Andrès Peyrot – « Dieu est une femme »

En 1975, un réalisateur Français, Pierre-Dominique Gaisseau, oscarisé en 1962 pour un film appelé Le ciel et la boue montrant des tribus papoues en Nouvelle-Guinée, part au Panama, chez les Kunas, y poser sa caméra. Il s’installe dans la communauté avec femme et enfant (sa fille, Akiko, sera scolarisée dans l’île) pour filmer les rites d’une société considérée comme « matriarcale ». Lorsque l’argent vient à manquer, la banque, qui a prêté au réalisateur, lui confisque le film, rendant toutes les images tournées durant le reportage invisibles. Presque un demi-siècle plus tard, Andrès Peyrot, un Suisso-panaméen, fait une rencontre avec Orgun, un réalisateur Kuna, lors d’un festival de cinéma à Panama.

L’aventure débute quand Peyrot découvre cette histoire, dont la dimension est quasi-mythique dans la communauté, et décide d’observer la démarche des Kunas pour se réapproprier cet héritage exogène. Le documentaire retrace comment cette mémoire, fixée chimiquement sur une pellicule, sera retrouvée et restituée à la tribu, presque cinquante ans plus tard.

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La première partie du long-métrage interroge les protagonistes, ceux et celles filmés en 1975 par le cinéaste français. Au sein d’un village presque vide, seulement habité par des anciens évoquant leurs souvenirs, la distance apparaît grande entre la vision un peu clichée des cérémonies rituelles et la réalité d’une culture mise en danger, par l’exode rural ou encore une acculturation certaine, forcément liée à l’état Panaméen. Les témoins se rappellent, les langues se délient volontiers et de vieux enregistrements audios, sur cassette, sont retrouvés.

Il est clair que les biais qu’avaient en tête Gaisseau, ses idées préconçues, sa vision totalement exotique et tellement post-colonialiste, avaient bien été perçus alors. Ainsi, impossible pour lui d’accepter dans le champ de voir des ustensiles du quotidien, en plastique, quand bien même l’image serait totalement liée à une tradition rituelle. Cela ne cadre pas assez à la vision d’une tribu « hors du temps », archaïque, primale, comme figée depuis l’aube de l’Humanité. De plus, l’aspect « matriarcal » est discutable. Si les rites de passage filmés sont effectivement exclusivement liés aux filles, les systèmes politiques et religieux tels qu’ils sont décrits devant la caméra de Peyrot paraissent simplement équilibrés (à l’instar de la spiritualité Kuna qui célèbre un équilibre entre la divinité masculine et la divinité féminine). Manifestement, ce n’est pas le regard de l’homme occidental de 1975 qu’est Gaisseau, lequel reverra d’ailleurs sa position a posteriori.

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Après avoir retrouvé une copie très dégradée du film au ministère Panaméen de la Culture, laquelle ne contenait que des images abîmées et partiellement visibles, un coup du sort et quelques voyages à Paris permettent de retrouver une ultime copie, restaurée (avec le concours du CNC) et des rushs confiés par Gaisseau à un vieil ami de la famille. C’est alors que le documentaire prend une toute autre dimension, autour de la projection de l’œuvre originale.

Ces instants se révèlent très chargés en émotion, et une véritable dynamique se construit pour mettre en œuvre la séance elle-même. C’est bien la démarche, le chemin qui devient le cœur même du propos. A ce moment, plusieurs enjeux rentrent en jeu : D’abord, le cinéma révèle une partie de son essence, voire sa sève originelle, lorsqu’il fixe les êtres vivants dans une sorte d’immortalité. Andrès Peyrot se servira d’ailleurs d’un dispositif qui propose une surimpression des images d’époque sur les protagonistes eux-mêmes, ou leurs enfants. Ces plans sont poignants, chargés d’une émotion certaine, outre que leur esthétique est étourdissante.

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Mais ce n’est pas tout, puisqu’à l’occasion de la projection, les Kunas partis – généralement à la ville – rentrent au bercail et le village se retrouve vivant à nouveau, avec jeunes et moins jeunes dans les rues. Un frémissement, comme une onde dans l’eau, semble secouer la communauté lorsque se pose la question de la réappropriation de sa propre culture. Là aussi, des questions essentielles sur le cinéma sont posés : si les Blancs percevaient ce peuple dans les années 70 de manière exotique, est-il possible de montrer une autre image qui serait plus fidèle à la réalité ? Comment le peuple Kuna se perçoit-il lui-même ?

La dernière partie montre entre-autres des images de quelques rites et de scènes cathartiques dans lesquels les hommes rejouent la révolution Kunas, laquelle a eu lieu environ un Siècle avant. Surtout, le spectateur y voit entre-autre Orgun, caméra au poing, au cœur du chaos théâtral de cette représentation révolutionnaire, maître de l’image, de ce qu’il capte de sa culture.

Beauté ultime du film, si les Kunas ne renient rien de ce qui les relie à la société des Blancs (certains ont étudié en France par exemple, et ce n’est pas rien de percevoir leur rapport ému à Paris par exemple), c’est bien une voie d’émancipation qui se dessine. Il serait tellement pratique de les récupérer pour les classer féministes ou écologistes. Ils le sont certainement, bien sûr, mais ce serait réduire une culture à de simples distinctions, choisies sous un prisme éminemment ethnocentré occidental.

(relu et corrigé par Carole Martinez).

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A propos de François ARMAND

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