Avec The Bling Ring, Sofia Coppola délaisse le spleen à proprement dit, mais reste toujours aussi passionnée par le futile et l’adolescence (jusqu’à l’agacement désormais au vu de l’accueil critique et public mitigé, le qualificatif « pauvre petite fille riche » commençant à bien tourner). Plus planant, mystérieux et atmosphérique, glaçant aussi, c’est bien un ouvrage de maturité. Elle révèle au passage deux jeunes acteurs assez doués, Israel Broussard et Katie Chang.
La scène d’ouverture qui s’offre à nous est une sorte de clip diablement efficace qui paraît condenser toute les possibilités de ce fait divers de nouveaux riches qui avait défrayé la chronique (sur les sites people!) il y a quelques années : un gang d’adolescents pénètre dans les villas de grosses VIP jet setteuse pour vider les dressing à la mode. Passé ce début très fort d’ailleurs, on peut vite se demander ce que va maintenant faire Sofia Coppola? Elle vient en effet en trois minutes d’exploser strass et paillettes, de jouer aussi avec l’esthétique des caméras de surveillance et de la real-tv, tout en nous offrant une chute ironique sous la forme d’une Emma Watson faisant sa diva devant les caméras de journaliste, telle une Lindsay Lohan avant sa comparution annuelle au tribunal… "Tout est dit"?
Sofia Coppola brouille en effet les pistes : d’un côté elle semble partir dans la foulée sur un récit à la Rashomon où se succéderait plusieurs versions selon les différents protagonistes, sur la nature du « pourquoi du comment » de ces vols, d’un autre côté ce procédé apparent (lancé ainsi car le film adapte officiellement l’article d’une journaliste de Vanity Fair) se délite totalement passé une quinzaine de minutes… L’un des reproches régulièrement entendu sur The Bling Ring à sa sortie a été l’absence de propos apparent de la part de Sofia Coppola, comme si le fait divers en question se devait de contenir une portée symbolique forte, une représentation de notre époque sur laquelle disgresser… En réalité, le film semble bien en avoir cure, de percer à jour ce qu’il y a derrière cette superficialité. En tout état de fait, et en se positionnant plutôt dans une perspective de description, la réalisatrice « enfant gâtée » préfère ne pas porter de jugement ni mettre à nu les processus psychologiques des différents personnages. "Coquille creuse" donc ?
Marc (Israel Broussard) se révèle rapidement comme le cœur du film et le personnage qui intéresse la plus Sofia Coppola. Ado quelque peu en flou sur son identité sexuelle et difficilement intégré, il se lie à Rebecca (Katie Chang), la seule à sembler porter son attention sur lui, et qui va l’entraîner dans la chasse aux Louboutins d’une manière presque naturelle. Sofia Coppola filme assez merveilleusement cette amitié dont les fondements et la sincérité sont difficiles à saisir, alors que la complicité dans l’action est quand à elle réelle. Le glissement vers la transgression d’ailleurs se fait sans aucun heurt véritable, le terrain de jeu paraissant tellement étrange et irréel : des villas luxueuses, vides et abandonnées, où les propriétaires laissent gentiment la clé sous le paillasson.
Sofia Coppola joue de ce trouble et de cette indéfinition aussi planante qu’absurde pour offrir ses plus belles scènes : un cambriolage façon « maison de poupée » pendant un lent traveling arrière sur la villa dérobée , ou encore une partie de détroussage de véhicules de luxe, tous laissés là aussi en libre service dans ces quartiers abandonnés, où les résidents semblent tous partis faire la fête… The Bling Ring dans ces moments là offre des sensation noctambules et planantes comme on en avait rarement vu depuis le cinéma de Michael Mann (et même plutôt son cinéma des années 80). Si la réalisatrice reste habile à mixer ses platines, la bande son semble également moins ici se prêter à l’illustration ou l’intensification de moments isolés, elle concoure plutôt à la création d’une atmosphère insaisissable, tour à tour inquiétante et touchante. Avec Marc et Rebecca on finit par s’amuser, avoir peur, et connaître ensuite le vertige des malentendus qui illustre les trahisons : toutes les émotions sont traitées sans hiérarchisation, à la même enseigne, et cet intimisme à l’oeuvre pour traiter de leur relation est sans doute ce qu’il y a de plus fin dans l’oeuvre, tellement criarde dans son décorum.
Grâce à cet ancrage de Marc et Rebecca, et à condition d’accepter aussi que même cette relation de communion apparente soit in fine sans doute la plus cruellement opaque (parce qu’excluant toute psychologie), Coppola peut se permettre un dégradé plus mineur avec les personnages secondaires, à priori plus caricaturaux et évidents (du moins, ressemblant plus à tous ces instantanés de télés réalités ou de presse à sensation) : voir ainsi Nicki, l’espèce de faux leader qui vient se greffer dans la bande, interprétée par la seule « star » du casting (l’ex Hermione Granger Emma Watson, qui cherche un peu à casser son image en peste californienne). On pourra reprocher à la réalisatrice de faire de ce personnage (et de sa matrone jouée par Leslie Mann, alias Mme Judd Appatow) les réceptacles de cette société du spectacle complètement creuse, de ne pas chercher pour eux à voir ailleurs, comme si contrairement à Marc et Rebbecca Nicki n’avait pas droit à son mystère plus séduisant. C’est un simple dégradé de caractères pourtant, et la réalisatrice, comme pour les autres membres du Bling Ring ne cherche pas à l’expliciter, limite à le suggérer (à l’instar de cet autre personnage secondaire, toute fière d’exhiber devant son petit ami malfrat le revolver qu’elle a dérobé dans l’une des villas).
Dans l’enrobage du film, beaucoup de choses entrent en compte, au-delà du mystère entourant la nature de chacun. On pensera à ces jeux d’enfant à priori inconséquents, où la facilité apparente de la bêtise contraste d’autant plus avec les réactions de chacun de ceux qui auront été pris sur le fait. Un jeu de gosse qui devient « jeu d’adolescence », montrant aussi qu’il n’y a pas vraiment d’âge adulte quand les objets (et le regard des autres) sont l’alpha et omega. Un état ambigu et sans repère traité sans aucun sens de la thèse, juste pour ce qu’il est… Ce qui fascine, c’est la capacité de chacun à se forger une carapace ou à montrer sa fragilité, dans une série de causes et conséquences sans prises… Comme le déclamait Renoir dans la Règle du jeu, Coppola le filme sans le dire (et plutôt version Perez Hilton il s’entend) : ce qu’il y a de plus effroyable , c’est que tout le monde a ses raisons.
Au contraire des garde-robes visitées ici, un Blu-ray / DVD très minimaliste, seulement constitué du film et d’un petit making of. Pour Noël il trouvera vraisemblablement bien au chaud sa place dans les coffrets cadeaux Sofia Coppola.
Disponible depuis le 16 octobre
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