Certaines plumes se sont temporairement tues pendant le confinement, pendant que d’autres font preuve d’une énergie assez folle. Des esprits s’échauffent et se lancent dans de folles réflexions autour d’un sujet singulier. Quoi de plus propice au tourbillon intellectuel que le Twin Peaks de David Lynch, oeuvre-univers poussant au vertige. Pour son premier texte pour à Culturopoing, qui, espérons-le, inaugure une fructueuse collaboration Jean-François Magre s’interroge donc sur une origine possible plutôt inattendue de Twin Peakscomme vous allez le constater…

Twin Peaks est le lieu singulier d’une transmutation cinématographique. Un fluide, un flux d’énergie ou de matière semble avoir été échangé entre l’œuvre de Frost et Lynch et des films comme Laura d’Otto Preminger, Vertigo d’Alfred Hitchcock ou Sunset Boulevard de Billy Wilder. L’aura qu’elle a acquise exerce à son tour une influence non seulement sur ce qui a suivi mais aussi, rétroactivement, sur ces films. Parfois, la référence se révèle sans prévenir. Dans Experiment In Terror de Blake Edwards dont le titre même serait un parfait sous-titre à la tragédie de Laura Palmer, Experiment désignant aussi la créature apparaissant dans le cube de verre au début du Retour, un agent du FBI enquête dans une voie sans issue nommée… Twin Peaks. Lorsque le méchant y est présenté comme un « féru de cinéma » nommé Garland Lynch, on a l’impression d’une private joke ! Un peu comme si le film d’Edwards s’amusait à faire des clins d’œil en retour à Twin Peaks, du moins est-ce l’expérience qui se joue dans la perception du spectateur et fan de base. Lorsque Patrick Brion remarque dans son livre Le film noir à propos de l’acteur Wesley Addy dans Kiss Me Deadly de Robert Aldrich, autre référence notoire, qu’il est « lynchéen par anticipation »¹, il valide bien l’idée que l’influence n’est pas à sens unique et que la time line est loin d’être linéaire (« Is it future or is it past » dirait Mike le manchot). Dans la partie 15 du Retour, l’agent spécial Dale Cooper, toujours englué dans une sorte d’hébétude, piégé dans son véhicule Dougie Jones, allume la télévision et tombe sur un passage de Sunset Boulevard où un personnage prononce le nom de Gordon Cole, cette parole déclenche son réveil. La citation n’est pas simplement ornementale, elle est rappelée à travers le temps et l’histoire du cinéma pour intervenir dans le récit. Il n’est donc pas impossible qu’un film étranger au corpus connu des références puisse contenir par anticipation des traces de matières ou de fluide appartenant à Twin Peaks. C’est l’impression que m’a fait une obscure série Z réalisée par Bert I Gordon en 1955, King Dinosaur.

Les premières minutes de ce film sont composées de stock shots, fait banal dans ce type de production à très petit budget, contextualisés par une voix off solennelle. Mais ce matériau documentaire sert à amorcer une histoire complètement fantaisiste. Une planète jumelle de la Terre (Doppelgänger ?) est apparue soudainement dans notre système solaire, scientifiques et militaires américains la baptisent Nova et se mettent en quête d’aller l’explorer. Les stock shots détournés décrivent les préparatifs de cette expédition, notamment la construction d’une fusée, ainsi qu’une charge nucléaire portable, elle fera partie du voyage et conclura l’histoire. Les premiers mots que les quatre membres de l’équipage, deux femmes et deux hommes, prononceront lorsqu’ils poseront le pied sur ce sol inconnu seront « We’re first ! ». Il s’agissait avant tout de relever un défi. C’est lors de leur progression dans la forêt au combien vierge que le docteur Patricia Bennett, Nora Pierce, le docteur Ralph Martin et le docteur Richard Gordon (l’acteur Douglas Henderson ressemble par anticipation à Ray Wise) vont rencontrer le monde de Twin Peaks.

faux air de Leland Palmer – Capture d’écran de King dinosaur (Bert I Gordon, 1955) – Lippert pictures tous droits réservés

