Amin Sidi-Boumédiène – « Abou Leila »

Après trois court-métrages remarqués (Demain Alger?, L’île, Serial K) Amin Sidi-Boumédiène réalise, en 2019, Abou Leila son premier long métrage de fiction sélectionné à la 58ème semaine de la critique du festival de Cannes. Signant un film à la lisière du cinéma de genre, il rejoint ses compères Karim Moussaoui, Hassen Ferhani, Djamel Kerkar, Sofia Djemma, génération montante à l’origine du renouveau du cinéma algérien.

Se distinguant par une recherche esthétique ambitieuse, les films de cette nouvelle génération osent aborder, de façon frontale ou en filigrane, le trauma causé par la décennie noire en Algérie. Amin Sidi-Boumédiène situe ainsi son film en 1994 et suit le périple tortueux de deux amis qui cheminent ensemble vers le sud et le désert algérien.
Les deux hommes responsables du meurtre survenant dans la scène d’introduction disparaissent totalement du reste de la diégèse, comme si un duo -celui des deux amis- venait se substituer à un autre. Le film laisse rapidement entrevoir les rôles assignés à chacun : Lotfi, le plus fort et le plus solide – campé par le cinéaste Lyès Salem- qui est là pour protéger son ami S.-Slimane Benouari- fragile et instable, et l’aider à remonter la pente depuis qu’il s’est trouvé, dans l’exercice de ses fonctions de policier, pris dans une altercation mortelle.

 

© Ufo-Distribution

Avançant par mutations successives, la narration finit par dessiner un tableau psychédélique, sorte de projection de l’espace mental des personnages, porté par une bande-son faisant la part belle aux rock progressif et par des flash-backs traduisant le refoulé de l’un des personnages principaux. Le récit, tel un rêve diurne, constitue dès lors un ensemble mouvant progressant vers l’hallucination et la folie et renvoie, par là-même, au vécu du cinéaste qui a traversé adolescent, la décennie noire.
Cependant, subsistent ici et là des éléments tangibles, bien que relevant du mythe, comme la poursuite et la recherche vaines de Abou Leila dont les deux protagonistes trimballent la photographie ou encore l’incommensurable violence réelle ou fantasmée qui finit par gagner S., jusqu’à l’apparition du guépard dans le désert.

 

© Ufo-Distribution

Le cinéaste s’appuie sur la rigueur et la sobriété de la mise en scène pour mieux révéler la virtuosité ponctuelle de certaines transitions, comme ce passage du désert à la ville d’Alger par la simple présence d’un mur et de l’uniforme de policier revêtu par S. Le film ne cesse dès lors de mêler les deux espaces (Alger et le désert) jusqu’à la scène finale représentant le personnage de Lotfi devant un horizon obstrué par les montagnes.

En construisant une œuvre singulière et profonde à la frontière du polar, du « film de désert » et du conte (le moment où S se remémore une histoire que lui contait sa mère), Sidi-Boumédiène ouvre une brèche et initie une façon autre de traiter la douloureuse période des années 90 en Algérie, en éludant subtilement le registre du drame ou de la chronique sociale.

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A propos de Emna Mrabet

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