Umberto lenzi – « Le Tueur à l’orchidée »

Quel rapport existe-t-il entre François Truffaut et Umberto Lenzi ? A priori, aucun. Sauf que Le Tueur à l’orchidée s’inspire d’un célèbre polar de William Irish, The Bride Wore Black, transposé à l’écran par François Truffaut sous le titre La Mariée était en noir. Le cinéaste italien, en parfait roublard, en a réalisé une adaptation officieuse en inversant le processus : il ne s’agit plus d’une veuve qui abat les responsables de la mort de son époux, mais de femmes assassinées par un tueur en série qui laisse sur chaque corps une amulette en forme de croissant en argent. Pas besoin de vous faire un dessin, les victimes ont sans doute un lien entre elles.

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Giulia, mariée depuis peu à Mario, se fait agresser par le meurtrier dans un train, mais parvient à s’en sortir. Se faisant passer pour morte pour induire en erreur son bourreau, elle décide de mener l’enquête avec son compagnon, trope amusant et récurrent du giallo, surtout quand les forces de l’ordre se révèlent inefficaces comme ici. En effet, la police se distingue par son inertie ou ses erreurs d’aiguillage, obéissant à la fois aux lois du genre et aussi à l’ironie sous-jacente dont fait preuve un artisan bien plus intelligent que la moyenne, et plus cultivé aussi. Pourtant l’inspecteur principal possède une certaine classe en surface, mais brasse beaucoup de vent et est entouré d’une bande d’incompétents, ce qui permet de justifier l’implication des personnages principaux qui s’improvisent détectives. Pour un giallo traditionnel, Le Tueur à l’orchidée affiche un ton et un style décontractés, une atmosphère ludique où plane l’esprit d’Agatha Christie et d’Edgar Wallace.

Seven Blood-Stained Orchids/Sette orchidee macchiate di rosso (1972) | Mark David Welsh

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Le film est par ailleurs produit par la société allemande Rialto et demeure donc un véritable Krimi, ce que confirme la présence de la ravissante Ushi Glass aperçue dans Le Moine au fouet ou encore dans La Mort dans la tamise. Umberto Lenzi a beau se défendre d’appartenir au krimi juste par le jeu des coproductions alors que son ambition réelle serait du côté du film noir, la mise en scène ludique contredit son discours.  L’inquiétante étrangeté du giallo au climat morbide se délite rapidement pour laisser place à une œuvre policière plus pop, teintée d’un humour bon enfant et d’une esthétique voyante misant sur le rythme avant tout. En s’emparant d’une esthétique de poliziottesco qu’il maîtrise à la perfection, essentiellement pour les extérieurs, Lenzi semble parfois en décalage avec son whodunit. Les zooms agressifs et les brusques raccords s’accommodent difficilement de l’intrigue développée, comme si le metteur en scène ne prenait jamais au sérieux son film. Ce qui confère à l’ensemble un charme suranné des plus sympathiques. Et Antonio Sabato a plus l’allure d’un beau gosse à la gâchette facile que d’un fin limier réfléchi.

Le Tueur à l'orchidée - Film (1972) - SensCritique

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Néanmoins, le réalisateur de La Rançon de la peur affine son savoir-faire lors des moments clefs, les derniers souffles de victimes agonisantes dans des arabesques de raffinement et de sadisme sublimées par un art du montage décuplant d’ingéniosité. Le meurtre de l’artiste peintre synthétise en une séquence toute la beauté cinétique que recèle le giallo dans cet art de mettre en scène la mort physique dans un rapport pulsionnel de violence et d’érotisme. Son corps, recouvert de peinture par le tueur masqué, illustrant l’association du sang avec la peinture. Cette figuration graphique est aussi présente dans La Queue du scorpion de Sergio Martino, modèle plus évident que la trilogie animale de Dario Argento.

Tout ceci pour nous dire que ce n’est que du divertissement, un petit tour dans un train fantôme qui n’a d’autre but que de procurer du plaisir. La mécanique s’enraye parfois, faute d’un scénario littéral et peu inventif : la résolution finale tombe comme un cheveu sur la soupe, explication expédiée en deux minutes sans avoir recours à des procédés cinématographiques, écueil souvent rencontré dans les giallos de séries où la mise en scène se contente d’illustrer une intrigue qui ne vaut que pour la révélation de l’assassin. En connaissant l’esprit gentiment tortueux du cinéaste, il n’est pas difficile de deviner qui est l’auteur des crimes.

Seven Blood-Stained Orchids/Sette orchidee macchiate di rosso (1972) | Mark David Welsh

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Moins singulier que Spasmo, mais plus captivant que Chats rouge dans un labyrinthe de verre, Le Tueur de l’orchidée n’a rien de révolutionnaire, faisant office de petit giallo traditionnel qui reprend tous les archétypes du genre dans un style agréable, coloré et presque sautillant. Il a acquis pourtant au fil des années une certaine réputation au point d’avoir été un des premiers titres édités en France en DVD grâce à l’excellent travail au début des années 2000 de Neo Publishing. C’est avec un réel plaisir que je découvre le film enfin en Blu-Ray grâce au Chat qui fume d’autant que la copie est magnifique. Les bonus sont passionnants, à commencer par l’intervention d’Umberto Lenzi (Les Fleurs de sang, 24 mn), qui montre un cinéaste érudit et bien plus intéressant qu’on ne le pense. Le documentaire Le Giallo : une radiographie de l’Italie d’après-guerre par Cinéma et politique est une bonne entrée en matière pour saisir l’importance du giallo dans l’industrie du cinéma italien et plus généralement au sein de la société. Enfin, l’actrice Gabriella Giogelli revient avec beaucoup d’enthousiasme sur le film. Elle livre quelques souvenirs croustillants, notamment sa rencontre avec Lenzi, qui en disent beaucoup sur la manière dont les films se montaient dans les années 70.

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