D’emblée, la fusée se pose étrangement dans une petite clairière au milieu d’une sombre forêt de hauts résineux qui ressemble fort à Ghostwood. Parmi les cris d’animaux qui composent l’ambiance jungle, provenant sans doute d’une banque de sons, domine un cri familier de la Black Lodge : l’espèce de hululement-yodel que pousse le Jumping Man dans la séquence du Convenience Store (Missing Pieces de Fire Walk With Me). Pacôme Thiellement dit juste qu’ « il hurle comme un singe »² sans doute parce qu’une face simiesque apparaît lorsque le petit-fils Tremond-Chalfont soulève son masque, réplique de celui du Jumping Man, et personne n’a essayé de l’examiner plus avant alors que les théories de fans se perdent en conjecture à propos du petit bruit émis par le phonographe au début du Retour. Aucune recherche sur Internet ne m’a permis pour l’instant d’en identifier la source, l’animal a peut-être disparu depuis l’époque où il a été enregistré. Le sound designer Lynch, féru de cinéma, a donc peut-être échantillonné quelques passages de la bande-son de King Dinosaur ou seulement utilisé la même antique bande disponible dans les archives d’Hollywood.

 

Toujours lors de cette séance au-dessus du Convenience Store, le personnage désigné comme l’électricien, appuyé sur le manche de son balai, l’air absent ou un peu désabusé, peut-être nostalgique, prononce deux mots à la résonance profonde : « Animal life ». On sait combien ce thème de l’animalité innerve Twin Peaks : chaque épisode des saisons 1 et 2 s’ouvrait sur un oiseau dont l’habitat naturel, les arbres de la forêt de Ghostwood, était aussitôt menacé par les dents aiguisées de l’image suivante ; dès le pilote, enfermés dans une cellule, une cage, Bobby et Mike se mettaient à pousser des cris d’animaux en voyant James, le rival, arriver dans une autre cellule, lui-même se comportant comme un félin sur ses gardes ; la partie 2 du Retour montre Sarah Palmer regardant à la télévision un documentaire animalier particulièrement violent, elle dévoilera plus tard la force surnaturelle et sauvage qui l’habite (partie 14) et la première chose que nous apprenons du personnage de The Man From Another Place est qu’il vient d’un endroit où les oiseaux chantent une jolie chanson (« Where we’re from, the birds sing a pretty song and there’s always music in the air »), on ne pourrait pas mieux décrire l’environnement dans lequel débarquent les quatre astronautes de King Dinosaur, une forêt vierge résonnant de chants d’oiseaux, l’harmonie de Nova.

oiseaux de Nova – Capture d’écran de King dinosaur (Bert I Gordon, 1955) – Lippert pictures tous droits réservés

Patricia, Nora, Ralph et Richard décident d’établir un campement près d’un grand arbre couché après avoir été arraché. Après cette longue marche, la blonde Patricia s’appuie sur le tronc et soupire « I’m dead ». Une sublime référence par anticipation au cadavre de la blonde Laura retrouvée à côté d’un imposant tronc pétrifié qu’on a longtemps pris pour un rocher.

l’arbre couché – – Capture d’écran de King dinosaur (Bert I Gordon, 1955) – Lippert pictures tous droits réservés

 

I’m dead – Capture d’écran de King dinosaur (Bert I Gordon, 1955) – Lippert pictures tous droits réservés

Encore plus troublant, une fois le campement établi, le hululement d’un hibou les surprend alors qu’ils ne prêtaient pas attention jusque-là à tous les cris d’animaux qui les environnent, s’ensuit l’image du hibou perché sur une branche, il tourne la tête vers eux. Premier habitant de Nova a avoir remarqué les intrus et cousin des hiboux qui semblent surveiller la ville de Twin Peaks dans les deux premières saisons et qui hantera le récit fleuve de Mark Frost, The secret history of Twin Peaks. L’analogie est tellement naturelle que lors de la diffusion en décembre 1990 de King Dinosaur dans l’émission de Joel Hodgson Mystery Science Theater 3000 (Saison 3, épisode 10) où il commentait des nanars en direct dans un faux décor de salle de cinéma, il s’exclama « The owl footage is not what it seems » (Twin Peaks était en cours de diffusion sur ABC).

