The Revenant est un film de trappeurs. Trappeurs de peu de choses, de presque rien. Un film au minimalisme entier, plein, parfois trop pour totalement convaincre ; trop d’idées, trop de talents exacerbés qui mènent à une forme de génie criée si fort qu’elle peut parfois déranger, un talent qui prend bien trop de place, qui exaspère. Mais une efficacité éreintante et la subtile joliesse que nous offre l’un des plus beaux regards contemporains – celui d’Emmanuel Lubezki – emporteront l’ensemble vers un envoûtement hypnotique.

Ce trappeur, c’est Hugh Glass (Leonardo DiCaprio), qui – abandonné à côté de sa vie et privé de son fils, seul être aimé – trouvera dans la haine sans fond ni forme pour le traître qui l’aura mené à cette situation, la force de survivre. Ainsi, c’est l’autre qui l’abandonne, qui le tue sans l’achever, mais c’est l’autre aussi qui lui donnera la courage surhumain de battre la mort et la douleur par la vie et pour la vengeance. L’homme seul n’est rien. Voilà bien, une pensée allant à l’encontre du cheminement éculé du survival.

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Une telle lutte avec soi-même, avec son corps contre toute chose ressemble à un idéal d’épanouissement pour l’acteur le plus intense de sa génération. Dicaprio empoigne son personnage pour le dépecer et s’en habiller tout en puissance, flirtant parfois avec la limite de la lourdeur. Limite allègrement dépassée par son alter ego Tom Hardy dont l’inattendue magnitude alourdi chacun des gestes. Néanmoins, le défi dut être grand pour l’ensemble du casting de se frotter à l’animalité écrasante de DiCaprio mais aussi et surtout, de surmonter les caractères archétypaux des personnages, comme différentes entités de glace que rien ne pourrait laisser fondre, que rien n’amènerait au changement. Seul Hugh Glass (DiCaprio), dans la nuance de l’expressivité du jeu, trouve ses variations.

Un rôle christique pour quête mystique qui rapidement tourne à vide tant la force du film se trouve dans son caractère galvanisant, au plus près de l’action de survie. Comme un mince propos apposé à la surface d’une œuvre sensorielle et effroyablement efficace. Un pêché mignon qu’Iñárritu – intelligent metteur en scène, malin réalisateur mais piètre penseur –ne peut s’empêcher de réitérer à chacun de ses films dans un mélange fluctuant menant à plus ou moins de réussite. On évitera alors de le comparer à son splendide modèle, Le Convoi Sauvage de Richard C. Sarafian (1971) dont il n’a ni la puissance narrative, ni l’intelligence humaniste. Cependant, l’âpreté et la dimension spectaculaire de sa mise en place forcent à oublier son discours sur la naissance du capitalisme mal amené, sa morale vengeresse jolie mais manquant de trouble, son éternelle et peu probante obsession spirituelle (proche de l’animisme dans un contexte pourtant très judéo-chrétien)… Seule l’évidente – et ne fonctionnant pas sur le principe de valeur ajoutée – réflexion sur le retour à la condition animale du héros se mêle adroitement au récit. Observation rendue quasi littérale par la propension du personnage à voler sur la cime des arbres, à se couvrir de la peau d’une ourse tuée dans un combat à mort ou à être accouché par le ventre de son propre cheval.

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A ces vices se greffe l’hubris mal digéré d’un artiste trop vite proclamé génial. Mais si son évident savoir-faire n’aura pas toujours atteint ce niveau d’exigence (Birdman, Biutiful…), l’orgueil est bien vite pardonné tant il n’a d’égal que son époustouflante dextérité formelle et visuelle, qui n’a apparemment, pour lui, pas le moindre prix.

Ces quelques concessions faites, ne reste qu’à s’éblouir de l’intelligence de dissémination des plans qui embrassent les grands espaces pour rapidement se rapprocher des éléments. Ce n’est pas tant la montagne qui intéresse Iñárritu que le rocher à son pied, pas tant la forêt que l’écorce humide d’un arbre ou les feuilles boueuses jonchant la terre, pas tellement le torrent fougueux que son bord de galets pouvant abriter les giclées de larmes et de sangs infectés. Une manière de donner une idée de l’espace et du gigantisme du monde à l’échelle humaine et le plan séquence ainsi que la lumière de compléter le travail en matérialisant le temps, la durée. L’œuvre se meut donc rapidement en expérience sensorielle et la séparation entre le spectateur et l’action au delà de l’écran s’efface doucement pour laisser voir des scènes d’une monumentale intensité.

C’est à contrario sur le long terme que s’épuisent ces prouesses. La mise en place se dévoile et sa virtuosité- toute en mouvements impossibles, contre plongées et courtes focales -finit par fatiguer. Brillent, alors, les instants en suspens offrant – outre le répit – la respiration intime nécessaire aux personnages et son lot d’éclats d’introspections et de bouleversements. La beauté éclairée par les flammes d’une rencontre affamée de deux hommes de peuplades différentes autour d’une carcasse à demi dévorée par les loups, se fait alors l’un des plus beaux moments du film. Une réelle fraction de sublime.

The Revenant atteint un tel point de fascination esthétique (qui aurait un lien direct sur l’organisme du spectateur) que le questionnement sur l’implication de Lubezki dans la réussite artistique (de mise en situation, en émotion) est important. Son apport essentiel à certains des plus grands cinéastes contemporains n’est plus à prouver mais peut être n’aura-t-il jamais pris place aussi importante dans la réussite finale d’un film. Si des chefs-d’œuvre comme Les Fils de l’Homme, Le Nouveau Monde (auquel on pense beaucoup), The Tree of Life ou encore Gravity lui doivent tant, ils sont avant tout la somme de nombreuses composantes, là où la photographie de The Revenant en est – et de manière évidente – l’épine dorsale. Un style importé laissant la caméra voguer à hauteur d’enfant et amenant sa beauté contemplative de Malick et le goût du plan-séquence initiatique de Cuaron. Ces choses que Lubezki maîtrisait avec génie bien avant ses collaborations avec Iñárritu. Le cinéaste qu’un montage circulant sur la toile, comparant la beauté du film à l’onirisme d’Andreï Tarkovski et l’évidence de l’influence de Werner Herzog, pourraient rapidement finir de qualifier de plagiaire.

Un acteur et une mise en image, en lumière et en mouvement pour principales qualités d’un film peut être est-ce peu de choses mais quand l’ensemble est amené à un tel degré d’ensorcellement des sens, il est difficile de ne pas succomber. Et c’est, au final, peut être là, que se cache le véritable mysticisme du métrage dans sa vision – sinon singulière – d’une telle précision qu’elle en dégage une vapeur hypnotique.

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