Derrière un pur produit de consommation – ce qui n’a rien de péjoratif – Meurtre par intérim affiche des intentions insolites qui viennent se confronter à des exigences commerciales. Deux films en un semblent cohabiter pour ce qui reste une des plus grandes réussites de Umberto Lenzi, artisan populaire du cinéma italien à la carrière inégale. A défaut d’avoir une vision, des thématiques précises, il possède un style, un sens indéniable du rythme et de la topographie, des qualités que l’on retrouve dans ses excellents polars injustement taxés de fascistes, un comble pour un homme de gauche. Peut-être populiste mais de gauche. Cet ancrage idéologique, pas toujours évident à déceler, sert intelligemment ses giallos de machinations, intrigues tortueuses conçues sur le modèle des Diaboliques de Clouzot, prétextes à des charges cyniques contre la bourgeoisie décadente de l’Italie de la fin des années 60. Vachard et sans subtilité, il décrit un monde hypocrite, veule et déshumanisé où seul compte le profit. Paranoïa, Orgasmo, Si douces … si perverses sont construits sur le même principe. Pas à une contradiction près, Lenzi a souvent eu aussi un penchant réactionnaire, observant une jeunesse post 68 avec un certain dédain, se transformant en portraitiste caricatural et agressif, où les jeunes chevelus sont forcément des drogués, des délinquants décérébrés, accros à la société de consommation. Cet aspect se retrouve dans certains poliziotesco et dans son giallo Le Tueur à l’orchidée. Finalement, il s’agit davantage d’une position de convention, voir opportuniste. Car lorsqu’on écoute Lenzi parler, son discours progressif est limpide. Une fois n’est pas coutume, il porte un regard plutôt bienveillant, même humaniste envers le jeune couple de Meurtre par intérim.
Dès le générique, sous l’impulsion d’une pop song désuète et un peu ringarde, il filme deux tourtereaux qui font les 400 coups à Copenhague. Ce qu’il capte très bien en deux trois plans, c’est leur insouciance, le sentiment de liberté et de bonheur dégagés par ses deux silhouettes, idéalement endossées par deux comédiens non seulement très incarnés à l’écran mais en plus d’une beauté indécente. Côté masculin, Ray Lovelock – acteur capable de jouer le héros libertaire exemplaire (Le massacre des morts-vivants) que l’immonde salopard (La dernière maison sur la plage) – possède la parfaite gueule du petit minet sans pour autant avoir cet air niais qui en caractérise tant. Côté féminin, Ornella Muti, à peine âgée de 16 ans, au moment du tournage, est déjà l’une des plus belles femmes du monde. Elle parvient aussi à faire exister cette adolescente exubérante prête à braver des interdits par amour. Comme ce n’est ni Le Lagon bleu ni Love story, la caméra ne fait pas que suivre ce joli couple en vadrouille pour le seul plaisir des yeux. Il y a un récit, peut-être pas celui que désirait Umberto Lenzi à l’origine, subissant les assauts du prestigieux producteur Carlo Ponti qui souhaitait emballer un petit film d’exploitation vite fait bien fait. Au départ, le réalisateur de La Rançon de la peur imagine une histoire dans la veine d’Easy Rider, une sorte de cavale libertaire en Europe, projet personnel en phase avec son époque un peu folle. Ses ambitions vont être vite réfrénés par Carlo Ponti qui impose une réécriture du scénario en l’orientant vers le giallo. Le résultat, hybride et bancal, s’avère néanmoins passionnant.
Fin cinéphile et surtout passionné de littérature policière américaine, Lenzi brouille habilement les pistes, retournant avantageusement les contraintes de son producteur en reprenant la structure de Psychose. Ingrid et Dick, couple juvénile de marginaux, décident de financer leurs vacances en Italie, en vendant dans la rue des revues et photos pornographiques, alors interdites dans le pays en ce début des années 70. Recherchés par la police pour traffic illégal, ils se réfugient dans une luxueuse villa près de Florence où vit Barbara, bourgeoise mystérieuse. Cette dernière commence par se montrer hostile envers ses hôtes avant de changer d’attitude pour une raison que nous ne dévoilerons pas. Meurtre par intérim débute comme un road movie, foutraque et attachant, avec certes des scènes inutiles (le passage avec le motard sympa et roublard, interprété par une figure locale qui visiblement n’a jamais pris un cours d’art dramatique) qui permet à Umberto Lenzi d’impulser une énergie jubilatoire grâce à sa mise en scène dynamique à défaut d’être subtile. Il multiplie les outrances visuelles : décadrages, raccords brutaux entre deux plans, zooms constants. Cette introduction, inégale, contient en creux le film rêvé par son réalisateur qui avouera dans l’interview présente sur les bonus que la situation de départ ne fonctionne pas très bien.
La partie giallo en huis clos confirme la maîtrise de son cinéaste qui sait construire des récits alambiqués, disséminer du trouble dans la relation triangulaire. Le spectateur n’est pas dupe. Dès l’instant où la caméra se pose dans la villa, Meurtre en intérim piège ses jeunes héros avides de liberté dans une intrigue arachnéenne. La noirceur de l’épilogue, dans une grande tradition du roman noir, confirme le pessimisme naturel du cinéaste, qui réalise peut-être son œuvre la plus ouvertement politique. Telle une veuve noire, Barbara (formidable Irène Papas) profite de sa situation dominante pour manipuler deux papillons attirés par la lumière. Thriller efficace doublé d’une fable morale assez triste, Meurtre par interim (titre français débile par rapport à l’original, Un posto ideale per ucciderere, littéralement Un endroit idéal pour tuer) évoque les préoccupations du cinéma Aldo Lado par sa dimension mélancolique où le vieux monde ne supporte pas les bouleversements au cœur d’un pays en pleine ébullition.
De plus de vraies idées de mise en scène traversent le film à l’instar de cette séquence où Barbara raconte sa version des faits à la police. Entre ce qu’elle énonce et ce que le spectateur voit, il y a un gouffre. Le récit est contredit par les images, principe qui sera repris 24 ans plus tard dans Mission impossible de Brian De Palma. Rien que pour ce morceau de bravoure virtuose et intelligent, Umberto Lenzi mérite le respect qu’il se doit.
Totalement inédit support physique en France, si l’on excepte une antédiluvienne édition VHS, Meurtre par intérim bénéficie d’une copie évidemment splendide. Pour les petits voyeurs qui sommeillent en chacun de vous, ne ratez pas les scènes coupées, généralement portées sur le sexe. Enfin, l’entretien avec Umberto Lenzi est passionnant, balayant quelques idées reçues. Le réalisateur de L’avion de l’apocalypse se révèle un fin analyste de ses propres films, les remettant à sa juste place. Il se montre aussi cultivé, intelligent et bien plus progressiste que certains le pensent. Finalement, Meurtre par intérim est à l’image du cinéaste, sincère, ironique et très vilain envers les bourgeois.
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