En 1947, Jacques Tourneur tournait La Griffe du passé, adaptation de Pendez-moi haut et court, ultime roman de Daniel Mainwaring (signé sous le pseudonyme Geoffrey Homes), scénarisé (entre autres) par l’auteur lui-même. Le long-métrage, porté par Robert Mitchum, Kirk Douglas et Jane Greer, allait rapidement devenir un pièce maîtresse du film noir. Au cœur des eighties, dans un mouvement propice aux relectures et mises à jour des classiques du genre des années 40/50 (Le Facteur sonne toujours deux fois, J’aurais ta peau,…), l’œuvre de Tourneur (cinéaste déjà remaké en 1982 avec La Féline de Paul Schrader) intéresse un cinéaste émergent, Taylor Hackford. Passé par le documentaire et la télévision, ce dernier signait en 1978, Teenage Father, un court-métrage récompensé d’un oscar, avant de rencontrer un immense succès dès son deuxième long, Officier et gentleman, troisième au box-office américain de 1982 derrière E.T et Tootsie. Après une préproduction d’environ deux ans, contrariée à quelques jours du tournage par des remaniements à la tête de la Columbia, Hackford parvient enfin à lancer son projet. Jeff Bridges, remarqué au cours de la décennie 70 (La Dernière Séance, Le Canardeur, King Kong) qui a vu son ascension compromise par les échecs plus ou moins violents de La Porte du Paradis (Michael Cimino) et Cutter’s Way (Ivan Passer) ainsi que les scores décevants de Tron (Steven Lisberger), endosse le rôle principal. Face à lui, James Woods, dont le charisme singulier a été constaté chez Elia Kazan (Les Visiteurs), David Cronenberg (Videodrome) ou Robert Aldrich (Bande de flics), campe son ami-ennemi. Entre les deux hommes, pour le rôle de la femme fatale, le choix se porte sur Rachel Ward, vue à la télévision aux côtés de Richard Chamberlain dans la mini-série Les oiseaux se cachent pour mourir ou au cinéma en compagnie de Burt Reynolds (L’Anti-gang) et Steve Martin (Les cadavres ne portent pas de costards). Deux figures issues du film original intègrent la distribution, Jane Greer qui incarne désormais la puissante Mme. Wyler et Paul Valentine, le conseiller Weinberg. Contre toute attente, s’il reprend la trame de son modèle (un triangle amoureux), ainsi que l’essentiel de sa structure (notamment le long flashback post-générique), s’en éloigne par son contexte (le milieu sportif et la toile de fond à base de spéculation immobilière). Blessé, le joueur de football américain Terry Brogan (Jeff Bridges) tombe sous le coup d’une sanction sévère : son équipe le congédie. Sous la pression de Jack Wise (James Woods), un bookmaker véreux qui en sait beaucoup sur ses tricheries, Terry accepte de se lancer sur les traces de Jessy Wyler (Rachel Ward). En possession de 50 000 dollars volés à celui qu’elle fuit, cette dernière se réfugie au Mexique. Quand Terry lui met la main dessus, il en tombe amoureux. Une erreur à ne pas commettre…
Lancé par un thème musical oscillant entre la tradition du film noir (Michel Colombier, l’un des deux compositeurs a auparavant travaillé pour Jean-Pierre Melville, Philippe Labro, Marcel Carné ou encore William Friedkin) et des sonorités progressivement plus raccords avec l’exotisme du décor (une plage mexicaine), Contre toute attente affirme immédiatement un désir de dualité. Au cours du prologue, un homme, étranger en territoire inconnu, recherche une femme (Jesse Wyler et Jack Wise apparaissent une première fois à l’écran sous la forme d’une photo) : objectif simple, mystère total. Le cadre inhabituel est (temporairement) rattrapé par un conséquent retour en arrière, venant exposer les enjeux et présenter les différents personnages du récit. La cité des anges constitue dès lors le théâtre d’une intrigue sombre, invoquant les figures archétypales du genre (détective, femme fatale, maître-chanteur…) modernisées pour l’occasion. Terry Brogan, ancienne vedette des Los Angeles Outlaw, fait les frais d’une politique de gestion (plus économique que sportive) impitoyable, sous l’impulsion de la propriétaire Madame. Wyler, évoquée dans le dialogue puis intronisée en tant que lointaine silhouette, cette dernière paraît aussi féroce qu’inaccessible. Revanchard mais dans l’impossibilité de prouver sa valeur (en atteste la belle séquence d’entraînement nocturne, nappée d’une ambiance sonore de stade plein, brutalement interrompue), lâché par ses prétendus proches (son avocat désormais à la solde des puissants), il cède aux sirènes d’une vielle connaissance. La première rencontre entre les deux se déroule près d’une plage californienne ensoleillée (tel un écho à la chaleur moite du Mexique entrevue en introduction), Wise affaibli marche à l’aide d’une canne, l’amitié de façade qui semble lier les deux hommes, est trahie en deux temps. Un célèbre morceau de bravoure (une course poursuite en cabriolets sur Sunset Boulevard aux allures de concours de virilité) met d’abord en exergue une rivalité moins innocente qu’elle n’en a l’air, tandis que la mission confiée à Brogan, très bien payée au demeurant, s’agrémente in fine d’une menace de chantage en cas de refus. Taylor Hackford dépeint habilement des rapports de pouvoir et de domination, guidés par le profit et l’intérêt au sein d’un univers corrompu à toutes ses échelles. Terry se voit, par exemple, offrir une contreproposition de Mme. Wyler en vue de retrouver sa fille, incluant sa réintégration dans l’équipe en guise de récompense, sans considération aucune pour ses performances sportives. Le réalisateur sait également caractériser ses personnages tout en esquissant des interactions troubles et ambiguës que les multiples rebondissements viendront clarifier.
