Le prologue du Flic ricanant est particulièrement réussi et impressionnant. Le film débute par une filature et l’inquiétude d’un homme qui constate qu’un autre le suit. Tous deux pénètrent dans un bus et le cinéaste est déjà parvenu à créer une tension. Tension exacerbée par l’arrivée d’un troisième homme dont on ne voit pas le visage. Le découpage est sec, précis, rigoureux et fait songer à certains films de Fuller (Le Port de l’angoisse, par exemple). L’inconnu sort une mitraillette d’un sac qu’il monte rapidement avant de massacrer tous les passagers du bus dans une explosion de violence terrassante. Générique.
L’enquête est confiée au cynique Jake Martin qui réalise que son équipier faisait partie des victimes du tueur. Il va donc avoir à cœur de démêler les fils d’une ténébreuse affaire dont l’origine semble être un vieux dossier non résolu et non pas l’œuvre d’un serial-killer particulièrement violent.
Avec Le Flic ricanant, Stuart Rosenberg (dont les films les plus célèbres restent sans doute Amityville, la maison du diable et Luke la main froide) adapte un roman de Maj Sjöwall et Per Wahlöö, le couple vedette du roman noir suédois. Dans un supplément intéressant, François Guérif montre comment ces romanciers sont parvenus, en dix romans, à peindre un tableau critique et lucide de la société suédoise et son évolution. En transposant cet univers à San Francisco, le cinéaste s’attache également à décrire avec un certain réalisme la société américaine de ce début des années 70. Moins attiré par l’action et l’enquête (qui se révélera assez banale), Rosenberg décrit avec sobriété le quotidien de ce flic blasé, entre discussions banales avec sa femme et collaborations plus ou moins fructueuses avec des indics. C’est Walter Matthau, d’une rare sobriété, qui endosse le rôle de Martin tandis que Bruce Dern l’épaule avec la fougue du jeune chien fou.
Cette esthétique réaliste renvoie à une certaine tendance du cinéma noir américain en ce début des années 70. On songe aussi bien à Don Siegel pour l’ambiguïté de ces personnages de flics qui n’hésitent pas, parfois, à flirter avec l’illégalité pour parvenir à leurs fins mais aussi au Lumet de Serpico ou au Friedkin de French connection. La poursuite finale entre une voiture de flic et un bus (qui donne au récit un aspect circulaire) rappelle d’ailleurs la fameuse séquence du film de Friedkin.
Cette volonté d’éviter la carte de la surenchère et de l’action à tout crin en ancrant le récit dans un certain vérisme (la vie d’un commissariat, les aléas d’un quotidien où le travail acharné risque d’avoir des répercussions négatives sur la vie de famille…) constitue l’une des grandes qualités du Flic ricanant mais également une certaine limite. Si Rosenberg nous cueille de fort belle manière avec son prologue, son goût pour les petits détails et les sous-intrigues rend parfois le film un peu plus filandreux et moins intense.
Mais à cette réserve près, l’œuvre est intéressante dans la mesure où elle témoigne à sa manière d’une période de doute dans la conscience américaine. A travers l’histoire de ces flics ordinaires, avec leurs soucis quotidiens et une volonté –malgré tout-de faire respecter la Loi, Rosenberg se détache d’une certaine idée de l’héroïsme et décrit en filigrane des travailleurs un peu laborieux face aux puissances de l’argent et confrontés à une société fortement inégalitaire (difficile d’en dire plus sans déflorer les tenants et aboutissants de l’intrigue !).
Le cinéaste utilise souvent de longues focales qui rendent l’arrière-plan flou et enferment les personnages dans leur « bulle », rendant impossible toute action collective.
En privilégiant la caractérisation de personnages beaucoup moins héroïques qu’à l’accoutumé, Stuart Rosenberg participe à cette évolution du polar à l’américaine frappé de plein fouet par une période de doute et de soupçons. Et c’est ce constat un poil désabusé qui fait l’intérêt de ce Flic ricanant…
Le Flic ricanant (1973) de Stuart Rosenberg
Avec : Walter Matthau, Bruce Dern
Sortie en DVD le 21 septembre 2016
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