On n’avait pas vu un film du réalisateur aussi touchant depuis longtemps, qui sache à nouveau conjuguer ambitions romanesques et accompagnement aussi vif de ses personnages. « Quand on a 17 ans » s’inscrit à priori dans le genre rebattu du film sur l’adolescence, mais il prend la forme inattendue d’un film d’action, emporté et physique, qui culmine dans un duel à poings nus, en haut d’un plateau rocheux, finalement interrompu par une pluie battante. L’interprétation du trio principal, les jeunes Kacey Mottet-Klein et Corentin Fila, avec entre eux l’actrice Sandrine Kiberlain, est remarquable.

On ne saurait cacher bien longtemps l’un des arguments narratifs du film même s’il serait préférable de l’oublier et que, de toute façon, Téchiné nous en détourne en ouvrant des pistes de récit et des émotions bien plus complexes. La répulsion et l’attirance de deux adolescents que tout oppose, Damien et Tom, dépasse toute aspiration à faire un film étendard sur l’homosexualité. Pas de thèse ici ni de sociologie scolaire sur le harcèlement ou la discrimination. Téchiné, qui a fait appel à la réalisatrice Céline Sciamma pour l’écriture du film, se préoccupe davantage de l’état de conflit qui anime ses deux personnages, et de leur travail de construction tant relationnelle qu’individuelle, que d’une illustration appliquée de l’adolescence et de la détermination sexuelle. Tom et Damien nourrissent l’un envers l’autre un complexe de sentiments, qui vont de la jalousie à la haine en passant par une fraternité improbable, dans lequel le désir, non-dit, n’est qu’un élément parmi d’autres. Les deux garçons pourraient même n’être qu’une même personne dédoublée au sein d’une gémellité conflictuelle qui se teinte d’homophobie, d’amour, de haine de soi, et d’envie sociale. La question de l’altérité y joue – par delà celles du sexe, du milieu, de la couleur de peau – d’abord en soi.

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(c) Roger Arpajou

Comme le souligne Téchiné dans ses interviews, « Quand on a 17 ans » est très différent « Des Roseaux Sauvages » ; l’un est au présent tandis que l’autre était une évocation. La violence du rite de passage ouvre ici, une fois les coups échangés, sur de la sagesse, de l’hédonisme, et une prévenance des plus humaines. Il ne s’agit donc en rien d’une variante, et le nouveau film emprunte d’autres directions de fiction (et des tonalités) très différentes. Le traitement de l’image, et l’alternance des lieux, épousent les mondes des deux personnages, comme deux principes opposés, insolubles l’un dans l’autre. Tom est un garçon métis, adopté par un couple sans enfant, des cultivateurs qui vivent isolés dans les montagnes pyrénéennes. Il ne trouve son bien-être qu’en éprouvant son endurance, lors des taches agricoles ou lorsqu’il parcourt les pentes enneigées pour se rendre au lycée. Tom est en communion physique et presque mystique avec la nature. Cela fait de lui, dès qu’il quitte cet environnement, un enfant « sauvage », solitaire et violent. Damien, le blondinet chétif, en est l’envers arrogant : l’exemple du jeune citadin, provincial cultivé issu d’une famille bourgeoise. Son père Nathan est militaire de carrière et Marianne, sa mère, médecin. Les situations qui montrent Damien sont malicieuses : l’adolescent rêvasse dans sa chambre sous un poster de Bowie grimé en Aladdin Sane, et tape contre un punching ball pour se fortifier. Ce garçon solaire mais marginal, couvé par un foyer idéal, se retrouve confronté à son ombre animale : une pure altérité qui lui renvoie haine, jalousie et désir. Damien et Tom prenne un relief quasi-fantastique tant leur contraste est stylisé, ce sont deux créatures duelles comme dans le film de Jacques Rivette : le jour et la nuit qui s’affrontent.