À ce flashback d’exposition très convaincant, succède un deuxième acte qui en prend le contrepied. Une fausse parenthèse romantique où s’opère le rapprochement progressif entre Jake et Jessie dans le cadre paradisiaque de la péninsule du Yucatán. Le protagoniste se détourne peu à peu de sa mission alors même qu’il est sur le point de l’accomplir. « Je me retrouve au milieu d’une histoire dont je n’ai rien à faire », dit-il d’ailleurs en toute franchise quelques minutes avant qu’un premier baiser ne scelle l’évolution de leur relation. Taylor Hackford n’évite pas la faute de goût au moment de filmer leurs torrides ébats, résumés à de prudes caresses entrecoupées d’un passage sous l’eau, kitsch en tous points de vue, pas loin d’une esthétique publicitaire désuète et ringarde. Paradoxalement, il parvient sans mal à retranscrire l’aspect hors du temps de ce qui se joue, jusqu’à imposer sans accroc, une ellipse de deux semaines. Plus intéressé par la libération simultanée de deux individualités manipulées, que par la dimension charnelle de son récit (en dépit de l’alchimie notable du couple formé par Jeff Bridges et Rachel Ward), il convainc partiellement. Cependant, il tire judicieusement profit de son décor lorsqu’il plonge ses personnages dans de gigantesques vestiges architecturaux (arène de jeux, pyramides, ruines) de la civilisation maya. Une allusion aux sports d’antan et la dureté des épreuves qui avaient lieu autrefois, fait l’objet d’un parallèle avec le sport contemporain que pratique Jake, pas forcément plus moral, mais d’évidence moins dangereux. Un rappel implicite au passé récent du héros, précède le retour d’une réalité qu’il ne cesse de tenter de fuir sans perspectives tangibles quant à son avenir et celui de Jessie. L’improbable fusion réunissant des codes visuels marqués par les tendances alors en vigueur dans le cinéma mainstream américain, et un arrière-plan dévoilant d’intemporel vestiges de civilisation antique, crée un contraste intéressant, en plus de générer une sensation de malédiction prête à s’abattre. Ce trouble passager amorce un dernier tiers plus attendu, du moins plus classique, dans l’ombre des modèles du genre (on pense notamment à l’intouchable Chinatown) à l’intérieur duquel se distinguent davantage que la mise en scène ou le script, la qualité des interprétations. En tête, James Woods, incarnation aussi intense qu’insolemment naturelle du bad guy dénué de scrupules, prêt à tout pour arriver à ses fins ou sauver sa peau. Contre toute attente constitue également l’une des dernières apparitions sur grand-écran de Richard Widmark, visage emblématique du thriller des années 50, au charisme définitivement inoxydable. Deux choix qui témoignent d’une distribution sans fausse note, point fort d’un long-métrage, par instants daté au niveau de ses parti-pris – à l’instar de la cultissime chanson de Phil Collins, Against All Odds (Take a Look at Me Now) devenue plus célèbre que le film, en inadéquation avec le beau plan final – néanmoins toujours plaisant à suivre.
Inédit en haute-définition, le métrage intègre le catalogue de Sidonis Calysta en Combo Blu-Ray/DVD et DVD simple. Il bénéficie d’un nouveau master et d’une édition abondante en suppléments. On retrouve deux commentaires audio, l’un en compagnie de Taylor Hackford, Jeff Bridges et James Woods, le second conviant de nouveau le réalisateur, cette fois-ci accompagné du scénariste Eric Hughes. Un document retrace la carrière de Jeff Bridges, pour qui, comme le rappelle Gerard Delorme dans sa présentation (bonus concis et assez complet), Contre Toute Attente a été un tournant (il joue la même année dans Starman de John Carpenter), l’installant en haut de l’affiche. Une courte, mais intéressante interview d’époque de James Woods (franc et non consensuel) est mise à disposition, au cours de laquelle il cite Gary Cooper en tant que modèle et source d’admiration. Plusieurs scènes coupées sont proposées (non restaurées) commentées ou non par le metteur en scène, ainsi que la bande-annonce et deux clips, celui de Phil Collins mais aussi My Male Curiosity de Kid Creole and the Coconuts. En somme, Against All Odds est désormais disponible dans les meilleurs conditions pour être (re)-découvert.
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