Encore un film sur l’adolescence ? Plutôt un film depuis l’adolescence, une lente, douce mais inoubliable plongée au creux même de ses sensations et émois qu’il nous fait vivre ou revivre avec une caméra savante, subjective, éminemment subtile.
Expérience sensitive
Car le réalisateur et co-scénariste Andrew Cividino manie avec un art consommé caméra, cadrage, bande son, montage pour que tous participent du chant du monde réunissant Adam, Riley et Nate, les trois jeunes ados livrés à eux-mêmes dans l’immensité verte et bleue du Lac Supérieur dans l’Ontario. Cadrages au cordeau, caméra expérimentant tout ce qui est en son pouvoir, bande son donnant parfois plus son sens au film que le film lui-même, montage tonique et pourtant d’une élégance rare, nous happent dans l’expérience tactile, sensitive et frémissante de cet âge à fleur de peau où chaque feuille semble frémir au vent pour nous-même, où le merveilleux de l’enfance flotte encore comme le soleil à contre-jour, où l’innocence se drape de tristesse muette en se cognant aux premières chutes des idoles.
Aucun faux pas, mais une maîtrise et un talent époustouflants pour ce premier long-métrage succédant au court-métrage éponyme qui a remporté le prix du Jury Jeune au Festival de Locarno. Le casting y a sa part, d’une justesse remarquable, reposant sur deux prodigieux acteurs non-professionnels à mêmes d’éclairer l’étrangeté d’Adam, le seul véritable acteur de la bande.
Exercice de haute voltige
C’est cette expérience de justesse tendue d’un bout à l’autre sans prétendre au documentaire mais alliée à une caméra littéralement vertigineuse qui éloigne Sleeping Giant des grandes signatures du teen-movie, de Pialat à Gus Van Sant en passant par Nick Park. Unanimement comparé à Stand by Me de Rob Reiner, Sleeping Giant trace une piste tout en fraîcheur et vérité. Pourtant, de grandes lignes du film d’ado s’y croisent. Sur la voie initiatique, la glisse de Paranoïd Park trouve ici un écho dans la recherche de l’apesanteur et de la plane, les transgressions de Virgin Suicides ou de La Fureur de Vivre s’y retrouvent, feutrées mais non moins définitives, et l’effondrement de l’innocence peut entraîner celui des pulsions de vie aussi sûrement que dans Gerry. Figure centrale du film, le saut se dessine ici comme la métaphore parfaite de cette période entre enfance et âge adulte, où le franchissement symbolique et violent d’un temps social et intime vécu en son propre corps épouse parfois une trajectoire de destruction inconsciente menant tout droit au saut dans le vide ou tout du moins à la chute.
Se souvenir alors que le film doit son titre à cette immense terre d’enfance du cinéaste, célèbre pour ses falaises de 250 m de haut et ressemblant à un géant couché sur le dos, Sleeping Giant. Un sommeil de géant trompeur comme l’eau qui dort, à perte de vue.
Co-écrit et réalisé par Andrew Cividino. Avec Jackson Martin, Nick Serino, Reece Moffet. Photographe James Klopko. Musique Bruce Peninsula, Chris Thornborrow. Durée: 89 mn. Année de production: 2015. Sortie le 17 février 2016. Distribution KMBO.
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