Andreï Konchalovsky – « Michel-Ange »

Florence, entre 1512 et 1519. Alors que le plafond de la chapelle Sixtine élève son art au rang du divin, Michel-Ange, épuisé par l’ampleur de ce long chantier, survit modestement. Le tombeau du pape Jules II, chef de famille Della Rovere, commandé en 1503, n’avance pas et les sommes avancées ont été largement dépensées. Rappelé à ses obligations et pressé par la mort du pape, le maître part à la recherche du marbre idéal pour terminer ce projet colossal à peine entamé. À la famille Della Rovere succède sa rivale, les Médicis, lorsque Léon X accède à la papauté. Le nouveau pape, peu soucieux des engagements qui retiennent Michel-Ange, lui ordonne de réaliser la façade de la basilique San Lorenzo. Tiraillé entre loyauté et corruption, l’esprit de l’artiste divague lentement entre superstitions et hallucinations.

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Si dans l’imaginaire collectif le nom de Michel-Ange convoque un cortège d’images d’une pureté impénétrable, aux couleurs flamboyantes ou à l’immaculé troublante rêvées par la Renaissance, Andreï Konchalovsky s’attache plutôt à en dévoiler les racines, sombres et tangibles, qui les ont générées. Le film restitue pour son héros un environnement réaliste, cru, qui ne fuit ni la crasse ni la sueur. Ses matières deviennent celles de cette époque paradoxale, à la fois cruelle et illuminée. Ne se contentant pas de la crédibilité de ses décors et de ses ambiances, Michel-Ange étend son perfectionnisme au visage de son acteur principal, Alberto Testone, dont les traits imitent remarquablement ceux de l’homme qu’il incarne. Perfectionnisme de rigueur à l’édification d’une œuvre dédiée à cette figure de l’art, elle même réputée perfectionniste. Il se dégage de tous ces attraits visuels et sensoriels une impression d’authenticité, aussi romantique que redoutable.

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Il serait cependant réducteur, voire absurde, de considérer le film comme un biopic ; genre d’ordinaire plutôt vulgaire et vulgarisant. Konchalovsky nous épargne les mélos traditionnels de l’articulation d’un récit qui réunirait scolairement les grands moments d’un destin prodigieux. Ici, pas d’enfance ni de mort. Ni apogée, ni déclin. Quelques années suffisent à figurer l’essence de ce génie dont le nom, naturellement associé à ces statues inspirées de mythologies antiques, sonne presque lui même comme celui d’un dieu lointain. « Dove sei ? … Dovei sei ? » (« Où es tu? »), ces mots surgissant d’une bouche à l’autre le long du film sont un rappel, une conscience. Comme une recherche spirituelle, un chemin incertain mais déterminé vers la vérité de l’âme du créateur. Le naturalisme de la reconstitution ne se prive pas pour autant de fantaisie, apportée par quelques touches d’hallucinations mystiques, offrant aux images une beauté souterraine et énigmatique. Le monstre de marbre brut, éclairé par la lune, emprunte à 2001 le magnétisme de son monolithe. Les sept péchés capitaux hantent cette œuvre, dont le titre original Il peccato (« le péché ») révèle clairement cette obsession. Dans les ruelles boueuses et obscures, les chiens errants sont le diable qui rode, guettant la route du génie pour planter des crocs dans ses chevilles de pécheur apeuré.

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Sa fascination pour Dante, entremêlée à ses superstitions et à sa culpabilité, le mène sur ses pas, dans sa chambre, puis, aux pieds de Virgile, prêt à lui faire traverser le royaume des damnés. Avant cette dernière apparition, Michel-Ange se réveille au milieu de corps ensanglantés, laissant supposer sa propre mort. En vérité, le célèbre sculpteur meurt beaucoup plus tard, en 1564. En le tuant prématurément, Konchalovsky lui offre cette mort erronée, cet égarement qui a conduit Dante aux portes de l’Enfer. Après l’avoir démythifié et désacralisé en le représentant luttant pour garder sa morale dans ses vêtements miséreux, il crée un nouveau mythe, digne d’un poème épique. À moins que ce ne soit la folie de son héros qui ait contaminé le film quelques minutes avant son générique.

Il prolonge aussi l’idée d’un film testament d’un créateur qui regarde derrière lui. Il ne faudrait pas oublier combien, en effet Michel-Ange constitue un fascinant autoportrait en creux du cinéaste, qui commença d’abord dans les années 60 en plein Union Soviétique, s’exila aux Etats-Unis dans les années 80 avant de revenir vivre en Russie en 1990. Sa réflexion sur la place du peintre tergiversant avec les pouvoirs de l’Eglise et des rois pour pouvoir imposer son œuvre sonne également comme l’aveu du déchirement du réalisateur durant toute sa carrière. On y retrouve d’ailleurs les élans mystiques de ses débuts, lorsqu’il travaillait avec Tarkovski, et notamment sur un autre biopic intime qui détruisait les idées préconçues, dans lequel un autre peintre traversait l’Histoire : Andreï Roublev. On pensera également un autre grand créateur du XXe siècle pour sa reconstitution anti académique, qui préfère la merde à la propreté, le Pasolini des Contes de Canterbury et du Décameron. A la fois charnelle et dépouillée, la mise en scène de Konchalovsky transporte, exaltant à chaque plan une folle envie de cinéma. Michel-Ange, le grand film d’un cinéaste de 83 ans, d’une énergie surprenante, une toile de maître.

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