Troisième et dernière collaboration entre le réalisateur britannique Terence Young (Cold Sweat en 1970 et Soleil Rouge en 1971) et Charles Bronson, Cosa Nostra marque également la rencontre entre l’acteur et le producteur Dino de Laurentiis. Sorti en 1972, quelques semaines après Le Parrain, il est à l’instar du film de Francis Ford Coppola, adapté d’un roman (publié en 1969 comme celui de Mario Puzo), The Valachi Papers ou en français Mafiosi et mafia, les mémoires de Joseph Valachi. L’ouvrage signé Peter Maas, futur biographe de Frank Serpico en 1973 (adapté conjointement par Sidney Lumet), s’inspire d’une histoire vraie, celle de Joe Valachi. Il constitue ainsi, avant Scorsese, avant Leone, avant De Palma et d’autres qui marqueront ultérieurement le genre, l’un des premiers films traitant de la Mafia américaine. L’autre atout du long-métrage réside dans son duo vedette, le face à face inédit entre Charles Bronson et Lino Ventura. Année chargée pour les deux hommes, le premier avait été à l’affiche de deux réalisations de Michael Winner, Les Collines de la terreur et Le Flingueur, son partenaire avait notamment été vu dans Le Silencieux (Claude Pinoteau) et L’Aventure c’est l’aventure (Claude Lelouch). À sa sortie, Cosa Nostra profite pleinement de la popularité nouvelle du genre, il marche très bien en France (près de deux millions d’entrées) mais aussi aux États-Unis où il devient l’un des plus gros succès de la carrière de Bronson. Malgré cela, il tombera progressivement dans l’oubli, supplanté dans les mémoires par des références à venir (la trilogie de Coppola, Les Affranchis, Il était une fois en Amérique)… Powerhouse, après avoir sorti plusieurs titres avec Bronson (Le Cercle Noir, Chino, L’Évadé), le remet en lumière quasiment cinquante ans plus tard, en proposant la première édition haute-définition pour le Royaume-Uni. Condamné en 1962 à quinze ans de prison pour trafic de drogue, Joseph Valachi (Charles Bronson), une des “têtes” de la Mafia américaine, tue un autre prisonnier pensant que ce dernier a pour mission de l’assassiner. Ce nouveau crime aggrave la peine de Valachi qui est condamné à la prison à vie. Persuadé d’être exécuté, il décide de révéler tout ce qu’il sait sur l’Organisation. Son long interrogatoire donne lieu à une évocation de sa vie : son enfance, son séjour en prison à Sing-Sing, sa rencontre décisive avec Genovese (Lino Ventura), un des chefs de la Mafia, son mariage avec la fille d’un ancien “capo” et enfin son arrestation…
Ouverture en prison sur une citation de Robert Kennedy, alors ministre de la justice, où l’on découvre Joe Valachi enfermé, menacé et en permanence sous tension. Une entrée en matière sèche et brutale, ponctuée par deux courtes mais violentes, bagarres. Se distingue immédiatement un contraste entre la stature puissante de Charles Bronson, vieilli pour l’occasion (ironiquement, il hésita à accepter le rôle car il se trouvait trop âgé pour incarner un même personnage de la fin de l’adolescence à la soixantaine) et le statut de paria qui semble être le sien. Tandis que sa situation se clarifie, se met en place une narration somme toute classique, faites de vas et vient entre présent (début des années 60 donc) et passé (le cœur de l’action, trente ans plus tôt). À travers les révélations de Valachi et dans une durée synthétique de deux heures, est retracée une vie mafieuse, liant ainsi la petite et la grande Histoire. Réalisateur impersonnel mais compétent (ses James Bond ont marqué le cinéma populaire des 60’s), Terence Young s’empare de ce matériau dense, sans réellement parvenir lui donner l’envergure à laquelle il pourrait prétendre. Efficace et carré lorsqu’il s’agit de mettre en scène une fusillade, dépeindre l’ascension de son héros par vignettes ou séquences d’action, voir simplement trouver la distance afin de laisser l’espace à ses deux têtes d’affiche. Il fait montre d’un refus d’une quelconque forme