Owl footage – Capture d’écran de King dinosaur (Bert I Gordon, 1955) – Lippert pictures tous droits réservés

Un personnage particulier apparaît à ce moment du film, un petit animal que les astronautes adoptent comme une mascotte et baptisent Joe. Au générique, il est crédité comme Little Joe – The honey bear alors que l’animal utilisé sur le tournage est un kinkajou, mais les quatre scientifiques l’identifient comme un lémurien ! Il est déjà intéressant de noter que dans The secret history of Twin peaks, il est fait mention de la race ancestrale des « lémuriens » vivants dans « de vastes cités souterraines » qui pouvaient intervenir dans les affaires des humains voire « les faire souffrir »³. Si la nature du petit animal sympathique est d’emblée floue, le film, par le langage cinématographique même, va lui attribuer une place qui ouvre la voie à une possible explication du mal à l’œuvre dans Twin Peaks. Animés par une avidité exploratrice, Nora et Ralph partent explorer une île-volcan émergeant d’un grand lac, ils embarquent Joe avec eux dans le canot. Une fois sur place, ils ne tardent pas à croiser les dinosaures tant attendus, c’est-à-dire un iguane, un bébé crocodile et un autre lézard qui sont poussés à s’affronter pour les besoins du spectacle. Réfugiés dans une grotte pour échapper au King Dinosaur (qu’ils prennent pour un Tyranosausrus rex, un comble pour des savants !), ils pensent à récupérer Joe resté à l’extérieur, mais lorsqu’ils s’en échappent, profitant que l’iguane est occupé à se battre ailleurs, ils oublient Joe. Prévenus par une fusée d’alarme, l’autre couple part secourir leurs amis et emportent la charge atomique. Arrivés sur l’île, ils amorcent la charge et tous les quatre s’enfuient, mais sans Joe ! Pour palier cette erreur manifeste de continuité due sans doute à un tournage bâclé, le montage tente de faire croire très grossièrement qu’il court avec les autres au moyen d’inserts fallacieux, mais le mal est fait. Lorsque les fuyards se précipitent dans le canot qui les ramènent sur le rivage de la forêt, Joe n’est toujours pas avec eux, pourtant il semble fuir de son côté. Les astronautes ont juste le temps de se protéger derrière un rocher avant que la bombe n’explose et anéantisse l’île. Même si le montage persiste à nous faire croire que Joe est lui aussi sain et sauf sur le rivage, il n’est pas physiquement avec les autres pour ce qui aurait pu constituer un happy end convenu, il demeure en parallèle.

Little Joe – Capture d’écran de King dinosaur (Bert I Gordon, 1955) – Lippert pictures tous droits réservés

JUDY, l’entité maléfique suprême, serait une évolution linguistique du mot originel JOWDAY, mais pourquoi ne pas le prendre au pied de la lettre et le lire JOE DAY, le jour de Joe. Cette « powerful negative force » est poursuivie par Gordon Cole mais peut-être aussi par David Lynch lui-même. L’unique image accrochée aux murs de la chambre de Henry Spencer dans Eraserhead est une petite photo d’un champignon atomique. Entre ce premier long métrage et Twin Peaks, Le Retour, le champignon a grandi, il couvre entièrement le mur du bureau de Gordon Cole et finit par envahir l’écran dans la fameuse partie 8. L’explosion fondatrice est datée, July 16, 1945, White Sands, New Mexico, mais cet événement réel est doublé par un second, fictionnel, tout aussi précisément situé : 1956, August 5, New Mexico Desert. Si les Woodsmen et d’autres incarnations du mal (le crapaud-libellule, le cheval dont on perçoit le hennissement) n’atterrissent qu’à ce moment-là c’est qu’une autre explosion a eu lieu plus proche dans le temps, ou dans la time line, non pas dans la réalité mais au cinéma, dans King Dinosaur qui date de 1955 même si l’action est censée se dérouler en 1960 (mais, après tout, comme le dit Dale Cooper dans son ultime réplique : « What year is this ? ») Lorsque Leland Palmer chante une chanson issue de The King And I (Saison 2, épisode 6), l’allusion ne renverrait donc peut-être pas au film de Walter Lang sorti à la même période mais à la relation qu’entretiendrait Lynch à King Dinosaur. À cette faute de cinéma qu’il porte, la glorification de la bombe, Lynch oppose une rédemption de cinéma.

explosion de l’île – Capture d’écran de King dinosaur (Bert I Gordon, 1955) – Lippert pictures tous droits réservés

