Première fiction du documentariste et photographe autrichien, Andréas Horvarth, Lilian révèle un point de vue de cruel entomologiste, doublé d’un sens du cadre spectaculaire. Le cinéaste invente un genre à part en soi : un cinéma-performance (ce qu’il fait de-et avec-l’héroïne du film éponyme) où le naturalisme le plus frontal prend parfois des allures d’opéra.
Copyright Ulrich Seidl Filmproduktion
Pendant les deux-tiers du film, le cinéaste autrichien va à contre-corps, contre-coeur, se dissocie du personnage, façon Lars von Trier Breaking the Emily- pardon : the waves, Breaking the Nicole Dogville et ainsi de suite. Produit par un autre grand sadique teuton, Ulrich Seidl, Lillian exaspère d’abord par son esthétisation du glauque et de la misère, des propositions un peu faciles avant de fasciner par des trouvailles autrement plus inventives, des plans d’une beauté à couper le souffle, passée l‘accumulation de séquences désagréables, voire pénibles. Ce film risque de diviser ; au point que l‘auteure de ces lignes en ait eu une vison quasi schizophrénique.
Horvarth dit s’être inspiré d’un fait divers, situé dans les années 1920. Une jeune Russe ayant émigré aux Etats-Unis se retrouve à bout de ressources. Elle décide de retourner dans son pays à pied. Elle quitte donc New York et suit le télégraphe direction l’Ouest. Accompagnée de plusieurs chiens, elle n’arrivera jamais à destination et disparaîtra vers l’Océan Pacifique. Son film est dédié à la disparue et a repris son nom Lillian. Le reste n’est que fiction ou, plutôt, friction, performance : ce qu’il fait subir à son interprète (l‘aspect le plus discutable du film) et son immersion dans l‘Amérique des Rednecks (le point le plus original et abouti). L’héroïne, s’appelle toujours Lillian, mais part seule. L’inexistence de toute motivation de sa part fait obstacle à l’empathie : après un casting pour du porno hardcore, avorté parce que son visa pour les USA a expiré, le collègue russe qui lui a fait passer l’entretien, lui conseille de retourner en Russie. Plan suivant, la voilà déambulant dans une sorte de no man’s land, vêtue d’un short ras les fesses, de collants noirs déchirés et avec un sac à dos microscopique.
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Le début du film laisse augurer de mauvais présages : esthétisation éthiquement limite du hard dur : split screen sur des images vidéos de filles harnachées qui se font gang-banger versus le visage en gros plan, grands yeux bleu purs, pommettes hautes de de Patrica Planik (alias Lillian- physique de top model, splendide malgré toutes les épreuves physiques que son réalisateur (devenu compagnon à l’état civil) lui fait subir tout le long du film. Le pire de Lillian, la façon embarrassante qu’a le cinéaste de nous présenter cette femme, sur le mode provocation à l’autrichienne (Hallo Seidl ; Haneke !…) ; il dégaine toute la panoplie : Lillian a ses règles (forcément gros plan sur ses cuisses maculées de sang), Lillian a ses poils qui poussent, (re Gros Plan sur ses jambes, aisselles ), Lillian s’affuble de tenues trouvées dans des décharges de fringues, type mini robe à la Russ Meyer… Tout ce mélange de mise en exergue du glauque et déchéance physique est pénible et gratuit. Intérieurement, pendant les deux tiers du film, le personnage de Lillian n’est pas mieux traité : dès la première maison où elle s’incruste, elle laisse la bouffe en plan, pique des fringues, surtout- un encombrant bocal XXL de chips genre Curly ! Ce qui n’aide pas le personnage à exister, c’est un euphémisme ! Quand un shérif qui paraît être le pire des white trash lui vient en aide, ainsi qu’une brave épicière, elle s’enfuit ou ne remercie pas. Du reste, le côté « sois belle et tais-toi » est totalement assumé par son Pygmalion sadique : en 130 minutes, elle n’aura dit qu’un mot « Niet » ! On aura beau avoir entendu dire que la sculpturale Patricja Planki est artiste et photographe et qu’elle s’est beaucoup impliquée et a propsoé maintes choses, la voir ainsi instrumentalisée à l’écran reste douteux. Si le contrepoint des situations difficiles qu’elle vit avec, au son, des speakers de radio aux tons enjoués ou les inserts : « God bless America », « you have a family » est d’abord agaçant au début, parti pris qui paraît un peu facile, il prend sens au fur et à mesure.
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Aussi crispant qu’il soit par bien des abords, Lillian est également étonnant et virtuose. Autant l’aspect performance physique de l’actrice, abîmée par son metteur en scène exaspère par sa complaisance déguisée, autant la performance au sens du happening est réussie et impressionne. Le cinéaste la place dans des improvisations où ils font effraction dans le quotidien de laissés pour compte des Etats-Unis : des ploucs fauchés, des indiens se battant contre l’arrivée du pipeline dans le Dakota… Lillian y fait irruption, volant de la bouffe, des fringues et l’aspect documentaire/happening explose, saisissant, risqué, original. Dès qu’il s’ouvre sur l’extérieur, ce road movie survivor déploie ses ailes, surprend et ne ressemble à aucun autre Parlant d’ailes : les plans filmés par des drones ou en avion sont sidérants, les paysages splendides. La dernière demi-heure du film, passionnante, décroche de Lillian pour s’intéresser à des paysages désolés, des déserts arides, des tribus en voie de disparition. Autant les afféteries du cinéaste provocateur sont des facilités quasi adolescentes qu’on aurait préféré éviter, autant Horvarth reste un artiste total. On le retrouve au générique à la caméra (virtuose), au montage (trop long, le film aurait été sublime avec 3O ou 40 minutes en moins), à la musique qui nappe tout le film d’une aura inquiétante et mystérieuse. On est très curieux et un peu anxieux de découvrir son prochain film, idéalement avec un vrai personnage.
Lillian est un film dérangeant dont on ne sort pas indemne. Parfaitement détestable ou détestablement parfait pour les raisons évoquées ci-dessus. Un vrai film, qui nous hante des mois après. N’est-ce pas la marque d’un vrai cinéaste ?
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