Son désert à perte de vue. Ses nuits orangées éclairées par les lumières de la ville. Ses motels de nulle part sous les néons. La route à l’aube, la route en plein soleil, la route au crépuscule, pour une traversée qui de lieu en lieu, mène les personnages vers l’ailleurs, leur destin, leur fuite. Splendeur. Après 40 ans, Paris, Texas n’a absolument rien perdu de sa superbe, plus encore, il se révèle l’ultime chef d’oeuvre de Wim Wenders, sorte de condensé en rêve éveillé de ses obsessions : l’homme dans le paysage infini en quête d’identité, la recherche de soi à travers l’autre et l’Amérique comme lieu éternel du mythe, comme source d’inspiration que chacune de ses oeuvres – d’Alice dans les villes au Fil du temps – trahissait en filigrane. L’ouest des héros morts, l’Amérique de Kerouac, l’Amérique du folk, de la Country… et de Ry Cooder, dont les cordes envoûtantes placent Paris, Texas sous le signe de la ballade noctambule qui vous prend par la main et vous étreint. L’ombre d’Edward Hopper plane sur Paris, Texas, comme un écrin visuel, guidant également l’extraordinaire gestion de l’espace pour des êtres perdus dans l’infinité du lieu, un espace sur lequel se découpent leurs silhouettes contrastant avec la clarté du ciel. Travis (Harry Dean Stanton) est de ceux-là, un homme brisé qui a tout brisé, son couple, son existence, qui a abandonné son fils pour se muer en éternel promeneur. Qui pourrait se lasser de cette première rencontre avec Travis, épuisé et mutique marchant sur le sable en costard avec sa casquette rouge ? De même, l’apparition de l’éblouissante Nastassja Kinski (on ne dira jamais assez à quel point ce jeu fragile, à fleur de peau est indémodable, et en fait l’une des plus grandes actrices qui soit) suivie par l’anthologique scène derrière le miroir sans tain et le torrent d’amour qui en émerge, hante pour toujours les souvenirs cinéphiles, les restituant dans une émotion intacte.
Le rythme de Paris, Texas en fait un éloge de lenteur, une oeuvre qui s’écoule goutte à goutte en apesanteur. La photo de Robby Müller y est pour beaucoup : elle hypnotise par sa primauté des couleurs primaires dans lesquelles fusionnent les personnages, avec une dominante de rouge et de pourpre, couleurs des habits du père et du fils enfin apprivoisés, rencontrant le rouge vif de la voiture de Jane au bout du périple. Et si le noir scelle la rupture du couple, c’est enfin le vert dans lequel s’uniront le petit garçon et sa mère, jusqu’à envahir le décor tandis que Travis les abandonnera à nouveau vers sa propre couleur. Paris, Texas partage des proximités visuelles avec One from the heart, les deux cinéastes se laissant porter par les nuits américaines (avec plus d’artifice chez Coppola, il est vrai), les bords de ville, la poésie urbaine et les couleurs des néons, à travers deux œuvres intimes mettant en scène des héros qui, chacun à leur manière, déambulent, ne font que passer.
On mesure tout ce que le cinéma de l’errance et les road movies qui suivirent – même si Monte Hellmann était déjà passé par là avant lui – doivent à Wenders. On se plaira également à constater combien l’Amérique filmée par Wenders ressemble parfois étrangement à celle de Lynch, la peur en moins, la plénitude et la mélancolie en plus. Car Paris, Texas est à la fois une immense histoire d’amour et une histoire de solitudes impossibles à combler, où chacun conservera son manque, sa mutilation, sa blessure ouverte. Une Jane sans un Travis, un Travis sacrifiant son amour au bonheur de son fils, ou encore Walt et Anne meurtris par le départ du fils adoptif, l’intensité du sentiment le disputant à la grandeur de l’absence. Les héros de Sam Shepard émeuvent par leurs zones d’ombres, leurs non-dits (c’est le moins qu’on puisse dire pour Travis), meurtris par leurs amours manqués, leurs incommensurables regrets et les erreurs qu’ils s’évertuent à rattraper. Shepard aborde avec subtilité les thèmes de la filiation, de la paternité, avec un axe autour duquel gravitent tous les autres : Hunter, le petit garçon qui apprend à son père à être père et à sa mère à retrouver ses repères.
