Ann Sirot et Raphaël Balboni- « Le syndrome des amours passées ». 

Deux photos de famille encadrent le film. L’ouverture nous montre Sandra et Rémy posant pour un selfie destiné à la mère de la jeune femme, dont c’est l’anniversaire. Ce qui se joue là, c’est la mise en scène du petit couple parfait, dont le bonheur est consigné dans une image fixe à usage social. Le noir et blanc, les jump cuts, confèrent à cette entrée en matière un caractère naturaliste que la suite va joyeusement dynamiter. 

Au terme de l’aventure, une autre photo: celle d’une famille resplendissante…et pour le moins inattendue, dont il serait dommage de révéler la composition. 

Entre ces deux images fixes, un parcours burlesque, tout en métamorphoses, décompositions et recompositions, vient redessiner les représentations normatives du couple et de la famille. 

Sandra et Rémy ne parviennent pas à faire un enfant. Leur médecin diagnostique un « syndrome des amours passées ». Pour débloquer la situation, ils se voient enjoindre de retrouver tous leurs partenaires passés, et de vivre une ultime union sexuelle avec eux. Commence alors une quête qui va révéler à chacun qui il est, mais surtout qui est l’autre. Au gré de cette aventure foutraque, qui convoque aussi bien le Truffaut de Domicile conjugal que le Kubrick d’Eyes Wide Shut, les deux protagonistes se voient confrontés à toutes les grandes questions liées au couple: l’amour et le désir, la jalousie, le fantasme, l’irréductible singularité d’individus qui pourtant aspirent à l’osmose amoureuse et à la construction d’une famille. 

Rémy n’a que trois femmes à recontacter, et se montre fort pusillanime dans cette tâche, qui le paralyse. Il découvre que Sandra a eu une vie amoureuse beaucoup plus riche que la sienne, dont l’acmé est une aventure avec une incendiaire cap-verdienne… qui n’a jamais existé mais dont il  a brodé le récit pour faire mâle. Des cuts savoureux juxtaposent Sandra dans ses ébats sensuels et Rémy lisant dans son lit. Mais voilà que l’intellectuel chauve et vieillissant décide de rompre le sortilège: grâce à sa rencontre avec Marion, une mère de famille aussi délurée que désorganisée ( on est heureux de retrouver la trop rare Florence Loiret Caille), il se mue bientôt en « super baiseur », venant à son tour faire vaciller la confiance de sa compagne. Les interprétations de Lucie Debay et Lazare Gousseau donnent corps à ce constant jeu de réajustements et de déséquilibres avec finesse et tendresse. 

La belle idée du film est la mise en scène poétique de cette exploration. Dans un espace vaguement troglodyte, qui rompt avec le cadre naturaliste dans lequel le film s’est d’abord ancré, Sandra et Rémy ont confectionné une sorte de guirlande amoureuse: chacun a collé au mur les photos des ex à recontacter, agrémentées d’une loupiote. En-dessous, sur un tableau blanc, seront écrits des commentaires: fait/ recontactée par mail, par téléphone mais n’a pas répondu, etc. Se construit dès lors une sorte d’écran mental et onirique sur lequel chacun  projette son histoire, ses peurs, ses regrets, ses désirs. 

Sur le même mode de la ronde poétique sont traitées les scènes de sexe qui rythment le récit. Toutes les possibilités de l’arithmétique amoureuse y sont déclinées ( scènes à deux, à trois, en groupe…) dans une danse ludique, légère, joyeuse. Les musiques, les jeux d’ombres, de masques, d’étoffes et de matières, permettent d’échapper au graveleux et de suspendre le jugement alors même que toutes les questions sensibles sont abordées, de l’adultère à l’inceste en passant par l’homosexualité ou encore l’avortement. La sexualité est la matière et la mémoire dont chacun est fait; elle est espace de jeu et de liberté. Elle est, surtout, ouverture à l’autre: ce qui fait l’histoire d’un couple, son désir même de faire famille, n’est autre que la somme d’une multitude de rencontres. Aussi le faire-part sera-t-il envoyé à tous ceux et celles qui ont contribué à la fabrique de la famille bien ironiquement – ou hypocritement- qualifiée de « nucléaire ».

Sous ses dehors fantasques, le film interroge, avec beaucoup de justesse et de générosité, les représentations: 

Nous voulions suivre Rémy et Sandra au travers de cette aventure incongrue, découvrir par le biais des ex-partenaires toute une série de déclinaisons sur le même thème – les ex aussi ont élaboré leur propre système au sein de leur couple actuel – et interroger la manière dont nous abordons collectivement le projet d’enfant, en le transformant souvent en un trophée, en un outil de reconnaissance sociale, l’élément à ajouter dans le tableau de la vie parfaite. Nous avons le désir et l’ambition d’amener le public à rire devant les mirages et les tabous qui composent nos fonctionnements collectifs, d’explorer avec humour les diktats qui nous poussent dans une monoculture du schéma familial et qui inhibent notre créativité, afin de pouvoir réinventer le vivre-ensemble. 

Certes, le rythme du film pâtit parfois du recours à l’improvisation et du choix de la répétition comme motif central.  Sous ses dehors modestes et un peu inaboutis, c’est cependant  un réjouissant feel good movie qui offre, à l’issue d’un exercice de funambulisme érotico-amoureux,  une vision de la famille  revigorante  emprunte d’une grande tendresse.

Le Syndrome des amours passées, comédie franco-belge, 89 minutes.

Sortie le 25 octobre.

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A propos de Noëlle Gires

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