Après des années à œuvrer en tant qu’assistant réalisateur (L’Affaire Thomas Crown, Bullitt) et scénariste, notamment pour Sam Peckinpah (Guet-apens) ou John Huston (Le Piège), Walter Hill devient une figure de premier plan durant la deuxième moitié de la décennie 70. Son premier passage derrière la caméra, Le Bagarreur, mais surtout Driver et Les Guerriers de la nuit (Warriors), font de lui un cinéaste émergent. Plus encore, avec ces deux dernières œuvres instantanément cultes, il façonne quasiment à lui seul l’esthétique 80’s. En parallèle, il écrit aux côtés de David Giler (auteur d’À cause d’un assassinat) le script à l’origine de l’une des saga les plus emblématiques de l’histoire de la science-fiction : Alien. En 1981, tous les astres semblent donc s’aligner pour faire de son projet de thriller en plein milieu de la Louisiane (où se déroulait déjà son premier long-métrage), un succès. Il retrouve pour l’occasion Giler, accompagné de Michael Kane, afin de développer un scénario tiré de son histoire originale de 1976 intitulée The Prey. Sans retour narre les mésaventures d’une escouade de soldats de la garde nationale prise en chasse par des habitants des bayoux. Contre toute attente, le film subit une déconvenue critique et un échec cinglant au box office, le condamnant aux limbes de l’histoire du septième art. Pourtant, bien que devenu rare en support physique au fil des années, il se fit une place à part dans le cœur de nombreux cinéphiles. L’Atelier d’images a décidé de réparer cette injustice et le propose enfin dans un combo UHD / Blu-Ray digne de ce nom. En plus d’un master impeccable, l’édition propose une sélection de suppléments qui font la lumière sur les raisons du désamour et de son incompréhension, ainsi que sur sa réhabilitation progressive.

Sans retour © Copyright 1981 Cinema Group Venture
Walter Hill a bâti sa renommée en tant que réalisateur et scénariste sur la base de films secs, viscéraux, sans fioritures, mettant en scène des héros virils, souvent prolétaires (Alien s’intéresse à des « routiers de l’espace »), qui tentent simplement de survivre. Dans le podcast Steroids disponible dans les bonus, les journalistes Stéphane Moïssakis et Rafik Djoumi reviennent d’ailleurs sur son écriture très succincte qui laisse souvent toute la place à l’imagination du lecteur. Sans retour ne déroge pas à la règle. Suivant un schéma similaire à celui des Guerriers de la nuit, où un groupe d’individus plongé en territoire hostile traverse mille dangers afin de rentrer chez eux, il signe un pur survival à l’efficacité redoutable. Chaque élément scénaristique posé en début de métrage trouve un écho tardif, misant ainsi sur l’attention du spectateur (à l’image des balles à blanc), dans une économie de mots et de justifications payante. Même les nombreux fondus-enchaînés, faisant se superposer les séquences, suivent cette logique de course contre la montre délestée du moindre temps mort. Dans son interview, l’acteur Keith Carradine (interprète de Spencer) évoque d’ailleurs les qualités de portraitiste du cinéaste et le décrit comme bien plus cérébral qu’il ne voudrait l’admettre. Bien que ce dernier se considère humblement comme un simple faiseur qui aurait eu toute sa place dans le système des studios de l’âge d’or (dans l’interview Bataille dans le bayou), il est de fait un auteur complet, inspiré par le cinéma européen d’avant-garde, à mille lieu de la fausse image de cinéaste geek qui lui a été accolé suite au succès de Warriors, comme le rappelle Djoumi.

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Le bataillon constitué d’individualités clairement définies, nous est présenté en pleine action, durant des exercices, au cours d’une introduction capitale. Entre un aristocrate citadin du Sud (Keith Carradine, qui tenait l’un des rôles principaux du Gang des frères James, le film précédent de Hill), un soldat issu de la classe ouvrière, posé et réfléchit (Powers Booth, apparu dans Cruising et qui retrouvera le cinéaste dans Extrême préjudice) et une tête brûlée (Fred Ward, vu dans L’Étoffe des héros), le bataillon couve déjà quelques mésententes. Carradine revient d’ailleurs sur la dureté des conditions de tournage et la volonté du metteur en scène de ne pas engager de star, afin de ne pas éclipser des personnages marqués, archétypaux. Le cinéaste ne fait pas pour autant d’eux des saints, bien au contraire. Simples membres de la garde nationale, ils sont grossiers, violents. Certains obéissent aveuglément aux ordres (« Pourquoi on le suit ? », demande un militaire, « Parce qu’il a des galons »), quand d’autres sombrent dans le mysticisme et l’obscurantisme. Face à eux, une région sauvage, où ils perdent tous leurs repères dans une photo grise, désaturée, fruit du travail d’Andrew Laszlo (collaborateur régulier de Hill, mais aussi à l’œuvre sur Rambo). Un retour aux sources d’un pays dont ils sont censés incarner le versant le plus civilisé. Dans Southern Comfort (Philippe Guedj insiste dans son bonus sur l’ironie du titre original) lorsque la violence surgit, c’est de la plus brutale des manières, dans des plans explicites, souvent au ralenti, hommage au mentor du réalisateur, Sam Peckinpah. Loin de la ville et de ses lois, l’homme redevient un loup pour l’homme.

