Inventé en 2008 à l’occasion de la sortie de Not Quite Hollywood : The Wild, Untold Story of Ozploitation, l’opportuniste terme « ozploitation » est censé regrouper pêle-mêle films d’horreur, fantastique, action mais aussi comédies déviantes, réalisés en Australie entre le début des 70’s et le milieu des années 80. Plus que pour cette trouvaille sémantique, ce documentaire, à la faveur de quelques extraits contribue à faire sortir de l’oubli l’un des fleurons du genre, Next of Kin, aidé notamment grâce à l’enthousiasme contagieux d’un certain Quentin Tarantino. Longtemps perdu dans les limbes en raison de complexes questions d’ayants droit, le long-métrage sort en édition combo Blu-Ray/DVD. Conçu au sein d’une séquence faste pour le cinéma de genre australien – Pique-nique à Hanging Rock de Peter Weir (1975), Long Weekend de Colin Eggleston, Mad Max de George Miller (1979) – Next of Kin, est pourtant le fruit du travail de plusieurs « voisins » néo-zélandais, tels que le producteur Tim White, le scénariste Michael Heath et le réalisateur Tony Williams. Ce dernier a commencé dans le monde la publicité avant d’arriver à la télévision par le documentaire. Il signe en 1975, Lost in the garden world, où sont interviewés plusieurs talents émergents au Festival de Cannes, parmi lesquels les jeunes Steven Spielberg, Martin Scorsese ou encore Tobe Hooper, tout juste auréolé du succès de Massacre à la tronçonneuse. Un détail amusant dans la mesure où les premières versions du scénario de ce qui s’appelait initialement Sticky Ends, tendaient vers la comédie noire revisitant le monument mettant en scène Leatherface. Cela, avant l’intervention d’un Williams plus imprégné d’une cinéphilie européenne qui réorientera le script vers des aspirations plus personnelles. L’histoire commence par Linda Stevens (Jackie Kerin) qui hérite, suite au décès de sa mère, du domaine de Montclare. Ce vaste manoir aux allures gothiques, perdu dans le bush australien, fut transformé, en 1950, en maison de retraite par la mère et la tante de Linda. Une trentaine d’années plus tard, Linda prend donc les rênes de l’établissement. Peu à peu, la jeune femme est troublée par divers événements : un pensionnaire retrouvé noyé, des cauchemars liés à sa petite enfance, et la sensation oppressante qu’un intrus rôde dans les lieux. Trouvant le journal intime de sa mère, Linda découvre que celle-ci était en proie aux mêmes troubles… Montclare serait-il le théâtre de phénomènes bizarres ou un tueur s’est-il invité ?
Au détour d’une très courte et étrange introduction, Tony Williams pose son postulat telle une obligation dont il chercherait à se débarrasser le plus rapidement possible. L’image ralentie met en valeur la future héroïne au détriment du vague décor apparent, une station service, avant qu’une voix-off ne vienne brièvement éclaircir la situation. Sensation de plonger dans une réalité altérée, que va temporairement effacer l’après-générique. Ces plans larges des paysages australiens (une manière de rappeler l’origine du film) ensoleillés et quasi désertiques, en dépit de leur cinégénie évidente ne captent que partiellement l’attention du réalisateur. Ils contribuent certes à situer le cadre de l’action au milieu d’une sorte de no man’s land, mais ils tranchent avec des principes de mise en scène qui se mettront en place dès la séquence suivante, l’entrée à l’intérieur d’une seconde station service. En premier lieu, un usage récurrent de la steadycam, laquelle sert moins à suivre les personnages qu’à tenter de faire corps avec les architectures. La caméra se pose en prolongement vivant du décor ou au choix, en miroir déformant du réel. L’arrivée au domaine de Montclare s’accompagne d’une rupture météorologique (une averse), annoncée au préalable, qui contraint le protagoniste à se réfugier à l’abri, dans la maison de repos. Un endroit présumé calme et paisible, où l’on découvre des personnages curieux, aux comportements tantôt amusants, tantôt inquiétants. Le cinéaste se montre moins intéressé par l’effroi pur que par l’idée de façonner une atmosphère singulière, en ce sens il est plus proche du giallo Argentesque (influence qui peut se vérifier de la conception d’un plan zénithal d’escaliers à certains choix de couleurs) et du film d’horreur gothique que du slasher alors naissant aux États-Unis. Williams se joue du lieu qu’il investit et des idées reçues qu’il véhicule afin d’en transgresser les règles. Autrement dit l’initiation aux habitudes, emplois du temps et mode de fonctionnement de Montclare permettent, non sans une once d’ironie, de mieux s’en détacher ensuite. Cependant, le projet de mise en scène ne se limite pas à une approche ironique, aussi élaboré soit-elle. L’introduction de la violence et du danger dans la quotidienneté, alors que Linda commence à trouver ses marques va de pair avec un autre dessein.
