Sydney Pollack – « Les Chasseurs de Scalps » (1968)

Avant de devenir un cinéaste reconnu et couronné de succès, Sydney Pollack se destinait à une carrière de comédien. Il commence à prendre des cours de théâtre dès le lycée et intègre en 1952 la Neighborhood Playhouse à New-York où il suit les enseignements de Sanford Meisner. Dès sa deuxième année, il devient l’assistant du professeur et exerce également en tant qu’enseignant. Il ne tarde pas à débuter sur les planches, il prend part à la distribution de Stalag 17 de Donald Bevan et Edmund Trzcinski, déjà adapté au cinéma par Billy Wilder en 1953, qui se joue à Broadway puis en tournée dans le reste des États-Unis. Il s’illustre ensuite à la télévision en apparaissant au sein de diverses séries, il croise lors de cette période Robert Redford ainsi que son futur co-scénariste David Rayfiel. Contraint de faire une pause afin d’accomplir son service militaire, il effectue une rencontre décisive à son retour, en la personne de John Frankenheimer, qui vient de signer son coup d’essai au cinéma, The Young Stranger, mais continue d’officier pour le petit écran. Le réalisateur voit en Pollack des qualités supplémentaires que celles d’un simple acteur et l’embauche comme répétiteur sur plusieurs projets, dont son deuxième film The Young Savages. Fort de ces encouragements et expériences, il passe à la mise en scène au début des années 60 et dirige de nombreux épisodes de séries, parmi lesquelles Le Fugitif. Il prend part à l’anthologie Bob Hope Presents the Chrysler Theatre, aux côtés de Sam Peckinpah, John Cassavates ou encore Stuart Rosenberg et remporte un Emmy Awards pour la réalisation du segment, The Game en 1965. À la même période sort son premier long-métrage Trente minutes de sursis, rapidement suivi de Propriété Interdite avec Robert Redford et Natalie Wood en 1966. Il planche alors sur un film de guerre avec Burt Lancaster, mais rencontre des difficultés de financement et doit temporairement se rabattre sur un projet plus facile à monter. Il connaît le comédien oscarisé pour Elmer Gantry, le charlatan depuis longtemps et s’est même attelé à sa demande à façonner la version américaine du Guépard par le passé. Lancaster avait également fait appel à lui pour retourner des séquences et terminer The Swimmer de Frank Perry. En somme, il précède Robert Redford dans la peau de l’acteur fétiche. En attendant de pouvoir concrétiser Un Château en enfer, les deux hommes se mettent d’accord sur Les Chasseurs de Scalps, un western atypique réunissant également au casting Ossie Davis, Telly Savalas et Shelley Winters. Assurément l’une des réalisations les moins connues de son auteur, il bénéficie aujourd’hui d’un coup de projecteur à la faveur de sa première édition HD, proposée par Rimini.

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1850, dans les montagnes Rocheuses. Le trappeur Joe Bass (Burt Lancaster) est contraint d’abandonner aux Indiens les fourrures qu’il espérait leur vendre. Ceux-ci lui laissent en échange un esclave en fuite, Joseph Winfield Lee (Ossie Davis). Lorsqu’il retrouve les corps des autochtones scalpés, il se lance à la poursuite des chasseurs de scalps, décidé à récupérer ses peaux. En 1968, l’âge d’or du western est révolu, s’il a trouvé un second souffle en Europe au début de la décennie grâce, entre autres, à Sergio Leone et Sergio Corbucci, il connaît d’autres évolutions outre-atlantique. Les pionniers que furent John Ford ou Howards Hawks, toujours actifs, travaillent à un contrepied de leur mythologie, revisitée sous un angle réconciliateur, notamment à l’égard des indigènes, comme sur Les Cheyennes, par exemple. Le succès en 1965 de Cat Ballou d’Elliot Silverstein porté par Lee Marvin et Jane Fonda a quant à lui donné au public un appétit pour les variations comiques du genre. Les Chasseurs de scalps tend à s’inscrire telle une fusion de ces deux courants, flirtant avec la parodie, tout en évoquant des problématiques graves et façonnant un propos résolument progressiste. Le générique animé, proche de la bande-dessinée, soutenu par la bande-son guillerette d’Elmer Bernstein, annonce cette tonalité légère tandis que les premiers plans invoquent un imaginaire en apparence plus classique. Cadre large et grands espaces, Joe Bass, un héros solitaire à cheval (suivi d’une deuxième monture transportant ses fourrures) chantonne une pipe à la bouche pendant qu’il traverse une rivière (l’eau constitue un motif récurrent du film). Le voilà rapidement confronté à des Indiens désireux de s’accaparer le fruit de son labeur. En dépit d’une situation défavorable, l’échange reste courtois, le trappeur n’hésite pas à parler leur langue, signe d’une forme de respect, le dialogue supplante la tentation de violence. Le protagoniste évolue dès lors en binôme avec Joseph Lee, un esclave afro-descendant envers lequel il fait montre de beaucoup moins de considération. Gags purement burlesques (les chutes de cheval, l’usages de bruitages à connotation cartoonesque) et joutes verbales pimentent un duo mal assorti conçu sur des ressorts de Buddy movie avant l’heure. Un mélange de spontanéité et de complicité entre les deux comédiens contribue à rendre convaincants voire même savoureux leurs affrontements réguliers. Très bon directeur d’acteurs, Sydney Pollack se révèle aussi efficace pour observer les ambivalences de ses personnages (le trappeur, bourru et inculte, est à la fois un sympathique camarade et l’auteur de propos abjectes à l’encontre de son acolyte) que donner du relief à une parenthèse comique bon enfant. Cependant, résolument tourné vers une forme de classicisme dans son approche esthétique, les ruptures de ton et de style auquel il s’adonne, désarçonnent. Elle s’opèrent selon les séquences au détriment de l’intrigue et tendent à dissoner au sein d’un projet global, d’un même élan tourmenté et optimiste. Ce que Les Chasseurs de scalps gagne en fraîcheur immédiate et en singularité, il le perd quelque peu en ampleur et en fluidité, tout en affirmant précisément son identité propre par ces mêmes dualités intrinsèques.

