Jérémie Fontanieu- « Le Monde est à eux ».

Qu‘il me soit permis ici, une fois n’est pas coutume, d’aborder un film -Le monde est à eux- de façon personnelle. Ancienne prof dans différents lycées de grande banlieue parisienne, j’ai été moi-même aux prises avec un système éducatif parfois frustrant, j’ai vu des élèves lutter à armes très inégales pour s’en sortir, j’ai pu constater que leurs chances de réussite étaient fragilisées, et que le lien de confiance entre le monde éducatif et les familles était bien souvent rompu. Il se trouve aussi que j’ai fait passer le bac au lycée Delacroix de Drancy, lieu de tournage du documentaire de Jérémie Fontanieu. J’y suis arrivée un matin de grisaille avec en tête l’histoire sinistre de la ville (dont il n’est nullement question dans le documentaire), et ai été assaillie par une vision parfaitement déprimante: dans un environnement sans éclat trônait ce lycée, encerclé de grillages sur lesquels avaient été accrochés des bouquets de fleurs, en mémoire d’un élève ou d’un prof ( je n’ai pas cherché la clef de l’énigme) décédé quelques jours auparavant. Et puis il y eut les élèves des options théâtre. Leur gentillesse, leur créativité, eurent tôt fait de reléguer les premières impressions au second plan. C’est donc avec une certaine gourmandise que j’attendais ce film. Il s’ annonçait porteur d’une vision lumineuse sur des jeunes et des enseignants que l’on a tendance à enfermer dans des récits où l’échec et l’impuissance le disputent à la violence ordinaire. Tel est son argument:  « C’est l’histoire d’une classe d’un lycée de banlieue qui propose une méthode pédagogique collective. Basée sur une alliance entre les élèves, leurs parents et les professeurs, elle affiche 100% de réussite au baccalauréat depuis cinq ans. Tourné par les élèves et leurs deux professeurs principaux, Jérémie Fontanieu et David Benoît durant une année scolaire, le film suit ce parcours d’équipe inspirant qui leur permet de découvrir leurs potentiels et de s’ouvrir de nouveaux horizons ».

Déception: en fait de méthode innovante, le projet « Réconciliations » propose une pédagogie dont les fondements sont bien classiques. En gros, ce sont ceux de la carotte et du bâton. Aux élèves à qui l’on promet 100% de réussite au bac sont d’abord infligées une série d’heures de colle et de remontrances. Devant une assemblée de parents et d’élèves, on annonce la moyenne catastrophique de tel ou telle. Ailleurs, on félicite un gamin d’être passé de 5 à 8 de moyenne. On confisque les portables, on interdit tout bavardage. Mais on célèbre la fin du premier trimestre avec une sortie à Paris. Il y a le Bad Cop – Jérémie Fontanieu, prof de SES et auteur du documentaire- et le Good Cop – David Benoît, prof de maths-. La première partie du documentaire nous montre des élèves qui souffrent, reçoivent de sales notes à la pelle, constatent qu’ils maigrissent, mais découvrent les vertus de l’effort face à un prof qui surjoue l’autorité (pour, bien sûr, laisser tomber le masque de Commandeur à la fin de l’aventure). Pas de véritable révolution donc mais plutôt un recyclage des vieilles lunes: il s’agit de re-mettre les élèves au travail, de leur re-donner le goût de l’effort, de re-trouver une autorité mise à mal car, « dans la vie, le meilleur moyen de progresser c’est de travailler et de fermer sa gueule ». On l’ aura compris: on est assez loin du Cercle des poètes disparus. 

La nouveauté, et elle est notable, réside dans la volonté de créer une communauté autour des élèves. Ainsi les professeurs sont-ils en lien constant avec les parents: des messages SMS envoyés et reçus presque quotidiennement s’affichent à l’écran. L’élève sèche-t-il une interro ou oublie-t-il sa calculatrice ? Sa famille en est avertie dans la minute. Et le duo de profs d’insister à juste titre sur la nécessité d’avoir un discours commun. Force est de constater que ça marche. À la fin de l’année scolaire, le pari est gagné: 100% de réussite au bac, des mentions, des inscriptions en prépa (le graal).

Le monde est à eux a donc un petit côté feel good que l’on peut savourer, partageant avec les élèves le bonheur d’une confiance en soi retrouvée. Conçu au départ comme un «journal de bord» pour les élèves, il n’avait d’autre but que privé: celui de consigner leurs réactions, et de garder une trace de leur parcours, pour eux-mêmes et leurs familles. S’il ne s’agit pas d’un choix de mise en scène, le parti pris de se concentrer sur la parole de ces gamins de Terminale ES, naguère en perdition scolaire, se révèle touchant. Face caméra (une caméra dont ils sont les seuls opérateurs, l’allumant et l’éteignant à leur gré) ils se confient librement. Au choc initial d’être si durement traités succèdent de jolis moments de révélation, comme lorsqu’une jeune fille « avoue », toute sonnée, à quel point un cours peut être passionnant. On est heureux avec elle, et surtout reconnaissants que le film aborde enfin la question du contenu des apprentissages. Les déclarations d’amitié se succèdent aussi: au gré des cours, ou des sorties, les liens se resserrent. Les élèves disent les joies de la solidarité qui s’instaure dans cette classe- bulle, à nulle autre semblable. 

Le documentaire fonctionne aussi, pour son spectateur, comme une île: quelques scènes tournées dans une poignée de familles volontaires, quelques tableaux parisiens, permettent de rares échappées hors les murs mais on regrette de pas voir grand chose de l’environnement des protagonistes. La perspective sociale ne s’invite que timidement, à la faveur par exemple d’un cours sur Bourdieu. Et qu’en est-il de l’administration du lycée, des autres profs de la classe, des autres classes? Dans un film qui loue les vertus de la collégialité, le resserrement autour de quelques figures exemplaires est pour le moins regrettable. Il suscite l’impression désagréable d’une entreprise de promotion centrée sur un individu: Jérémie Fontanieu lui-même. Dès lors, l’admiration que pourrait susciter son dévouement – il est indéniablement remarquable- le cède à un certain agacement. 

En somme, on cherchera en vain des éclats de mise en scène dans ce documentaire, dont le cinéma n’ est pas la ligne d’horizon. On n’ en sortira pas muni d’outils pédagogiques révolutionnaires non plus. Nul doute en revanche que le film nourrira les incessants débats sur l’école dont les  Français sont si friands. Et surtout, on aura eu le plaisir de faire la connaissance de jeunes gens pleins de fougue et de rêves auxquels on ne peut souhaiter en effet que le monde s’offre à eux. 

 

Sortie le 20 mars

1h15

 

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