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(c) Fidélité / Wild Bunch

On pourrait dire que la construction en miroir jaloux, des intrigues et des personnages, est un peu fabriquée : d’une part, le complexe de Tom, l’enfant qui ne se sent pas accepté par sa famille d’adoption ; de l’autre, Damien, l’enfant aimé mais encore immature, qui est en pleine construction. Les contrastes et typages des deux adolescents sont on ne peut plus outranciers, au risque de la caricature : brun et blond, montagne et vallée, ruralité et ville, profondeur contre superficialité, physique versus intellect. A quoi s’ajoutent les mondes, juste esquissés, militaires et médicaux, voire agricoles, qui servent de prétextes dramaturgiques pour cette construction du contexte provincial, mais aussi symbolique, du récit. Mais contrairement à l’idée un peu fausse qui se dégage des photographies du film, « Quand on a 17 ans » n’est pas une sage fiction naturaliste, cosy et propre sur elle. Il serait donc complètement erroné de le juger en termes d’absolus vraisemblance et réalisme car la stylisation affleure ou se déploie librement. Téchiné conserve des dimensions baroque et romantique, bien assumées. Il traite même son intrigue avec une relative abstraction, rythmique, colorée et picturale, au risque d’aboutages très singuliers et de ruptures intrigantes. A travers Tom, inspiré du personnage d’Heatcliff, c’est à nouveau Emily Brontë qui est convoquée avec « Les Hauts de Hurlevent ». Des scènes assez étranges suspendent le récit ou l’amènent dans des ailleurs inédits : des branchages menaçants tapant dans la nuit contre le carreau de la chambre ; Tom se baignant nu dans les eaux glacées, à la tombée de la nuit, selon un rituel de régénération inhumain ; Marianne s’échappant follement aux abords du cimetière tandis qu’une lumière surnaturelle éclaire les tombes. Ces déformations de registre comme d’image, inquiètent sourdement le récit, comme un suspense rentré qui pourrait le faire basculer à tout moment.

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(c) Roger Arpajou

Avec « Quand on a 17 ans », Téchiné retrouve donc une économie (ou une dépense) de récit que l’on avait un peu perdue de vue, et dans laquelle s’enchâssent avec intensité, naturel et artifice, épopée et drame intime, mondes social et imaginaire. L’écriture y est toujours très romanesque, mais on sent à nouveau l’inspiration du traitement, avec des choix intuitifs, un goût des modulations libres, visuelles et dramatiques. Le titre emprunté à Rimbaud donne au film un caractère d’ode sans célébration nostalgique. C’est davantage la capture d’un état de présent, et en même temps, un portrait atemporel et mythique de l’adolescence qui ne vise pas un réalisme contemporain. Cette complexité formelle et thématique (passion, amour filial, épreuves initiatiques…), ce goût non démenti pour des constructions inventives, pas forcément démonstratives, mais effectives, avec des arabesques lyriques, des licences imaginaires, nous ramène à la série (non exhaustive) des films du réalisateur que nous avions aimés : « Les Témoins », « Le Lieu du Crime », « Ma Saison Préférée »… Celui-ci est peut-être moins « parfait » qu’eux (à cause de types et de symboles sensiblement appuyés, et des seconds rôles succincts), mais il rejoue très bien leurs meilleures qualités, sans redite, au présent.

« Quand on a 17 ans » d’André Téchiné
sortie en salle le 30 mars 2016

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A propos de William LURSON

7 comments

  1. film bouleversant de sincérité,les acteurs sont super juste,ils ne jouent pas ils sont les personnages ,super bien filmé,raconté, quand a sandrine kimberlain sublime je l’ai decouverte dans se film elle juste magnifique et pleine de sincérité merci monsieur téchiné pour nous donner du bon cinéma a la française comme je les aimes .
    alain

  2. champ

    je félicite l’auteur de cette critique d’avoir réussi probablement à tirer incroyablement sur le film qui n’en contient pas tant comme tous les Téchiné que je me précipite pour ma part à ne pas aller voir… mais ouvert d’esprit, je comprends que l’on puisse peut-être y trouvé un intérêt. Retournons à nos classiques parfois moins élogieux des critiques et pourtant si réconfortants sur le plan artistique!