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Tourné peu après le Voting Rights Act de 1965, qui a mis fin aux lois et réglementations ségrégatives sur l’ensemble du territoire américain, le film ne cache pas son désir de sonder les avancées progressistes d’une nation à l’aune de ses fondations. Burt Lancaster, acteur aux positions résolument ancrées à gauche sur l’échiquier politique, ayant notamment participé à la marche pour les droits civiques de 1963 à Washington de Martin Luther King, endosse sans broncher un rôle sur bien des aspects ingrat et en désaccord avec ses valeurs. Joe Bass tient à plusieurs reprises des propos extrêmement violents à la fois racistes et suprémacistes, ignare, il justifie ses dires en citant la bible. Paradoxalement, il se fait sans ambiguïté au moment d’évoquer les chasseurs de scalps du titre emmené par Jim Howie (Telly Savalas), dont il condamne férocement les pratiques : « le moyen le plus sale de gagner de l’argent ». La qualité et l’originalité du script de William Norton (Les Charognards, Gator) tient en partie à sa manière de déjouer les rapports hiérarchiques initialement en vigueur entre les personnages et plus largement dans le commun du western. Joseph Lee et Kate (Shelley Winters) constituent les individualités les plus cultivées du récit (en atteste leur discussion sur les étoiles par exemple), ce qui sert de ressort comique très efficace mais induit aussi un constat froid : les moins lettrés décident de tout et souvent par la force. Joe et Jim sont deux incarnations d’une Amérique dépassée par ses évolutions, si le premier est prêt à changer, le second en semble totalement incapable. Les Chasseurs de scalps nous conte l’affranchissement d’un esclave, ne devant son changement de statut qu’à son intelligence, sa malice et son courage. La culture est ici vecteur d’émancipation vitale. La conclusion du métrage aux airs de retour à la case départ, comprend une modification substantielle de taille, les deux héros avancent désormais sur un pied d’égalité. Joseph malmené tout du long, encaisse mais n’abdique jamais, riposte face à l’intolérable (ses belles répliques suite au déniement de son humanité même), fait preuve de ressources constantes et insoupçonnées. Cette partition dense offerte à un représentant d’une communauté alors largement invisibilisée au cinéma est superbement défendue par Ossie Davis, acteur méconnu, à la filmographie pourtant loin d’être négligeable (Sydney Lumet, Otto Preminger, Spike Lee). Ce personnage détonnant et irrésistible se révèle la plus belle surprise de ces Chasseurs de Scalps. Sydney Pollack, quatre ans avant de marquer le western avec Jeremiah Johnson, signait une œuvre iconoclaste, parfois déconcertante, souvent très intéressante et assurément moins anecdotique qu’elle n’y paraît. L’édition concoctée par Rimini, est pourvue d’un master de qualité, qui fait oublier celui présent sur le précédent DVD. Elle s’accompagne de deux suppléments qualitatifs, un entretien avec Olivier Père, l’autre en compagnie d’Eric Thouvenel (enseignant-chercheur à l’université Rennes 2). Des interventions complémentaires et enrichissantes nous offrant un éclairage approfondi bienvenu.

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A propos de Vincent Nicolet

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