Prélude : la caméra suit en plan séquence une jeune femme dans une enseigne de prêt à porter de luxe située à l’étage d’un grand magasin. Elle s’installe pour essayer des robes dans une cabine d’essayages. Alors que le comportement de la jeune femme intrigue, le dénouement dépasse les faits pressentis par le spectateur. Ce prologue mystérieux et « tiré aux cordeaux » hantera le spectateur. C’est là une première pièce d’un puzzle qui se dessinera lentement et dont on retient la couleur pourpre, le rouge profond et la blondeur fragile de son héroïne – celle que l’on suit dans cette première séquence ; celle qui suivra semble bien plus forte.
Hitchcock peut-être, Vertigo, Marni mais aussi Passion de Brian de Palma avec ses héroïnes aux caractères sibyllins et l’énigmatique question des doubles. Une séquence dans Le dos Rouge (2015) d’Antoine Barraud faisait subrepticement écho à Vertigo, ici, se profile plutôt le vertige d’une double vie qui se fissure peu à peu. Graduellement, une nouvelle révélation se profile à chaque nouvelle séquence. À noter, le montage très découpé du film auquel s’oppose le plan séquence d’ouverture et la photographie de Gordon Spooner tour à tour chaleureuse dans les intérieurs nocturnes, plus froide lorsqu’elle s’attarde sur certains extérieurs urbains bétonnés dans la grisaille de jours automnales.
Le film relate ainsi comment une forteresse de mensonges forgée par une femme plus généreuse que perfide se fissure peu à peu, pour enfin se fracasser avec pertes et fracas, sans jamais pourtant (c’est là une force du scénario) céder au pathétique. Cette femme, Judith, est portée par une Virginie Efira solaire malgré les tourments qu’elle s’inflige et ceux auxquels elle est confrontée, résultat de son quotidien fragmenté. Deux foyers, deux compagnons, des enfants avec chacun, telle est le vie de Judith qui s’invente des voyages en Europe – elle est interprète – quand ses semaines sont divisées entre la Suisse et la France pays des uns et des autres.
Très vite, la double vie de Judith apparaît comme anxiogène et le spectateur commence à douter : l’infidélité et ses conséquences sur la vie de cette jeune femme et des siens seraient-elles véritablement le sujet du film ? Ne serait-ce pas trop sommaire ?
Ce serait, en effet, oublier la subtilité et les complexités des récits d’Antoine Barraud. D’une situation qui pourrait sembler amusante et féministe : Judith vit officiellement avec un homme séduisant et aisé, elle a pour amant un homme plus jeune et plus modeste, le cinéaste trace un sillon vers une autre forme d’amour et de névrose. Au fur et à mesure que le château de sable s’écroule pour l’héroïne, les cartes se dévoilent pour le spectateur. Celui-ci comprend les tenants et aboutissants d’un drame … dont on ne peut guère dire plus car il s’agit bien d’un thriller psychologique au cours duquel chaque séquence fait frémir un peu plus.
Virginie Efira force l’empathie du spectateur malgré le sentiment d’abandon qu’elle provoque froidement sur ses enfants (le jeune Thomas Gloria, tout de rancœur et de suspicions, la petite Loïse Benguerel, éplorée), premières victimes de son comportement.
En face d’elle, Jacqueline Bisset, Valérie Donzelli, Bruno Salomone, Quim Gutierrez, le cinéaste Nadav Lapid, Nathalie Boutefeu et François Rostain, campent avec justesse et panache des personnages aux caractères bien dessinés, tout aussi complexes que l’héroïne.
Antoine Barraud explore la folie depuis sa trilogie des Monstres (2005-2012). Comment surgit-elle, à quoi est-elle due – quelle est-elle, finalement, car où se situe la norme ?
Judith est-elle finalement la véritable instigatrice de cette double vie ? Si Virginie Efira provoque l’empathie du spectateur, par son jeu tourmenté qui cède rarement aux larmes – elle s’oppose en cela à France de Bruno Dumont, autre personnage féminin en proie aux pires épreuves, cédant nécessairement aux larmes – on s’interroge néanmoins sur ses choix : est-elle une victime ou un monstre ? Qui est alors cette Madeleine Collins ?
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