Antoine Barraud – "Les Gouffres"

Hors du temps et de la cartographie parfois restreinte du cinéma  d’auteur contemporain Les Gouffres  ouvrent une brèche qui nous aspire corps et âme, à l’instar de sa fragile héroïne, France. Et (la)France va mal…

 

Le singulier film d’Antoine Barraud occupe une place tellement à part dans le « jeune cinéma français » qu’on se sent en porte-à-faux juste en signalant que c’est son premier long. Et c’est d’ailleurs un long court ou un bref long, 65 minutes qui défilent en défiant la temporalité avec des dilatations et des accélérations, insufflant au film un rythme bancal que le spectateur, épousera ou non, c’est selon, mais qui ne peut laisser indifférent. Soit, France, actrice fragile,  qui suit son époux Georges Lebrun, spéléologue, dans un pays pas tout à fait identifié, à la moiteur tropicale et aux tremblements de terre, trop fréquents. Georges est chargé d’explorer cinq gouffres, fraîchement découverts, laissant seule sa femme dans un hôtel quasi désert où rôde une femme de ménage américaine ambivalente et un autochtone frustre. Livrée à elle-même, sans nouvelles de son mari parti dans sa mission spéléologique, France va se coltiner ses propres gouffres… C’est là que Barraud, -déjà auteur de films fantastiques à la limite de l’expérimental où il surfait sur l’inquiétante étrangeté ( Monstres 1 et 2) – nous embarque. Par sa foi dans le Cinéma, il nous fait pénétrer de façon sensorielle dans la psyché labyrinthique de son héroïne. Et ceci, dès les premiers plans : le film démarre dans le noir- comme annonciateur du black-out à venir, puis on suit l’exposé du brillant spéléologue en étant rivé sur le visage frémissant de France. Enfin, un long et étourdissant travelling voiture flou où les montagnes nous apparaissent tordues et menaçantes, nous fait rentrer dans le monde intérieur de France. Ici, la nature est superbe et inquiétante, comme ces monts dans le brouillard. A l’instar de France, le brouillage géographique et temporel achève de nous faire perdre nos repères- est-on dans la jungle, en Amérique Latine ? En 2013, dans les années 70 ?…ce que le beau décor de l’hôtel abandonné, laisse suggérer. A la façon d’Alice s’engouffrant dans le terrier du lapin pressé, France va pénétrer une brèche trouvée sous son lit, et là… Au spectateur de vivre l’expérience, la raconter serait réduire sa portée…

On peut trouver la descente un poil trop longue et appuyée, créant un déséquilibre de rythme entre ce moment qui occupe une place prépondérante dans le film et une suite qui paraît pour le coup, accélérée, ne se donnant pas assez le temps d’exister. Cette dissonance est aussi une façon de rentrer dans un autre monde où le temps apparaît déréglé.  Pourquoi France bascule ? Quelques indices : la belle scène avec la femme de ménage insidieuse qui laisse entendre que plus que de craindre pour son mari, parti en expédition souterraine, France doute de son amour : Marta Hoskins s’impose solidement  face à l’épatante Nathalie Boutefeu. Son récent retour sur les écrans après une longue absence : on goutera-ou pas- les séquences de muse en abyme, Antoine Barraud interprétant le réalisateur à l’origine du come-back de France, dans un rôle tragique, une adaptation  de « Turandot » de Puccini. Et puis, ses propres failles, les incessants séismes… Et, le mystère… Bien rendu par les petites trouvailles et le grand culot d’Antoine Barraud. De la chute –au sens narratif et littéral- nous ne dirons rien, elle peut paraître attendue, au bon sens du terme : cohérente et implacable au vu du récit, ou, éventuellement, volontariste, un poil décevante, tant le film sort des sentiers battus.

Une chose est sûre : après avoir réalisé des portraits de cinéastes audacieux et en marge : Kenneth Anger, Shuji Terayama et Koji Wakamatsu… Antoine Barraud apparaît lui aussi comme un solide outsider, apportant une audace et une ambition salvatrice à  la petite cour de récré parfois trop tranquille et sage du cinéma français.
Paradoxalement,  Les Gouffres est un film asphyxiant mais qui nous fait respirer un nouvel air.  Allez voir le film pour y déceler ses ingrédients inédits …

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