© ESC Films
Tourné avec un budget ridicule (Jean-Baptiste Thoret avance la somme de 87.000 dollars dans sa courte mais éclairante présentation du film), La Dernière Maison sur la gauche fait partie de ces films bricolés qui révolutionnèrent le cinéma d’horreur, quelques années après La Nuit des morts-vivants de Romero et avant Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper. Avec ce premier long-métrage, Wes Craven – qui avait déjà travaillé sur les plateaux de films pornos- répond à une commande du producteur Sean Cunningham (futur réalisateur de Vendredi 13) et choisit une approche délibérément choquante. Alors que le cinéma pornographique est en train de briser toutes les digues en matière de représentation de la sexualité (Gorge profonde et Derrière la porte verte triomphent sur les écrans), Craven et Cunningham souhaitent transposer ces excès dans le domaine de la violence et d’aller le plus loin possible.
Et c’est peu dire que même 50 ans après sa réalisation, La Dernière Maison sur la gauche reste un film marqué par une sauvagerie peu commune. Pour élaborer son récit, Craven s’est inspiré de La Source de Bergman, lui-même inspiré d’une légende médiévale narrant la vengeance d’un père après le viol et l’assassinat de sa fille. Ici, Mari et sa copine Phyllis se rendent à un concert dans un quartier malfamé. En tentant d’acheter de la drogue, elles se retrouvent séquestrées par une bande d’assassins tout juste évadés de prison. Elles seront brutalisées, violées avant d’être sauvagement assassinées. Jusqu’au moment où les tueurs trouvent refuge dans la maison des parents de Mari…
Sans inventer le genre, Wes Craven pose ici les bases d’un courant du cinéma horrifique qui se développera au cours des années 70 et après : le « rape and revenge ». Des films comme Le Dernier Train de la nuit d’Aldo Lado (où l’on retrouvera d’ailleurs une femme comme complices des agresseurs) ou l’excellent I Spit on your Grave de Meir Zarchi doivent tout à l’œuvre séminale de Craven, y compris ce féminisme paradoxal qu’on peut y trouver et les interrogations ambiguës sur la justice individuelle. Car dans La Dernière Maison sur la gauche, c’est la loi du talion qui règne et force est de reconnaître qu’on aura bien du mal à plaindre les assassins du sort qui les attend. Mais l’intérêt du film est de parvenir à ne jamais faire jouir le spectateur des situations auxquelles il est confronté. Dans la première partie, jamais Craven ne nous met dans la peau des bourreaux ni ne filme avec complaisance les viols et les meurtres. Si la seconde partie (la vengeance) laisse un goût de cendres dans la bouche, c’est qu’il n’y a pas non plus de volonté de justifier ce geste. Si on peut comprendre théoriquement les parents qui se font justice, ce qui est montré relève d’une sauvagerie finalement assez similaire à celle exposée dans la première partie.
« Sauvagerie » est d’ailleurs le maître mot pour caractériser l’œuvre. L’absence de budget se traduit par une mise en scène assez fruste, proche du documentaire et sans effets esthétiques (mais non sans inventivité). Il s’agit de filmer les abîmes de noirceur que recèle la nature humaine. Le temps d’une conversation entre malfrats, il est question du « pire tueur du 20ème siècle ». Tandis que l’un cite « l’étrangleur de Boston », la fille du groupe cite Freud. Or cette boutade peut être prise au premier degré tant Craven va montrer, sur les traces du célèbre psychanalyste, que l’inconscient humain recèle les pires abominations. Le cinéaste joue d’ailleurs habilement sur ce surgissement de l’inconscient par l’utilisation de contrepoints primesautiers : ici, c’est une ballade musicale douce, là un montage parallèle montrant une fête d’anniversaire qui se prépare du côté des parents tandis que leur fille se fait agresser. Enfin, ce sont ces deux personnages de flics incompétents à qui le metteur en scène offre des scènes quasi burlesques lorsque des hippies font mine de s’arrêter pour les prendre en stop avant d’accélérer avec force doigts d’honneur ou qu’une vieille femme leur propose de grimper sur le toit de sa camionnette et les fait tomber en accélérant.
