Alexandra Dean – « Hedy Lamarr : from Extase to Wifi »

Premier film de la monteuse, journaliste et productrice, Alexandra Dean, Hedy Lamarr : from Extase to Wifi est doublement réussi. Non seulement il retrace le parcours d’une légende hollywoodienne, LA femme fatale des années 40, mais surtout, il lui ôte ses oripeaux glamour, révélant une inventrice géniale, dont la beauté occulta l’intelligence ou plutôt : ne se conformant pas au fameux diktat « Sois belle et tais toi », elle fut incomprise et son vrai travail, méconnu.

L’étoile filante Hedy Lamarr fut la Dalila du Samson de Cecil B. DeMille, la Ziegfield girl du grand musical éponyme aux côtés de Judy Garland et Lana Turner, celle par qui le scandale arrive avec Extase, où elle apparaît intégralement nue dans les pudibondes années 30 et simule un orgasme…
Modèle pour dessiner Blanche-Neige et Catwoman, elle devait même être la vedette du Casablanca de Michael Curtiz. Ce que l’on sait moins, voire pas, c’est que pendant la Seconde Guerre mondiale, elle menait une activité nocturne beaucoup plus importante, occupée à inventer un système de communication à saut de fréquence pour les forces alliées. Ce système est à l’origine des techniques GPS, Bluetooth et Wi-Fi que nous utilisons aujourd’hui.


La réalisatrice a eu la chance inouïe de retrouver des cassettes d’une entrevue que le journaliste Fleming Meeks avait réalisée avec l’actrice pour le magazine Forbes en 1990. Elle va donc donner vraiment la parole à Hedy et c’est là une des grandes forces de son long-métrage.

Les bandes magnétiques miraculeusement retrouvées constituent un émouvant fil rouge narratif. Il s’agit d’autant plus de redonner littéralement une voix à Hedy Lamarr, qu’elle ne fut pas reconnue de son temps – sauf tardivement. De surcroît, la parution de ses soit disant « mémoires » ne fit rien pour la dépêtrer de cette image de femme glamour et scandaleuse. Parues en 1966, Ecstasy and me sont le fruit d’une commande passée à une Hedy désargentée par un éditeur véreux qui signa à sa place cette fausse autobiographie qui surfe sur les outrances – réelles ou fantasmées – de l’actrice et inventrice. Dérapages évoqués avec pudeur dans le beau portrait qu’en fait Alexandra Dean, sans que jamais le sensationnel ne prenne le pas sur la véritable singularité de Miss Lamarr. Comme beaucoup d’esclaves hollywoodiennes du système, la star d’origine autrichienne connaît les montagnes russes des « uppers and downers » : speed et amphé font partie de son quotidien pour tenir le rythme effréné des tournages, être « pimpante » et mince toute la journée et Nembutal, somnifères et autres pour éteindre ce feu d’artifice artificiel . Elle est aussi adepte des liaisons dangereuses : un premier époux, marchand d’armes auprès des nazis, malgré l’ascendance juive d’Hedy, des amants sans scrupules, une kleptomane récurrente, sujette à des crises de nerfs causés par ces cocktails de calmants/euphorisants, etc…


A la fois distrayant et émouvant, le documentaire d’Alexandra Dean est un intelligent plaidoyer féministe sur l’assignation des genres : une beauté hollywoodienne ne peut pas être une inventrice de génie. Très touchant portrait de femme, il rend bien compte de la terrible machine à broyer les actrices qu’est Hollywood.

Quand, enfin elle est reconnue pour ses inventions, c’est trop tard, Miss Lamarr en a marre et ne veut pas chercher son prix pour une raison bouleversante- que nous ne vous dévoilerons pas ici.

Voilà ce qu’en dit la réalisatrice : 

L’écho de l’histoire d’Hedy résonne bien au-delà de son invention. C’était une femme naturellement douée de talents multiples – belle, intelligente (à l’évidence) et courageuse. Et pourtant, malgré toutes ces qualités, à la fin de sa vie elle n’avait reçu ni la reconnaissance ni le respect qu’elle méritait pour tout ce qu’elle avait accompli. Qu’est-ce que cela signifie pour nous autres femmes? Qu’il faut être jeune et belle pour être reconnue? Cette question me taraude. Pourquoi ne valorisons-nous pas davantage les femmes tout au long de leur existence?

Bien heureusement, à la différence de son actrice, la valeur de ce premier film, elle, a été reconnue illico. Il a déjà été auréolé de prix et sacré meilleur documentaire (San Fransisco Jewish Film Festival 2017 , New York Film Critics, Online ,Women Film Critics Circle Award …). Espérons que grâce à lui, les spectateurs verront enfin en Hedy Lamarr autre chose qu’une femme splendide qui faisait tourner les têtes et les caméras, une tête chercheuse, une défricheuse et un génie.

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