Stefano Vanzina & Luigi Petrini – « Société anonyme anti-crime » & « Opération K »

© Artus Films

Alors que le giallo connaissait un certain déclin, les artisans du cinéma italien, toujours prompts à recycler les grands succès américains, se ruèrent dans le sillon tracé par William Friedkin (French Connection), Don Siegel (Dirty Harry) ou, un peu plus tard, Michael Winner (Un justicier dans la ville) pour concocter des polars extrêmement violents et chevillés à leur époque. Le Poliziottesco était né.

A travers ces films d’exploitation, c’est-à-dire n’hésitant pas à jouer la carte du racolage roublard (sous couvert de dénoncer la violence, on la montre sans prendre de pincettes), les cinéastes se livrèrent à une auscultation souvent passionnante de la société italienne marquée par le terrorisme (« les années de plomb »), l’insécurité et une corruption généralisée des élites. Des faits divers purent inspirer les films, à l’instar d’Opération K où l’on peut deviner des réminiscences du massacre de Circeo qui vit trois jeunes bourgeois d’obédience fasciste enlever, séquestrer, torturer, violer avant de massacrer deux jeunes femmes issues de milieux modestes. Quant à Société anonyme anti-crime, il y est clairement fait allusion aux méthodes douteuses de la police matraquant les manifestants et les ouvriers ainsi qu’à l’affaire Pinelli, ce cheminot anarchiste mort en « tombant » de la fenêtre d’un commissariat (voir la pièce de Dario Fo Mort accidentelle d’un anarchiste).

Le premier des deux titres est assurément le plus intéressant. Avec Société anonyme anti-crime, Stefano Vanzina (le véritable patronyme du cinéaste Steno, auteur du redoutable Les Week-ends de Néron) prend le pouls d’une société gangrénée par l’injustice, la corruption, soulignant l’impuissance de la police à endiguer la violence et le trop grand laxisme de la justice. Les premières scènes du film donnent la mesure puisqu’un bandit est tranquillement relaxé, faute de preuves tangibles et parce qu’un avocat est parvenu à débusquer un vice de forme. Pendant ce temps-là, deux petits voyous braquent une joaillerie et tuent le propriétaire. L’un des deux fuyards prend en otage une jeune femme pour assurer sa planque.

On reconnaît là tous les ingrédients des films de vigilante : un commissaire intègre qui n’est plus soutenu par sa hiérarchie et par la justice, un désir d’autodéfense qui apparaît ici par le biais d’une mystérieuse organisation qui fait disparaître les délinquants de manière extrêmement violente… On le sait, l’ambiguïté de ce genre de film tient à sa nature même. S’inscrivant dans la catégorie du cinéma d’exploitation, il s’agit avant tout de tenir le spectateur par les émotions et de le faire réagir. Si on a accusé, à mon avis de manière bien trop schématique, des films comme Dirty Harry ou Un justicier dans la ville de faire l’apologie droitière de la vengeance et de la justice individuelle, cette dimension est clairement interrogée et critiquée dans le film de Vanzina. Le contexte est le même (recrudescence de la violence urbaine) et la dénonciation du laxisme, de la corruption des institutions est assez similaire. L’honnête commissaire Bertone (Enrico Maria Salerno) invite même les journalistes pour une balade en bus dans les bas-fonds romains afin de leur faire constater à quel point le crime, le proxénétisme et les trafics en tout genre règnent en toute impunité.

Cette position que l’on pourrait juger droitière (l’obsession de la sécurité) est contrebalancée par le personnage de la journaliste qui tempère un peu les jugements du commissaire et explique, par exemple, que ce n’est pas la police qui est dénoncée par les journalistes mais ses excès.

Là où le film s’avère passionnant, c’est lorsqu’il s’intéresse à cette milice privée qui combat la criminalité à titre individuel. D’avérés bandits sont soit fusillés (on remet à l’honneur le poteau d’exécution), soit électrocutés. Mais l’organisation s’en prend également, pour le symbole, à une prostituée et au micheton d’un « pédéraste ». Non seulement le commissaire poursuit cette « société anonyme » comme il poursuit les gangsters mais le cinéaste montre clairement la dimension fasciste de ce groupe armé. Il ne fait preuve d’aucune complaisance pour ces actes de vengeance et la haine que Bertone peut avoir pour les criminels n’obère jamais son jugement quant aux agissements de ce groupuscule financé par des puissants.

Outre une mise en scène menée tambour battant (les séquences s’enchainent à un rythme endiablé et aucune mauvaise graisse ne vient le ralentir), la beauté de Société anonyme anti-crime tient à cet ancrage réaliste au cœur d’une société italienne malade et d’une vision extrêmement pessimiste portée sur les institutions la justice et l’absence de solutions possibles pour éradiquer cette criminalité.

© Artus Films

Ce côté réaliste du Poliziottesco fait aussi l’intérêt d’un film beaucoup plus mineur comme Opération K. Dans certaines scènes tournées au cœur de la ville, on aperçoit d’ailleurs quelques badauds qui regardent, interloqués, la caméra. Mais le film de Luigi Petrini s’inscrit davantage dans le cadre d’un cinéma d’exploitation plus racoleur, à l’image d’une des premières séquences du film où les deux voyous violent deux femmes (la caméra s’attarde sur la poitrine de l’une d’elles) avant d’en tuer accidentellement une. Après leurs premières exactions, la cavale débute pour Paolo et Gio. C’est aux Valseuses que fait d’abord songer Opération K, notamment le temps d’une scène où les deux compères volent un sac à main, occasionnant une scène de fuite filmée de manière assez similaire à celle de Blier. A une différence près : alors que les enfants attardés des Valseuses étaient clairement ridiculisés par la mise en scène et finissaient par être attachants, Paolo et Gio restent constamment d’abominables et odieuses petites frappes sans la moindre conscience.

Désireux de s’enfuir vers des horizons plus cléments, ils projettent de braquer un restaurant (sic !) et de prendre en otages tous les clients pour obtenir une grosse rançon. Le film de rapt est presque un sous-genre en soi et Luigi Petrini s’en tire assez bien, grâce à une mise en scène nerveuse qui fait naître une tension exacerbée par la caractérisation des otages : une femme enceinte, des enfants, deux jolies jeunes filles qui font naître la convoitise des criminels, une diabétique qui a besoin de sa piqûre d’insuline…

On se gardera de raconter la fin mais elle accentue le côté incommodant du film. En effet, comme le souligne Emmanuel Le Gagne dans sa présentation de l’œuvre (ses deux passionnantes interventions sont très recommandables : à la fois riches, synthétiques – on ne se perd pas dans les fiches techniques des films- et vivantes), Petrini nous fait constamment partager le point de vue de ces deux personnages particulièrement antipathiques. Et il ne cherche jamais à les rendre plus humains ou leur trouver des circonstances atténuantes. Nous sommes donc constamment dans la position inconfortable de celui qui regarde, impuissant, des situations qu’on ne peut que réprouver. Avec toujours cette pointe de curiosité malsaine qui nous pousse à nous demander jusqu’où les deux zozos vont reculer les limites.

En ce sens, Opération K est caractéristique de ce cinéma bis italien : à la fois conforme à un certain cahier des charges mais qui sait toujours nous surprendre par ses aspects outranciers (les invraisemblances sont légions) et déviants…

 

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Société anonyme anti-crime (1972) de Stefano Vanzina avec Enrico Maria Salerno, Mariangela Melato

Opération K (1977) de Luigi Petroni avec Mario Cutini, Marco Marati, Mario Bianchi

Éditions Artus Films

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A propos de Vincent ROUSSEL

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