Alejandro González Inarritu – « Birdman »

Birdman et son rythme cardio-training, déboule sur nos écrans français, boosté par ses quatre Oscars (meilleur film, réalisateur, photo et scénario). Malgré cet hyper tonus-bonus affiché, il risque surtout de pomper votre énergie, de même qu’il a pompé l’humanité de ses personnages.

Dressant un curieux portrait-chinois tout en (h)auteur d’un –réalisateur- désespéré qui s‘acharne à détruire ses personnages, voire son cinéma préalable, le dernier Inarritu rappelle l’adage dans Profession reporter de Michelangelo Antonioni : « Vos questions renseignent plus sur vous que mes réponses ».
Des abîmes séparent la vision humaniste, pleine d’empathie du cinéaste des mélos paroxystiques et chorals qu’étaient 21 grammes  et Babel de ce dernier opus. Déjà, Biutiful amorçait cette mise à mal sacrificielle du « héros ». Ici, seul demeure le paroxysme et, paradoxalement, c’est vraiment, uniquement à la fin, qu’il fait mouche… durant les ultimes trente minutes qu’on évitera, naturellement, de dévoiler.

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Soit, Riggan Thomson, ex-star has been dont le rôle le plus marquant reste Birdman homme-oiseau super héros. Pressé de se racheter une prestance – en vérité, jamais acquise- il monte, dirige et interprète une pièce adaptée de Carver à Broadway. Il va se heurter (c’est peu de le dire) à son surmoi, son égo et celui d’un acteur rival, Mike. En sortira-t-il grandi ou détruit ?…
Le point de départ est très alléchant et l’homme-oiseau autrefois titre de gloire, devenu âme damnée, abrasion du subconscient ou du double (appelez ca comme vous voudrez) est une riche idée mais, las ! Inarritu a l’air tellement galvanisé par ce (bon) début que c’est décidé : il va nous en mettre plein la vue, plein les trip(e)s, les oreilles pendant près de deux heures.
CQFD : une enfilade de longs (faux) plans-séquence qui semblent être là juste pour servir un certain histrionisme du réalisateur mexicain qu’on a connu autrement plus inspiré : avalanche de travellings circulaires, caméra intrusive filmant au plus près, au plus laid, la pauvre Naomi Watts (toujours courageuse ; sans crainte de voir le renouvellement de son contrat L’Oréal s‘effondrer !), Ed Norton filmé dans une nudité calamiteuse, sans oublier les circonvolutions hystériques de la caméra sur la moumoute du malheureux Michael Keaton, interprète du rôle phare.

A ces mouvements incessants jusqu’à la nausée, ajoutez une stridence récurrente type free-jazz, des dialogues sur-écrits, débités à toute allure et vous aurez une idée du Luna Park psychique qu’est Birdman. Certains bons mots sont d’un mauvais goût qui frise l’absurde, à l’instar de Riggan (Keaton) et Mike ( Norton) s’enivrant dans un bar et s’écriant deux fois en reconnaissant la plus méchante critique new yorkaise : On dirait qu’elle a léché le cul d’un SDF . No comment.

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Plus préoccupant : Inarritu autrefois si proche de ses protagonistes, prend un plaisir sadique à les ridiculiser, les humilier tout le long. Seule la jeune Emma Stone échappe à ce jeu de massacre, en gardant un jeu plus nuancé et sobre ; ce qui n’est hélas pas le cas du pourtant d’habitude excellent Edward Norton qui surjoue tellement le rôle de l’acteur méthode Lee Strasberg que c’en est embarrassant : cigarette tétée convulsivement, œillades cliché… Pour incarner l’ « amour » sur scène, il manque violer sa partenaire (la malheureuse Naomi Watts).

A peu de choses près, c’est ce que tente de faire Inarritu sur le spectateur : le rapter avec une telle violence d’effets qu’il ne peut plus penser, s’identifier et est obligé de coopérer sans moufter. Effet inverse produit : la gêne augmente au fur et à mesure que les enchères montent, pesant chèrement et sadiquement sur les personnages, tous amenés à s’auto-dissoudre dans le cœur du spectateur, mués en pauvres hères pathétiques. Au mieux, des crétins sympathiques, au pire, des salopards dégénérés. Qu’est-il arrivé à Inarritu pour qu’il haïsse à ce point l’humanité et qu’il nous inflige sa vision au forceps ?

Si c’est une pose, elle est d’un cynisme sans nom ; une réalité ? On plaint alors le cinéaste d’avoir tant délaissé sa croyance non seulement en l’altérité mais, dans le cinéma. La grossièreté des artifices employés est sidérante, laissant le spectateur pantelant devant une telle démonstration, agressive au possible.

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Les ficelles sont si visibles qu’on soupçonne parfois les maladresses d’un cinéaste débutant. Ficelles cinématographiques : l’attirail bien trop apparent des plans séquences auto-proclamés, des « warning » sonores ; ficelles scénaristiques : tous les clichés afférant au scénario ; ficelles de mise en scène : hello ! la mise en abyme à la Aronofsky: l’ex star de Batman dans la « vraie vie », ringardisée depuis, s‘achetant une conduite avec ce rôle d’acteur has been en quête de reconnaissance ; Edward Norton parodiant l’acteur indé devenu trop rare sur nos écrans, ce qu’il est à l’état civil, etc… Sauf que quand Darren Aronofsky emploie Mickey Rourke dans The Wrestler, même s’il ne lésine parfois pas sur les moyens, il est AVEC Lui et non comme son compère mexicain, CONTRE lui.

Pourtant, bizarrement, c’est lorsque le réalisateur démolit vraiment son jouet principal : Birdman/Batman/Keaton que le film acquiert une force suspendant tout jugement, emportant le morceau, une dinguerie qui virerait poétique – poétique – si on était amnésique des 90 minutes du début. Une forme de destruction-rédemption qui fait revoir le film différemment. Malgré la détestation engendrée par cette mise en scène de wanna-be démiurge et ce dispositif de cinéaste méprisant ses personnages, on sort du film remué, de façon intéressante. Grâce ou à cause de cette dernière demie-heure incroyablement casse-gueule et qui pourtant décolle, lorsque Keaton manque manquer sa propre avant-première. Le cruel Inarritu, lui, ne l’a pas manqué. Si la fin peut paraître alternativement outrée, naïve ou sublime, c’est ce mélange indigeste qui devient savoureux in extremis.

Rien que pour cette destruction en dérèglement total de son personnage et de ses trois premiers films, ainsi que cette fin en dents de scie, Birdman vaut ses détours – de malice.

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