Il serait peut-être intéressant de parler ici en prélude du nombre de plus en plus important de films directement distribués en vidéo ou télévision payante dans nos contrées. John Boorman, Dario Argento, David Mamet, Werner Herzog… Tous ont en commun d’être des metteurs en scène de renom, mais dont les derniers travaux n’ont pu trouver l’écho d’une salle de cinéma française. Les nouveaux moyens de diffusion d’une œuvre et la durée d’exploitation réduite par le piratage ont de plus en plus développé ces placards annexes. Parfois précédés d’une vulgaire sortie technique (Kevin Reynolds, Richard Linklater…) les derniers ouvrages de certains auteurs sont victimes de se retrouver en sandwich entre les désidératas du circuit art et essai et multiplexe. Ce qui n’est pas assez labellisé « auteur » ou « commercial » est du coup mis à l’écart. Outre les cinéastes et films « intermédiaires », se retrouvent victimes : les auteurs d’un cinéma de genre classique, des échecs en salle dans leur pays d’origine, ou des titres restés trop longtemps dans la tergiversation marketing.
Malgré l’estime portée à Ghost World et dans une moindre mesure à Bad Santa, Art School Confidential n’a pas connu de diffusion en salles dans l’hexagone et a atterri directement dans les bacs DVD. Il a ainsi payé son échec au box-office US et ses mauvaises critiques. Pourtant il aurait été opportun de laisser chacun juger dans une distribution adéquate sur grand écran cette réunion entre le réalisateur Terry Zwigoff et l’auteur de BD Daniel Clowes. Ne serait-ce que parce que Ghost World reste l’un des grands titres du cinéma indé US des années 2000. Si le film est effectivement un semi ratage, il se révèle pourtant très intéressant sur bien des points.
Il y aurait en fait une raison qui tient plus du fond même du film pour expliquer sa relative mise à l’écart, c’est que ce n’est pas qu’une « satire de l’art contemporain » du même ordre que les séquences avec Illeana Douglas dans Ghost World. Ici, en s’attaquant de front à la teneur et à la « magie » de l’expression artistique, à la croyance en l’art même, Daniel Clowes peut mettre mal à l’aise, décrivant un univers avant tout fait d’egos mal embouchés où la création nait au mieux d’une spontanéité à la nature particulièrement perverse. L’école d’art est une usine tout juste bonne à la création de clichés, déjà formatés ou en devenir. Le jeune « freshman » qui entre dans l’école avec pour continuelle arrière pensée de briller devant les filles est la première incarnation de ce narcissisme extraordinairement poussé… La jeune modèle blonde caviar de l’école évolue dans la même optique, et si les héros se regardent sans jamais se comprendre, c’est parce qu’ils ne recherchent l’un dans l’autre qu’un miroir le plus positif et extatique possible. On est typiquement dans le type d’obsession morbide et cloisonnante cher à l’auteur de David Boring, et l’une des grandes qualités de Art School Confidential, c’est que par rapport à Ghost World, très revisité par Zwigoff, le ton Clowes est peut-être mieux conservé et présenté dans son venin dépressif. C’est aussi ce qui va provoquer sans doute la bancalité de l’ensemble… car au fond, le metteur en scène vraiment le plus proche de Clowes serait sans doute plus un Todd Solondz (pour qui il dessina l’affiche de Happiness).
Zwigoff n’est pas aussi cruel et radical, et son mode d’action est plus une dissolution de l’amérique moderne, de ses mécanismes et décors, dans une sorte de mélancolie et de temps suspendu, qui contrastent toujours avec la subversion bien à l’œuvre. Ceci l’avait amené à créer dans Ghost World le personnage de Steve Buscemi très proche de lui, et à rendre attachant, voire mettre en avant, la différence d’un certain « geekisme » ringard… Il avait repris cette perspective dans Bad Santa. Le scénario de Art School Confidential, où Clowes a visiblement eu plus les coudées franches (Zwigoff n’a pas de crédit), ne permet pas à ce genre de personnages de s’épanouir, et sans doute le réalisateur s’est-il trouvé du coup mis à distance ? La mise en scène semble souvent traîner sans y croire, et peine à incarner cet aspect dérangeant. Toute la sous-intrigue du tueur en série et la présence du personnage de l’excellent Jim Broadbent sont traités par le metteur en scène comme si c’était sans trop savoir où il va (avec en particulier une séquence de meurtre giallesque sur le mode comique); ce qui est sans doute dommageable car il y a une vraie dureté, du poison et du drame humain très viscéral à l’intérieur de tout cela.
De même on pourra regretter le choix de Max Minghella au physique peut-être un peu trop avantageux pour son rôle ? Pourtant l’acteur est plutôt bon, comme une grande partie de la distribution ici réunie. John Malkovitch est réjouissant en prof de dessin, tandis que l’anglaise Sophia Myles s’inscrit avec un certain talent dans un rôle qui rappellera celui de sa compatriote Olivia Williams dans Rushmore. Art School Confidential fait plus rire jaune et grimacer toutefois, jouant rarement sur le pur aspect comique de certaines séquences de Ghost World ou Bad Santa. Surtout il exprime cet enfermement et cet étouffement vers lequel tendent les personnages de Daniel Clowes, le drame de leur narcissisme. Aura-t-on un jour à l’écran les frissons, la puissance noir et onirique que procurent ses BD. Art School confidential est au moins un film qui laisse une trace pour peu qu’on ne rejette pas son coté peu aimable et inachevé. C’est toujours important d’interroger les thématiques qu’il aborde.
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