Comment appréhender les nombreux giallos de série qui inondèrent les écrans au début des années 70 suite au succès de L’Oiseau au plumage de cristal ? Pour une vingtaine de titres indispensables, il faut bien reconnaître qu’ils ne sont pas tous recommandables, même si, pour les amateurs, visionner ces bobines transalpines est toujours un plaisir non pas coupable, mais viscéral au point d’en défendre les pires représentants. Enrobés de motifs esthétiques et fétichistes au service de récits à la construction absurde, les plus mauvais giallos défient la loi de la raison avec ces comédiens inexistants et ses scénarios inutilement alambiqués qui finissent par s’autodétruire à force de répéter les mêmes items empruntés, entre autres, à Agatha Christie et à Boileau-Narcejac. Au milieu, surnagent tant bien que mal, d’honnêtes produits tournés à la chaîne par des metteurs en scènes compétents, comme Silvio Amadio. Artisan besogneux, il s’est distingué par quelques petits films érotiques plutôt tordus (le très intrigant Si douces, si perverses avec Gloria Guida), mais il s’est surtout fait un nom grâce à un giallo insolite, À la recherche du plaisir, qui s’écarte de ses modèles, soutenu par une narration maligne, proche d’un mélodrame hitchcockien épicé de très jolies scènes saphiques. Le Sourire de la hyène, réalisé dans la foulée, n’a pas à rougir de son prédécesseur, mais se situe un cran en dessous. Il semble dans un premier temps emprunter la même voix, déclinant une variation du précédent avec un ton plus léger, proche du pastiche, surligné par une partition insupportable et répétitive de Roberto Pregadio.
La mise en place est par ailleurs efficace, immersion immédiate au sein d’un whodunit alambiqué. La riche Dorothy meurt dans d’étranges circonstances, la gorge tranchée dans une pièce fermée à clé, double référence à Gaston Leroux et à L’Etrange vice de Miss Wardh qui montrait explicitement comment maquiller un meurtre en suicide. C’est exactement à cette conclusion que la police arrive, faute d’imagination et surtout de cette étrange inertie dont elle fait preuve dans le cinéma bis italien, d’une inefficacité légendaire. Elle se rattrapera dans les poliziotesco, contre-champ amusant du giallo sur l’ordre et la loi. Sa fille, l’ingénue Nancy, revient dans la maison pour toucher son héritage et rencontre Gianna, une photographe talentueuse qui entretient une relation avec le beau-père de Nancy qui avait donc prévu de divorcer. Un jeu de séduction autour de ce drôle de triangle débute, où les apparences sont évidemment trompeuses entre coups de théâtre et rebondissements improbables. Après un prologue très vif, le film traine en longueur, maintenant tout de même l’intérêt grâce à ces nombreux atouts positifs, en premier lieu un casting féminin plaisir des sens. La nymphette Jenny Tamburi et surtout la magnifique Rosalba Neri sont très convaincantes dans leur rôle respectif et nous offrent une petite pause érotique très agréable pour les yeux, pas si gratuite que cela.
La mise en scène de Silvio Amadio fait preuve de savoir-faire ; elle met en valeur l’incroyable décor coloré de cette demeure improbable noyée de bibelots, tableaux, miroirs et autres fantaisies proches du pop-art. Le film est particulièrement séduisant tant que l’action reste circonscrite en intérieur, évoquant pour le meilleur le génial Femina Ridens avec tout un travail esthétique sur la couleur et les cadrages sophistiqués. En revanche, il est moins convaincant dès qu’il s’aventure à l’extérieur, entre ses plans approximatifs et sa photographie bien terne ; l’explication tient sans doute au manque de moyens et à un tournage très rapide, comme l’explique le fils du cinéaste dans le bonus du Blu-ray. De même, le rebondissement final, très moralisateur, semble avoir été tourné sur un coup de tête sans aucune cohérence par rapport au reste, sinon celle de punir les personnages. Heureusement, ces défauts n’entachent pas le plaisir que procure ce petit film de série agréable à visionner, ponctué de twists bien troussés et d’un meurtre graphique séduisant.
Le Sourire de la hyène s’inscrit dans la veine des films de machination que l’on peut revoir tous les deux ou trois ans, juste le temps d’avoir oublié le déroulement de l’intrigue, un film volatile, mais tout à fait comestible et même euphorique par intermittence.
Accompagné comme seul bonus d’une intervention intéressante du fils du cinéaste qui n’hésite pas à dire ce qu’il pense du film, y compris les aspects les plus négatifs, Le sourire de la hyène bénéficie d’une copie magnifique comme d’habitude chez Le Chat qui fume pour un titre totalement inédit.
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