Français
Noir et blanc
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