Le film de Tony Williams tient plus de l’expérience cinématographique que de la narration linéaire « classique », en ce sens la résolution de son récit devient au fur et à mesure une préoccupation secondaire. À ce sujet, on est guère surpris d’apprendre dans l’un des suppléments (Rendez-vous avec l’horreur, un entretien avec le toujours très intéressant Eric Peretti) que le réalisateur n’hésita pas durant le tournage à sacrifier des pages de son script au profit de la fabrication de certaines images, l’élaboration de mouvements de caméra complexes. Accepter cette donnée et/ou être sensible à ces recherches visuelles, sonores (on inclut dans l’équation la bande-son de Klaus Schulze, l’homme derrière le score de Schizophrenia et ancien membre de Tangerine Dream) et sensorielles peut grandement faciliter l’immersion. Cette sophistication formelle n’a rien de vain ou gratuit, elle obéit à une double logique. D’une part, renforcer le caractère mystérieux des décors, leur permettre de s’incarner à l’écran, sans artifices ou effets ostentatoires. Outre une utilisation virtuose de la steadycam qui valut quelques comparaisons flatteuses avec Shining, la construction, composition des plans n’en est pas moins fascinante. Notamment dans son goût des surcadrages, conçus à échelles de différentes valeurs (fenêtres, photos, tableaux, miroirs,…). Ils aimantent la caméra à l’intérieur du cadre et permettent de démultiplier les perspectives d’une même image, par extension ses sens et interprétations potentielles. Par exemple, lors d’une séquence un brin banale dans le bureau du Dr Barton, le jeu de questions-réponses improvisées, gagne en trouble par sa mise en scène, laquelle tend à interroger le lieu presque en contradiction au dialogue. D’autre part, le cinéaste cherche à traduire visuellement la perte de repères et l’abandon progressif de son héroïne, restituer ses tourments, obsessions. Le long-métrage mélange une dimension atmosphérique, proche de l’onirisme à une autre beaucoup plus mentale, presque psychanalytique. Passé et présent s’entremêlent, journal intime et voix-off nourrissent des flash-back (audios et vidéos) qui deviennent ensuite matière à rêves et cauchemars. L’inconscient influe le conscient, le perturbe et réciproquement, de là naît peu à peu une confusion (temporalité brouillée, motifs répétés) entre ce qui relève du souvenir et de l’imagination. Œuvre de pur formaliste, Next of Kin délaisse toutefois sa relative langueur dans un final conçu comme un pur crescendo d’action. Un impressionnant morceau de bravoure, conclusion du spectacle en apothéose, à la fois sidérant et exaltant.
Objet détonnant dans le paysage du cinéma de genre australien, inédit en France depuis une misérable sortie en VHS sous le titre Montclare: Rendez-vous de l’horreur, Next of Kin fait peau neuve en haute-définition avec une édition optimale signée des incontournables Le Chat qui fume. Le film bénéficie d’une restauration ultra soignée à la hauteur de la superbe photographie de Gary Hansen, notamment dans sa restitution de couleurs qui regagnent tout leur éclat originel. Comme toujours, outre un beau packaging, l’édition est peu avare en suppléments. Elle contient tout d’abord deux commentaires audios, l’un en présence du réalisateur Tony Williams et du producteur Tim White, l’autre en compagnie d’une partie du casting, dont l’actrice principale Jackie Kerin. On recommande après le visionnage, l’excellent document Rendez-vous avec l’horreur, fourmillant de précieuses anecdotes, lesquelles permettent d’appréhender avec précision et concision le contexte précédant le film, sa conception et puis sa disparition soudaine. Retour à Montclare, donne à revisiter le décor des années après le tournage, avec une mise en parallèle entre des images présentes et des extraits du film, stimulant et un brin mélancolique. La scène de danse filmée par Tony Williams (visible sur un poste de télévision dans le long-métrage) est disponible en intégralité. Enfin, en plus de nombreuses bandes-annonces, deux précieux bonus photos sont à disposition, l’un condense près de cinq minutes de scènes inédites, l’autre recense visuels des jaquettes et affiches, archives de tournages, Polaroids, pages de scénario, storyboards etc. Complète et haut de gamme, cette édition constitue un support idéal pour découvrir ce joyau horrifique.
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