  3. Oui Mathieu, c’est le dilemme pour ce film, mais je ne pense pas, car sinon, on prendrait le risque d’en faire un truc scénaristique et sensationnel à découvrir, ce qui serait assez gênant, voire inapproprié. De toute façon, le film ouvre des entrées multiples bien plus larges, et celle-ci n’est à mon sens, qu’une parmi d’autres, avec la famille et la guerre, figurée dans le quotidien, ou bien réelle. Enfin, les lecteurs le diront… Au plaisir, donc !!

  4. BRETILLARD-MENGUE (Mathieu), M.

    Exact ! ^^
    Très fouillée, si je puis dire, ta critique, juste un mot, tu n’as pas peur d’avoir un peu défloré le sujet ?
    C’est la raison qui m’a fait choisir un angle différent.
    En tout cas, je n’aurais pas mieux écrit.
    « Au plaisir » comme on dit dans nos belles pyrénées !

  5. Merci Mathieu et oui, évidemment, Rimbaud (et pas Proust comme je l’avais mis. Ça, c’est l’exergue sur l’affiche : « l’adolescence est le seul âge où l’on ait appris quelque chose ») !

  6. BRETILLARD-MENGUE (Mathieu), M.

    Par Mathieu BRETILLARD-MENGUE

    Quand l’auteur de ces lignes s’est trouvé invité à l’Avant-première au Gaumont Opéra-côté Premier à PARIS (75 002), jeudi dernier, 17 Mars, il avait vu la Bande-annonce qui ne l’avait pas emballé et il y allait principalement pour LUCHON !

    Bien sûr qu’il avait en tête les vers de RIMBAUD et ce qui précédait « quand on a dix-sept ans », le fameux « on n’est pas sérieux » ; bien sûr qu’il avait en tête son visage pris en photo. à … 17 ans, justement, le plus connu qu’on lui connaisse et cette modernité des traits jusque dans la coiffure, bien sûr qu’il avait toujours ressenti comment « Arthur » avait pu souffrir et du manque de lumière et des terres et du climat de … CHARLEVILLE-MEZIERES – qu’il conjurera la moitié de sa vie et jusqu’en Abyssinie -, lui qui avait été jusqu’à ASSOUAN, transporté par ses couleurs d’or et de bleu, lui qui connaissait un autre plat pays et la révolte intérieure qu’il pouvait engendrer.

    Bien sûr qu’il se doutait que la suite des vers le conduirait « sous les tilleuls verts de la promenade » qu’il imaginait comme nos allées d’Etigny et peut-être même qu’une des scènes aurait pour décor « des cafés tapageurs aux lustres éclatants » …

    Mais il était loin d’imaginer que la fiction trouverait en notre « Reine des Pyrénées » sont écrin naturel ! Que même Sandrine KIBERLAIN ferait aveu au détour d’un dialogue de son éducation rigoriste en Beauce !

    Tout aurait pu commencer sur un air de Calogero tel que « J’ai le droit aussi », extrait de son album des Feux d’artifice … un instant la peur le saisit aux premières images de la composition d’équipes sportives, entre élèves d’un lycée (« Edmond-Rostand », en l’occurrence) ou l’humiliation d’être « choisi » parmi les deux derniers le rejoint aux premiers sentiments de la différence et de l’exclusion.

    Béranger ANCEAUX se cachait là, en fil conducteur, aussi bien dans le Clip que dans notre souvenir de son Baisers cachés, sélectionné au 18ème. Festival des Créations télévisuelles et qu’il nous avait été donné de découvrir, là aussi, en Avant-première.

    Le poncif achevé, les personnages et l’histoire pouvaient s’installer, un trio « qui fonctionne » comme on dit maintenant, entre une mère compréhensive, Sandrine KIBERLAIN, douce et sensible, son fils, Damien, incarné par Kacey MOTTET-KLEIN et son condisciple, Tom, Corentin FILA.