Chez Lynch, il y a la hantise de la brèche entre deux mondes dont l’un va corrompre, contaminer l’autre, brèche entre un intérieur et un extérieur, entre la sphère du bien et du mal, le passé, le présent et le futur, mais aussi passage de la réalité au rêve, du naturel au surnaturel. Le cinéma, médium et lieu physique, est le point de passage. L’intérieur de la tour du Fireman et de sa compagne n’est autre qu’un de ces Movie Theater de l’âge d’or d’Hollywood, un phare à la lumière retournée vers l’intérieur. Hawk avertissait déjà Cooper dans l’épisode 11, saison 2 : « Cooper, you may be fearless in this world. But there are other worlds. Worlds beyond life and death. Worlds beyond scientific reality. » La bouche de The Experiment vomissant sa pléthore d’oeufs de malheur, parmi lesquels Bob, dans la partie 8, n’est qu’un nouvel avatar de la bouche sanglante d’une des Six Figures Getting Sick, le tout premier film court du cinéaste. Brèche qui se matérialise ailleurs sous forme de fente (Lost Highway), de trou dans une cagoule (Elephant man) ou de boite mystérieuse (Mullholand Drive). Au cours de la séance au-dessus du Convenience Store des Missing Pieces, The man from another place insiste sur cette pénétration (« Going up and down. Intercourse between the two worlds »). Bob et tous les ressortissants de la Black Lodge ont eu accès ainsi à notre univers, ils sont nés de la brèche ouverte par l’explosion atomique, de l’équilibre rompu, de l’harmonie brisée, il est logique que leur devise soit « Fire walk with me », comme un sillage de feu. Nova est le paradis perdu. Peut-être est-ce son souvenir qui trône sur la petite table de la Black Lodge sous la forme d’une sculpture représentant une planète.

Black lodge – Capture d’écran de Twin Peaks : The Missing Pieces (1994) Copyright Absurda, CBS home entertainment tous droits réservés

2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, utilise aussi l’idée d’associer deux extrémités de l’Histoire de l’humanité, la période préhistorique (le monde de Nova est qualifié comme tel par les 4 astronautes) et le futur immédiat, deux zones investies par l’imaginaire. En revanche, au lieu de la concomitance de King Dinosaur, le film de Kubrick respecte une certaine consécution, on passe de l’une à l’autre sans passer par la case présent. Les astronautes dépeints ne sont plus des conquérants téméraires mais des êtres humains toujours dominés par une force supérieure même après une longue évolution. Lorsque la charge nucléaire pulvérise l’île aux dinosaures, Ralph lâche ce commentaire en guise de conclusion : « We brought civisation to planet Nova. » Comme le dit très bien le youtubeur de Dark Corners Reviews : « The crazy thing is, I’m not sure that line’s ironic ! », alors que, par exemple, ce terme est déjà explicitement péjoratif dans The secret history of Twin Peaks : « La folie de l’abattage d’arbres – Avec l’arrivée de la civilisation débuta l’exploitation de la terre par ses nouveaux occupants. »4 Le monolithe qui apparaît dans le célèbre prologue de 2001 apporte lui aussi la civilisation à une tribu de primates, c’est-à-dire la technologie guerrière pour prendre le dessus sur la tribu rivale. En 1968, le film de Kubrick semble se poser en antithèse absolue à celui de Gordon, c’est peut-être pour cette raison qu’ils se rencontrent dans Twin Peaks. Lorsque un autre monolithe est déterré sur la surface de la Lune, il réagit à la tentative d’un astronaute de le toucher par l’émission d’un son insoutenable. Le dérèglement de l’espace et du temps qui suit l’explosion atomique plein cadre de la partie 8 du Retour rappelle tellement le voyage « au-delà de l’infini » de David Bowman qu’on ne peut penser qu’à une citation. Comme Kubrick a pu utiliser la musique de György Ligeti, Lynch fait appel à Krzysztof Penderecki, déjà présent dans l’autre film-culte de Kubrick, The Shining. Thrêne à la mémoire des victimes d’Hiroshima est en effet une référence sans ambiguïté à l’horreur de la bombe et il a été composé en… 1960. Le son que Ben Horne et sa secrétaire Beverly perçoivent sans le situer dans le bureau et dans tout l’hôtel du Grand Nord est peut-être la rumeur du souffle de l’explosion du 5 août 1956 ou de celle de King Dinosaur, c’est peut-être seulement le bruit de fond de l’univers, audible à cause de la brèche qu’elle a irrémédiablement ouverte, ou encore le signal émis par un monolithe comme celui qui suscite l’expédition du Discovery One vers Jupiter. Ce n’est pas par un chaînon que les deux œuvres sont reliées, mais à nouveau par une brèche qui permet le transfert de matières.

