L’un des plus beaux films de tous les temps ressort en version restaurée – et quelle restauration ! – chez Malavida. L’occasion pour nous de replonger dans ce labyrinthe du temps et de l’imaginaire.
Vos paupières sont lourdes, lourdes… sorte de modèle du film-rêve, La Clepsydre agit sur le spectateur comme une séance d’hypnose, et c’est à contrecœur que l’on se réveille de ce merveilleux cauchemar.
Sans aller jusqu’à composer intégralement le texte à l’envers, pour évoquer un univers dans lequel la chronologie est abolie, commençons par la conclusion : La Clepsydre est un chef-d’œuvre. Après Le Manuscrit trouvé à Saragosse et ses temporalités emboîtées les unes dans les autres, la rencontre semblait inévitable, entre Has, cinéaste de la perte de repère, de l’errance au sein d’une réalité qui se dérobe, et l’œuvre de cet extraordinaire auteur du fantastique autobiographique qu’est Bruno Schulz. Fasciné par les défis d’adaptation littéraire, s’il part de la nouvelle titre du Sanatorium au croque- mort il puise tout autant dans Les boutiques de Cannelle, pour explorer l’univers de l’auteur juif polonais, donnant ainsi au film l’aspect d’une accumulation d’histoires. La Clepsydre explore l’art de l’égarement, le plaisir de se perdre, de se retrouver, de ne suivre comme logique que celle des repères évanouis…. et si souvent nous ne souvenons pas de nos songes, il est si bon d’être invité dans ceux d’un autre.
ll restitue parfaitement le climat d’inquiétante étrangeté et d’onirisme existentiel de Schulz, chez lequel les délires du rêve redessinent la mémoire. La Clepsydre raconte l’odyssée de Joseph qui le conduit à pénétrer dans un bien étrange sanatorium pour y rentre visite à son père … mort. Son directeur est en effet parvenu à reculer le temps qui précède la fin, mais dans ces instants suspendus, il n’offre pour toute évasion à ses hôtes que le sommeil. Plongé dans un état de léthargie permanente, l’homme est envahi par ses souvenirs désordonnés, dans un temps disloqué devenu lieu. La Clepsydre est une initiation au rêve et à la mort.
Convoquant tout autant le génie de Chagall que celui de Piranese, il substitue au désert du sanatorium de Schulz un foisonnement baroque, tout en arabesque, une surcharge des lieux envahis par le lierre et le mobilier rococo.
Has n’était d’aucun mouvement. Grand littéraire, il inventa une grammaire grammaire cinématographique qui n’appartenait qu’à lui. Quelque part entre le romantisme et le modernisme, son esthétique appliquait la déconstruction onirique au cinéma vers une nouvelle forme de narration digressive. Dans le manuscrit trouvé à Saragosse, l’un des personnages s’écriait. « J’avoue que je m’y perds. Je ne sais plus où finit la réalité et où commence le rêve. Vous voulez dire, la poésie ? ». Le génie de Has est celui du poète. Il exploite dans toute son œuvre la tout puissance de l’imaginaire : tout est possible et surtout: tout s’échappe. Tromper le spectateur, c’est l’inviter à se libérer, à faire de lui un promeneur sur une autre planète. L’art comme refuge du réel, n’a rien didactique chez Has, mais signifie le désir de dialoguer avec la sensation et la psyché du spectateur. La Clepsydre s’emplit de visions merveilleuses et monstrueuses. La Clepsydre est un inoubliable tourbillon d’images fantasmatiques, de cauchemars saturés, une descente surréaliste vertigineuse dans le sanctuaire des rêves.
Suppléments :
Livret 12 pages : Analyse de Frédéric Mercier pour DVD Classik + Extrait de Cinéma et imaginaire baroque d’Emmanuel Plasseraud (Septentrion presses universitaires-2007)
Pologne, 1973, 124 min, version restaurée, couleur, Version originale polonaise sous-titrée en français, zone 2. –Malavida
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