Ces moments plus légers contrastent avec la violence inouïe qui surgit par ailleurs, tel un inconscient refoulé. Le film intéresse d’ailleurs par cette dimension « politique » puisqu’il prend acte d’une certaine gueule de bois après les utopies de la fin des années 60. Mari et son amie symbolisent cette jeunesse hippie ivre de liberté et de nouveaux rapports humains. La jeune femme se dispute (gentiment) avec ses parents lorsqu’elle revendique son droit de sortir sans soutien-gorge. C’est un petit collier avec le symbole « peace and love », offert par ses parents, qui fera office de preuve lorsque la mère le découvrira au cou d’un des agresseurs. Derrière le pacifisme et la liberté sexuelle, Craven montre un retour du refoulé et des pulsions de mort les plus destructrices. Et si ces pulsions caractérisent les ignobles assassins sadiques (la scène où David Hess grave son nom au couteau sur le corps de sa victime est particulièrement éprouvante), elles se nichent également dans le cœur des parents qui se font justice, avec un médecin bien sous tout rapport qui n’hésite pas à jouer de la tronçonneuse et sa femme qui émascule un bourreau le temps d’une scène indélébile.
On retrouve alors dans La Dernière Maison sur la gauche cette inquiétude qui va gagner l’Amérique des années 70 enlisée au Vietnam et menacée par une violence désormais incontrôlable, que ce soit dans le cadre du cinéma d’horreur évidemment mais aussi dans celui du « vigilante movie » (Un justicier dans la ville). Le film, toujours aussi fort, est présenté dans une version collector par les éditions ESC avec des bonus à foison : entretiens avec Wes Craven, making-of, des analyses de l’œuvre ou plus généralistes (une conférence de Stéphane du Mesnildot sur le cinéaste, une table-ronde intéressante où trois intervenantes évoquent la question des femmes dans le « rape and revenge »…). L’œuvre est également présentée dans une version alternative (censurée ou non) et même, pour les plus collectionneurs (ou les plus masochistes), dans sa version VHS.
Bref, le cinéphile dispose désormais de l’écrin idéal pour découvrir le premier chef-d’œuvre de Wes Craven.
© ESC Films
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La Dernière Maison sur la gauche (1972) de Wes Craven avec Sandra Cassel, David Hess, Lucy Grantham
Éditions : ESC films
Coffret Collector :
BLU-RAY 1 : Le Film en Version UNRATED / Présentation du film par Jean-Baptiste Thoret (5 min) / « Les femmes dans le rape-and-revenge » : Entretien croisé avec Célia Sauvage, Clara Sebastiao et Violaine de Charnage (70 min) / « Ce n’est que du cinéma » : Making-of du film (29 min) / Commentaire audio du réalisateur Wes Craven et du producteur Sean S. Cunningham (2002) / Commentaire audio avec les acteurs David Hess, Marc Sheffler et Fred Lincoln (2003)
BLU-RAY 2 : Le Film dans son montage Krug & Company Cut / Le film en Version R-RATED / « L’héritage de Wes Craven » : entretien avec Alexandre Aja (15 min)/ « Wes Craven, l’Amérique sauvage » : Conférence de Stéphane Du Mesnildot dans le cadre de la rétrospective Wes Craven à la Cinémathèque Française du 29 juin au 31 juillet 2016 (67 min) / « Wes Craven, l’électrochoc » : reportage sur l’influence du réalisateur sur trois réalisateurs français (16 min) / « Toujours debout, l’héritage de LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE » : interview d’archive avec Wes Craven (15 min).
BR 3 : Le Film en Version VHS / « La violence pour elle-même » : LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE de Wes Craven, par Jean-Baptiste Thoret (56 min)/ « Krug fait plier l’Angleterre » : reportage sur la première projection du fim dans sa version non censurée. (24 min) / « Images interdites » : interview de l’équipe du film à propos des scènes choquantes (8 min)/ « Tales That’ll Tear Your Heart Out » : court-métrage inachevé de Wes Craven. (11 min) / Scènes coupées & Prises de vues (48 min) / Trailers internationaux.
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