Nova – Capture d’écran de King dinosaur (Bert I Gordon, 1955) – Lippert pictures tous droits réservés

Si Twin Peaks, la ville, se révèle un épicentre du mystère c’est qu’elle a peut-être recueilli plus qu’un autre lieu des fragments de L’île atomisée de Nova. De l’immense énergie dégagée par l’explosion a résulté une fusion de géographies cinématographiques : les pics jumeaux font écho à la gémellité de la Terre et de Nova (le double est d’ailleurs un autre thème majeur de la série), le nom Ghostwood signale un endroit à cheval entre deux mondes et la grotte du hibou, visitée lors de l’épisode 25 de la saison 2, fait partie du réseau souterrain de tunnels de lave reliés à une chaîne de volcans, apprend-on dans The secret history of Twin Peaks. Le losange surmonté de deux chevrons découvert à ce moment-là donnera lieu à de multiples interprétations (un diamant flanqué de deux montagnes, un hibou en vol…) et finira par symboliser l’univers de Twin Peaks. Il évoluera dans Le Retour en une forme ovoïde clairement associée à JUDY. Une tête avec deux petites oreilles, le portrait en ombre chinoise de Joe. Ralph et Nora, mais surtout le film, l’ont oublié dans la grotte ce fameux jour, c’est logiquement par la grotte du hibou, vase communicant de cinéma, qu’il réapparaît pour devenir la mauvaise conscience qui ronge Twin Peaks. Le pétroglyphe découvert par Andy Brennan peut lui aussi se prêter à de multiples interprétations mais une chose est pourtant évidente, il superpose la cartographie de la région de Twin Peaks et le système solaire, il établit cette réalité que les espaces sont entrelacés. Le message capté par le major Briggs grâce au Listening Post Alpha, braqué vers les étoiles, dans l’épisode 9 de la saison 1 : « the owls are not what they seems » suivi de « Cooper/Cooper/Cooper » est dit provenir de Twin Peaks, thèse qui n’est plus contradictoire lorsqu’on considère la fusion des espaces, le message provient bien en même temps de Twin Peaks ET de l’espace intersidéral de la même façon que Gordon Cole est le nom du personnage que s’attribue David Lynch, associé à l’image de la bombe, en même temps qu’un nom entendu dans Sunset Boulevard (prononcé par un acteur prénommé Bert !) et dans lequel on peut entendre ce Gordon call, ce rappel de la faute originelle ou ce Gordon coal qui noircit la face des Woodsmen. Les points de contact, les passages sont multiples et mouvants, physiques et métaphoriques, ils se prolongent et prolifèrent d’autant plus à notre époque où les formes et les pratiques audiovisuelles ont subi les mutations imposées par Internet. Les théories de fans (dont le présent texte participe !), souvent bien construites et étayées, croisent les mèmes viraux. La plus manifeste des apparitions de JUDY dans Le Retour fait justement entendre l’écho d’un antique mème renvoyant à l’histoire d’Hollywood. En effet, l’enseigne de cafétéria Eat at Judy’s que repère Dale Cooper le long d’un axe d’une morne banlieue évoque le running gag Eat at Joe’s, encore lui, qui s’invitait dans des films ou dessins animés américains des années 40.

Fusée dans Ghostwood – Capture d’écran de King dinosaur (Bert I Gordon, 1955) – Lippert pictures tous droits réservés

De la même façon que Twin Peaks a été irradié par des objets de cinéma (peut-être même littéralement lorsqu’on songe au finale de Kiss Me Deadly), il irradie à son tour, par son aura, une part de la production qui l’a suivi et les stigmates de cette influence rappellent encore étrangement King Dinosaur. Lost prend justement place sur une île où temps et espace sont altérés et The Leftovers expose la violence animale se retournant contre la vie civilisée (surtout dans la première saison) et exploite aussi les passages dans des univers alternatifs. Alors, King Dinosaur est-il une influence cachée, inconsciente ou n’a-t-il rien à voir avec Twin Peaks et ses auteurs ? Laissons Margaret Lanterman conclure par, dernier chamboulement de time line, une de ses introductions (épisode 27, saison 2) : « There are clues everywhere, all around us. But the puzzle maker is clever. The clues, although surrounding us, are somehow mistaken for something else. And the something else, the wrong interpretation of the clues, we call our world. » Mais il se peut qu’à notre époque, notre monde soit synonyme de cinéma.

 

¹ Éd. de la Martinière, 2004, p. 382-383
² Trois essais sur Twin Peaks, Éd. Puf, 2018, p. 108
³ Éd. Michel Lafon, 2016, p. 95
4 Éd. Michel Lafon, 2016, p. 66

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