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Le récit, antidaté à 1973, a dès la sortie du film, été perçu comme une métaphore de la guerre du Vietnam, et ce malgré les réfutations du réalisateur qui nie toute interprétation politique de ces œuvres. Pourtant, difficile de ne pas voir dans ces soldats obsédés sexuels (ils ne pensent qu’à aller au bordel), abusant de leur autorité, méprisant des locaux quasiment invisibles qui connaissent le terrain comme leur poche, un miroir de la débâcle américaine. L’un d’eux déclare en larmes « Je ne devrais pas être là », préfiguration du « C’était pas ma guerre » prononcé par John Rambo un an plus tard. Djoumi et Moïssakis reviennent d’ailleurs sur cette mode passagère du film de vétérans traumatisés (Rambo donc, mais aussi The Exterminator) rappelant à juste titre que la barbarie du Vietnam n’est que l’exportation d’une violence américaine quasi culturelle. Ces hommes qui se sont engagés dans la garde nationale pour ne pas être mobilisés sur le front, se retrouvent malgré eux, confrontés aux mêmes problématiques que leurs pairs à l’autre bout du monde.
Plus encore, cette sauvagerie inhérente aux fondations même du pays, rejoint les thématiques récurrentes d’un genre que Walter Hill (comme Peckinpah) affectionne particulièrement : le western. Si les citadins de Délivrance (avec lequel le long-métrage partage certains points communs) se retrouvaient face à une Amérique profonde qu’ils avaient toujours ignorée, voire méprisée, ici, ce sont des serviteurs de l’État qui sont mis à mal par un danger anachronique, ancestral. Car au-delà de la guerre, c’est à tout un passé colonial que le film renvoie, le cinéaste dressant un parallèle clair entre les Cajuns et les Natifs. La métaphore entre le génocide amérindien et les atrocités commises au Vietnam n’est pas rare au cinéma, les exemples sont légion de Soldat bleu à Avatar, mais Sans retour traite l’allégorie de la manière la plus viscérale possible, dans une lutte primordiale pour la survie, délestée de tout sous-entendu engagé. La modernité des soldats opposée à l’archaïsme des méthodes des autochtones. Pièges à loups, chausse-trapes bricolés, chiens de chasse, arbres abattus et lapins éventrés comme des avertissements tribaux. Southern comfort traite d’un même retour à l’état de nature que le fera Predator six ans plus tard. Symboliquement, l’espoir des militaires est d’atteindre l’autoroute, seul motif moderne au sein d’une nature sauvage envahie de bruits omniprésents (le sound design du long-métrage représente un motif anxiogène imparable). Les tensions entre les membres de l’escouade finissent d’ailleurs par se régler au couteau, délestés de leurs armes à feu, revenus ainsi à leurs instincts.

Sans retour © Copyright 1981 Cinema Group Venture
Cette plongée dans l’horreur trouve son acmé dans un final hallucinant. Un climax dénué de tout dialogue, seulement accompagné de la musique de Ry Cooder, où la tension repose sur une illustration quasi documentaire du mode de vie des Cajuns. Des plans sur des porcs égorgés se succèdent au martyr des protagonistes, dans un exercice de montage allégorique de Freeman E. Davies, collaborateur habituel de Hill. Leurs existences ne valent in fine pas mieux que celles des bêtes sacrifiées. Les ultimes plans, que Keith Carradine révèle être des stock shots que le cinéaste ne voulait pas tourner lui-même afin de laisser planer l’ambiguïté quant à l’issue, renforcent la puissance de cette fin ouverte aux interprétations. Pour l’anecdote, la télévision publique iranienne diffusa le film durant les années 80 dans une version remontée intitulée Operation Lagoon, où le gouvernement finissait par abattre froidement ses propres soldats. Une décision propagandiste qui avait pour but de pointer du doigt l’inhumanité du Grand Satan, mais qui prouve, si besoin en était, les multiples lectures possibles du long-métrage. Le moment est donc venu de réévaluer Sans retour, cauchemar poisseux qui tend un miroir peu reluisant à une Amérique des années 80, conquérante et trop sûre d’elle.
Disponible en combo UHD / Blu-Ray et DVD chez L’Atelier d’Images.
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