de romantisme, préférant la sécheresse, la froideur. Un parti pris résultant d’une absence de « recul » sur le sujet qui se révèle à double tranchant, tant il présente autant d’atouts que de limites. Cette approche sert le caractère très documenté du film et facilite l’immersion à court terme : plongée sans fard dans l’environnement criminel, familiarisation avec les différents codes, omniprésence de la violence jamais dissimulée… En contrepartie, si Young soigne sa représentation d’un milieu qu’il défriche, son intérêt paraît moindre concernant le contexte politique qui entoure le récit. Il survole ou délaisse, un double sujet sous-jacent potentiellement passionnant : la montée en puissance de la Mafia sur le sol Américain (Roosevelt est alors le président des États-Unis, quand l’Italie est sous la dictature fasciste de Mussolini) et la tentative tardive de reprise de contrôle des autorités sur ces activités criminelles (coïncidant plus ou moins avec l’arrivée au pouvoir de Kennedy). En l’état, ces éléments apparaissent davantage telles des péripéties de plus à mettre en image, que des axes thématiques à traiter. La comparaison joue en sa défaveur, rien qu’avec le souvenir des très récents Le Traître ou The Irishman, où les fresques mafieuses se doublaient d’un regard sur l’Histoire.
Ces réserves énoncées, Cosa Nostra se suit sans déplaisir, il bénéficie en prime d’une très bonne bande-son de Riz Ortolani (qu’on a plus l’habitude d’entendre sur les films de Lucio Fulci et bien d’autres films bis italiens). Terrence Young fera de nouveau appel au compositeur pour sa réalisation suivante, Les Amazones. Il jouit surtout, conformément à sa promesse de départ, d’un affrontement entre deux acteurs qui rivalisent de charisme. Lino Ventura, campe une figure autoritaire et impitoyable, mais aussi séduisante. Ce rôle de « Capo dei Capi », résonne comme une variation amplifiée sur tous les plans, de ses premières apparitions à l’écran dans Touchez pas au grisbi et Razzia sur la Chnouf, vingt ans plus tôt. À l’aise dans le jeu en langue anglaise, il déclinera pourtant par la suite plusieurs propositions internationales. Face à lui, Charles Bronson, en position d’infériorité hiérarchique, excelle dans un registre inhabituel. Force de la nature fragilisée dans le présent, homme de main loyal et honnête mais relativement méprisé grimpant les échelons dans le passé, sa trajectoire peut présenter quelques similitudes avec sa propre carrière. Une analogie qui ne tient pas seulement à la présence dans le rôle de son épouse, de sa femme à la ville Jill Ireland. Détail amusant, de la réunion entre deux acteurs à connotations très viriles, l’image peut-être la plus emblématique survient dès leur première rencontre, celle d’un baiser de la mort.
En plus d’une superbe copie, le blu-ray s’accompagne de nombreux suppléments. La palme du document le plus dense revient certainement au commentaire audio auquel se livre Paul Tablot, l’auteur de l’ouvrage Bronson’s Loose! The Making of the ‘Death Wish’ Films and Bronson’s Loose Again!. Deux interviews récentes, permettent se replonger dans les coulisses du films et de son tournage, In the Make-up Room avec le maquilleur Giannetto De Rossi et Reviewing the Evidence en compagnie du scénariste Stephen Geller. Valachi: The Violent Era, making-of d’époque s’agrémente d’interviews sur le plateau de Terence Young et Charles Bronson. Archive précieuse datée à 1963, The Valachi Hearings propose des extraits du témoignage de Joseph Valachi devant le comité du sénateur John L. McClellan. On retrouve également plusieurs bandes-annonces, spots (TV/Radio) d’époque ainsi qu’un livret de 36 pages comprenant notamment un beau texte de Pasquale Iannone, recensant notamment des articles de journaux autour de la carrière criminelle de Valachi et des extraits de la biographie que lui a consacré Peter Maas.
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