Avant la chute du régime de Ceausescu, la Roumanie comptait 400 salles de cinéma. Aujourd’hui, le pays n’en dénombre plus que 30. Si le réseau appartient toujours à l’État, de nombreux bâtiments ont été vendus et les Roumains eux-mêmes semblent ignorer la situation précaire dans laquelle bon nombre d’exploitants se trouvent.
Cinéma mon amour suit le quotidien de Victor et de ses deux collègues féminines dans la ville de Piatra Neamt. Quinquagénaire cinéphile et combattant, le directeur du Cinéma Dacia occupe le poste depuis quarante ans et lutte chaque jour pour la survie du lieu. Misant sur la jeunesse des spectateurs et la modernisations des équipements, il refuse de baisser les bras alors que tout devrait le décourager.
Victor ne vit que par et pour son cinéma. Sa famille, exilée depuis des années en Italie, ne converse avec lui que par Skype : il ne l’a pas suivie de peur que le Dacia ne lui survive. La vocation qui l’habite, le sentiment que sa présence et son travail nécessitent tous les sacrifices, guident une existence tracée jusqu’à la mort. Peut-être pêche-t-il par orgueil ou que ce sacerdoce masque un vide émotionnel que lui seul peut combler. S’il ne cache pas ses états d’âme, s’il lui arrive de flancher, il ne perd jamais l’énergie de l’action en trouvant toujours quelque-chose à faire.
Jeune cinéaste ayant fait ses armes aux côtés de Cristian Mungiu, Alexandru Belc fait de sa rencontre avec Victor le sujet de son film. Alors qu’il avait l’ambition de dresser le portrait complet des cinémas roumains, la figure singulière de cet exploitant hors normes devient pour lui un symbole, celui de la bataille à livrer pour que le jeune public continue de se divertir et se cultiver à travers le cinéma. Au-delà du sujet lui-même, la question de l’engagement comme forme de vie donne à Cinéma mon amour une dimension universelle. Quelle cause mérite-t-elle que quelqu’un se sacrifie à ce point pour elle ?
Le hall comme la salle du Cinéma Dacia sont immenses. L’architecture fonctionnelle, la gestion des espaces, l’ouverture sur la ville, reflètent la vision éducative et populaire que le régime communiste avait de la culture. Jadis bondés, les cinémas accueillent encore aujourd’hui des classes entières de collégiens et stimulent Victor dans sa volonté de partager sa passion. Si les équipements numériques tardent à venir, si le chauffage pose régulièrement problème lors des rudes hivers, le directeur ne baisse pas les bras, propose animations et réductions aux jeunes gens qui s’aventurent devant les portes vitrées.
La tonalité du film ne flirte jamais avec la nostalgie réactionnaire de Cinema Paradiso. Si Victor aime partager ses souvenirs, il préfère s’en nourrir pour avancer que se complaire dans un passéisme stérile. Convaincu que le numérique permettra de dynamiser son cinéma, il se rend en Allemagne pour « apprendre », commande un lecteur Blu-ray se substituant provisoirement au futur projecteur et vient défendre avec cœur la situation des exploitants au siège de România-Film à Bucarest.
Cinéma mon amour fait le lien entre le rapport que chacun entretient avec son histoire cinéphilique et la situation d’un pays en pleine mutation. S’invitant régulièrement en festivals, le cinéma roumain peine à diffuser les films qu’il produit, parvenant ainsi difficilement à intéresser un public davantage tourné vers l’occident. Cinéaste regardant vers l’avenir, Alexandru Belc colore cependant son film d’un optimisme à toute épreuve, regard positif qui tranche avec le discours attendu sur le sujet. Cela tient en grande partie à la figure volontaire et dynamique de son héros qui pourra bientôt prendre sa retraite en toute tranquillité.
À noter : l’affiche du film a été réalisée par Federico Babina. Passionné d’architecture, cet illustrateur italien est notamment connu pour avoir dessiné des maisons de réalisateurs célèbres inspirées par leur style cinématographique.
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