Dans Paris, Texas le décor épouse l’état spirituel des héros, multipliant les zones de vide dans lesquelles, à l’instar de Travis, cet enfant sauvage recherchant son moi, Wenders semble puiser ses propres racines. Par son titre en trompe l’œil, un titre topographique, un titre voyage, un titre dialogue, au delà du lieu qu’il exprime et de tous les symboles qui l’accompagnent, plus encore que la rencontre du cinéaste allemand avec le scénariste Sam Shepard, Paris, Texas consacre celle des Etats-Unis et du regard européen. Jamais la fascination de Wenders pour la culture américaine ne s’y est le mieux exprimée aussi clairement et somptueusement. Splendeur, donc. Définitivement.
PARIS, TEXAS de Wim Wenders
(1984 – Couleurs – 146 mn)
Restauration 4K, inédite en 4K Ultra HD et Blu-ray
Version originale sous-titrée français + Version française + Audiodescription et sous-titres pour sourds et malentendants
Inédit en 4K UHD
CUC (COFFRET ULTRA COLLECTOR) #28
Le transfert HD de Paris, Texas est juste à couper le souffle : c’est un grand moment que de redécouvrir le film dans de telles conditions, couleurs chatoyantes, chaleureuses, êtres émergeant tout en contraste de l’obscurité ou de la lumière. Il faut reconnaître que la HD décuple ici l’émotion croissante que procure le film, la piste sonore vo bénéficiant elle aussi d’un formidable relief. Belle interview que celle de Wenders, commençant à avouer qu’il pense que chaque cinéaste, sans s’en apercevoir fait toujours le même film, et qu’à travers le destin de Travis percent ses propres questions identitaires. Il évoque avec nostalgie toute la gestation de l’œuvre et tout particulièrement la manière dont Sam Shepard a élaboré avec lui le scénario, puis son choix d’Harry Dean Stanton (plutôt qu’un Nicholson par exemple) et le fait qu’il voulait d’emblée Nastassja Kinski pour le rôle féminin. Wenders commente les belles scènes coupées et explique clairement pourquoi elles l’ont été et si le film reste parfait dans son montage définitif, elles n’en demeurent pas moins émouvantes. Elles s’achèvent d’ailleurs avec un plan de quelques secondes sur le visage de Jane de profil dans l’obscurité, d’une magnifique pureté.
LE COFFRET CONTIENT
// LE FILM EN 4K UHD & BLU-RAY (NOUVELLE RESTAURATION 4K DE LA WIM WENDERS STIFTUNG SUPERVISÉE PAR DONATA ET WIM WENDERS)
// LES SUPPLÉMENTS (EN HD)
. INTRODUCTION DE WIM WENDERS (HD)
. ENTRETIEN AVEC WIM WENDERS (49 mn – HD)
De l’écriture du scénario à l’obtention de la Palme d’or, en passant par la composition de l’équipe du film, retour sur l’aventure Paris, Texas par son réalisateur.
. CANNES 2024 : ENTRETIEN AVEC WIM WENDERS (4 mn – HD)
À l’occasion de la restauration de Paris, Texas, Wim Wenders fait le point sur son film.
. SCÈNES COUPÉES AVEC OU SANS COMMENTAIRE AUDIO DE WIM WENDERS [ENREGISTRÉ EN 2004] (24 mn)
. CINÉMA, CINÉMAS : WIM WENDERS (12 mn)
Réalisation : Claude Ventura • Co-auteur : Philippe Garnier – © 1984 INA
Le cinéaste parle de sa passion pour le rock et de sa joie d’avoir collaboré avec Ry Cooder et Sam Shepard sur Paris, Texas, qu’il sera fier de présenter à Cannes quelques semaines plus tard.
. FILM SUPER 8 (7 mn)
Souvenirs de la famille Henderson immortalisés en Super 8.
. BANDE-ANNONCE DE LA RESTAURATION (HD)
// UN LIVRE DE 200 PAGES
(INCLUS PLUS DE 60 PHOTOS D’ARCHIVES)
QUITTER L’AUTOROUTE : PARIS, TEXAS DE WIM WENDERS
« C’est ça ? C’est ça, Paris ? J’aurais dit le Texas. » – Walt
Ponctué par deux sublimes cahiers de photographies exclusives, Quitter l’autoroute : Paris, Texas de Wim Wenders donne la parole au cinéaste et à son équipe à travers une série d’entretiens menés en 1984 et en 2024, avant de proposer le scénario de la version finale du film, incluant les dialogues originaux de Sam Shepard. Cet ouvrage inédit rend hommage à l’ensemble des personnes ayant œuvré à la réalisation de Paris, Texas, de sa production à sa récente restauration.
Paris, Texas (USA, 1984) de Wim Wenders, avec Harry Dean Stanton, Nastassja Kinski, Dean Stockwell, Aurore Clément
Edité par Carlotta
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