    Le triptyque entre « violence, désirs et prendre soin » qu’a intelligemment relevé un spectateur lors du débat qui succéda la projection peut donner une des clefs mais il y manque le quatrième élément, notre ville, nos belles montagnes et puis, un cinquième, le poème dont j’emprunte, ici, les mots pour visualiser les scènes, qui de la douleur d’une femme dans « la clarté d’un pâle réverbère » du Cimetière nouveau, qui de cette « nuit de juin » où Damien, « piqué de doux frissons […] se laisse griser » autour de notre Brandon de la Saint-Jean (classé l’année dernière au Patrimoine Culturel Immatériel de l’U.N.E.S.C.O.), qui de la rue Sylvie, « le vent chargé de bruits – la ville n’est pas loin », « un beau soir […] de bocks et de […] limonade » avec une mère qui invite son fils à s’ouvrir et faire confiance …

    …/…

    Charge émotive !

    Comment vous écrire la véritable charge émotive qui s’empare de vous, dès lors, dans la seconde partie du Film ?

    Sinon qu’une critique doit trouver autant d’échos à être lue avant qu’après la diffusion, hier soir pour vous, il y a près d’une semaine pour nous, pauvres expat’ luchonnais de la Capitale !

    Dans une salle par avance acquise, en tout cas très désireuse (!), Corentin FILA a même pu faire l’analogie entre son rôle et la mélancolie, la solitude, qui peuvent l’étreindre sur le pavé parisien alors que Kacey disait avoir appris à connaître « au fur et à mesure » son personnage ; il reconnut même une certaine difficulté dans la relation homosexuelle quand, nous lui trouvions plutôt une grande justesse faite de retenue mêlée à l’incandescence adolescente des premiers émois, « qui palpite là, comme une petite bête … Le cœur fou robinsonne », écrirait encore RIMBAUD.

    L’intrusion du Cinéste – après que l’auteur de ces lignes ait ouvert le Débat par une première question comme il se devait (!) sur le choix de notre pays de Luchon qui ramenait aux origines d’André TECHINE –, arrivé par surprise en « Uber », a permis d’aller plus loin.

    Nous l’évoquerons avec le Cimetière nouveau (n° 04) et son muret à la fois haut et peu haut, comme un écho des … Hauts de Hurlevent, ces scènes qu’il affectionne où « l’on prend le maximum de risques, sans filet » (sic) telle celle qu’on ne déflorera pas, littéralement et qui donna lieu à un nombreux questionnement.

    Le « Haut et le Bas », c’est aussi la raison du choix de notre vallée, dixit la Co-Scénariste, Céline SCIAMMA, alternance entre le milieu familial de Tom et celui de Damien, un Tom qui pourrait habiter Superbagnères ou … GARIN ou quand SAINT-GIRONS, en Ariège, en dispute la vedette, rires !

    Ces lieux nous parlent.

    Arthur RIMABAUD était de la même génération que Jean-Marie MENGUE, le Sculpteur luchonnais bien connu et monté à PARIS mener la carrière que l’on sait, né pour le premier en 1854 et pour le second -, peint au soir de sa vie par André REGAGNON, de … SAINT-GIRONS, en Ariège (!), quelle coïncidence – en 1855 ; comment dire, également, que le nouveau caveau visible dans le Film pouvait s’interpréter comme un clin d’œil à la mort, au groupe de Cain & Abel, aux Quinconces et laisser nous présager le pire.

    Mais voilà, « vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août [l’année scolaire terminée]. Vous êtes amoureux » continuait d’écrire RIMBAUD et en sortant du Gaumont Opéra, comme happé par le métro, nous avions failli manquer celle ou celui qui s’était pris pour le Poète, justement, « Donne-moi de la haine, je t’en fais de l’amour », quelle charge émotive, vous disais-je !

    PARIS (75015),
    le Vendredi 18 Mars 2016.

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