Découvert à l’Etrange Festival en septembre 2024, Mémoires d’un escargot, du cinéaste d’animation australien Adam Elliot (auteur de Mary et Max, 2009), se révèle enfin en salles : c’est un cadeau précieux, intime et bouleversant, dont la teneur émotionnelle et la puissance d’évocation offrent un émerveillement, qui, à la fin du récit, continue de vivre et rayonner en nous.

Mémoires d’un escargot, par son univers délicat en pâte à modeler, compose un récit d’apprentissage à la première personne, porté par la voix de la petite Grace Pudel, qui raconte toute la tragédie de son enfance et de son existence. Adam Elliot exprime la solitude d’un personnage pétri de douleur, marqué de disparitions, de séparations et de déchirures, à travers le prisme poétique et intime de l’enfance ; où cohabitent la violence impénétrable et glacée du monde, et la sensibilité oraculaire et flamboyante de l’enfance.

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Adam Elliot déploie Mémoires d’un escargot telle une fresque familiale tragique : Grace, passionnée par les escargots, vit avec son frère jumeau Gilbert, passionné par le feu, et leur père, ex-magicien en invalidité et devenu alcoolique suite à un accident. Chaque jour, Gilbert défend sa sœur à l’école des méchants enfants qui la malmènent ; et chaque soir, Grace prend soin de ses petits escargots, avant de s’installer dans le canapé du salon avec son frère, pour lire Sa Majesté des mouchesOliver Twist et autres romans d’apprentissage, devant leur père assoupi dans son fauteuil —souvent un verre vide à la main. Les jumeaux interrompent furtivement et régulièrement leur lecture, tendant l’oreille pour vérifier la respiration de leur père, sujet à l’apnée du sommeil : en cas de silence prolongé, ils applaudissent pour le réveiller, dans un rituel musical empreint de drôlerie. Adam Elliot manie l’art de l’équilibre entre le sourire et les larmes avec une justesse bouleversante, où chaque pincement au cœur s’emplit de joie, et chaque détour comique se berce d’une étreinte mélancolique. L’animation en pâte à modeler, à la fois poétique et burlesque, convoque à merveille le point de vue de l’enfance via le personnage de Grace : au cœur des images, chaque recoin recèle de détails délicats et teintés d’humour, portés par la voix off à la première personne, qui oscille sans cesse entre l’amertume et le rire ; et les jeux de mots imagés autour des coquilles d’escargots qui tourbillonnent et que Grace collectionne, dans une quête éternelle de consolation, sublimée par la magnifique partition de Elena Kats-Chernin.

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La voix de Grace Pudel vibre au gré de la peur, de la mélancolie, du ravissement, de l’admiration et du désespoir ; modulée par les précipices des drames qui l’affligent et les sursauts des espoirs  qui surgissent. Mémoires d’un escargot dessine le tourbillon de la vie en tant que tragédie, sur l’enfance brisée et les espoirs sans cesse réduits à néant. Au relief formel des petits personnages modelés aux grands yeux globuleux d’où perlent des ruisseaux de larmes, répond le relief d’une émotion transmise par la voix off narrative, énonçant les pensées et récitant les lettres, comme dans une certaine pudeur, par opposition au caractère parfois comico-burlesque des personnages en action : notamment Pinky, la plus merveilleuse rencontre de Grace —il se trouve que, le jour où la narratrice surprend cette inconnue en train de confondre une poubelle avec la boîte aux lettres de retour des livres de la bibliothèque (depuis des mois), une amitié naît instantanément ; d’autant plus exceptionnelle avec une femme âgée aux mille vies farfelues, dont l’ex mari s’est fait dévorer par un crocodile en voulant la prendre en photo, et le précédent s’est éventré sur la lame d’un couteau en trébuchant sur le lave-vaisselle. Si Adam Elliot convoque autant de mélancolie dans son film, il y instille également un humour puissant, plein de tendresse et de joie, parfois même proche de la farce : le pathos communique avec le rire.

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Mémoires d’un escargot déclame un poème bouleversant du début à la fin, articulant des thématiques à la teneur existentielle puissamment évocatrice —la gémellité, la parentalité, la séparation, la religion, la solitude. Au-delà d’un récit d’émancipation juste et sensible, le film d’Adam Elliot cristallise la solitude imposée et la métamorphose de l’identité face au miroir des relations humaines. On aime à retenir cette pensée immensément élégiaque, prononcée par la petite Grace, esseulée, face à ses escargots en céramique : « Mes escargots, au moins, ne me jugeront jamais, ne me quitteront jamais, et ne mourront jamais ».

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