Avec un tel titre, le troisième long métrage d’Antony Cordier s’inscrit volontiers dans le registre de la comédie de (re)mariage, tout en s’autorisant des dévoiements qui prennent le spectateur à contre-pied. La séquence d’ouverture  nous mène sur les voies ferrées d’une rase campagne, où des activistes écolo préparent un coup d’éclat. Parmi eux et par hasard, se trouve Laura (Laëtitia Dosch), une jeune femme un peu paumée, qui est enrôlée bien malgré elle dans un happening politique. Gaspard (Félix Moati) lui sauve la mise et propose de l’embaucher comme petite amie pour se rendre avec lui au mariage de son père, qui a lieu dans la demeure familiale. Cette bifurcation soudaine, qui fait apparaître Laura comme un personnage libre et « hors-sol » nous mène à la rencontre d’une famille marquée par le fatum et vivant selon un mode clanique, dans le zoo qu’elle tient. Le film, qui commence de façon cocasse, n’a de cesse de creuser le motif de l’équivoque, de l’imposture et du malentendu pour explorer le fonctionnement ambigu d’une famille bien singulière. La comédie donne le ton  pour prendre avec une distance amusée les questions sérieuses du lien familial.

Soit une unité de lieu : le zoo. Le spectateur accepte d’emblée cette bizarrerie d’un parc animalier dans le prolongement d’une demeure familiale, à la fois chambre d’écho d’une bestialité à peine refoulée et échappatoire au lieu fermé de la maison. La contiguïté des espaces intérieur et extérieur doit considérée comme l’avers et le revers d’une même médaille. Il est aussi question de trous dans le grillage, de bêtes qui passent les barrières de la maison et d’humains qui se retrouvent encagés. Soit une unité d’action tendue vers un seul but : la réunion de tous pour le mariage du père de Gaspard. Max (Johan Heldenberg) veut sceller son union avec Peggy (Marina Foïs), seulement, le beau cavaleur n’a pas l’assentiment de la vétérinaire échaudée. La gestion du zoo et de la demeure posent par ailleurs des problèmes financiers que seul l’aîné, Virgil (Guillaume Gouix), semble avoir anticipés. En fils responsable, il endosse toutes les difficultés, là où son frère a eu tôt fait de décamper. Enfin, la benjamine Coline (Christa Théret) vit étrangement comme une ourse, blottie sous les feuillages d’un arbre et revêtue d’une peau de bête. Au-delà de sa liberté affichée, gain de l’héritage de Mai-68, tout ce petit monde bien fantasque questionne les frontières de l’humanité. Que sont les liens qui nous retiennent de la bestialité, quand on vit les uns avec (ou contre, tout contre) les autres ?

 

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Ainsi, se révèlent les significations les plus ambivalentes du film. La limite est ténue entre la comédie déjantée et dégénérée, les caractères loufoques masquant à peine la confusion des places familiales. Le zoo est une image de la menace qui pèse sur la civilisation en même temps qu’une représentation de nos pulsions qui, si elles ne sont pas bien domestiquées, dévoilent leur caractère mortifère. En effet, s’il est question de tourisme d’attraction, on ne voit jamais les visiteurs. Toute l’intrigue est concentrée sur le fonctionnement de la famille. La mère (Elodie Bouchez) en est la grande absente, tuée qu’elle fut par un tigre. Elle est représentée par des photos et des souvenirs filmiques surannés qui nous renvoient à un passé lointain, non entaché, quasi-édénique. Chaque membre de la famille donne une version horrifique de ce trauma, qui ne cesse de terroriser Laura, l’étrangère et la rivale de Coline, la seule à même d’insuffler un vent nouveau. Car la mort plane telle une ombre malfaisante sur le domaine : des animaux du zoo sont tués par des bêtes sauvages. L’instinct de vie et de survie peine à dissimuler la haine refoulée, qui surgit çà et là dans des moments de drame. On comprend alors que si Gaspard a tenu à venir accompagné d’une petite amie, c’est pour se protéger contre le pouvoir engloutissant des membres de cette famille si unis qu’on s’interroge vraiment sur la nature des liens.

 

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Si l’inceste est un non-dit, il n’en est pas moins prégnant et déborde l’allégorie du zoo. On le cerne dans la nudité des personnages, leur affranchissement de toute pudeur, et notamment dans la façon dont le film investit le motif de la peau. La peau réagit, elle sent mauvais, elle est marquée. Volontaire ou non, cette insistance est si bien dissimulée qu’elle pourrait passer inaperçue. La peau de Max desquame, elle est irritée et eczémateuse en réaction à l’annulation de son mariage. La peau de bête de Coline la cache du regard de ses frères et de son père en même temps qu’elle lui colle une odeur nauséabonde et la rattache à une sous-humanité infra-verbale, qui grogne et se nourrit de racines crues. La peau de la fiancée de Virgil est dissimulée sous des tatouages post-punks. Et chacun se met à nu et se couvre ainsi, donnant lieu à de très belles scènes de dévoration charnelle : par les poissons (la piscine où le père soigne son eczéma), par les baisers, par les regards. D’une part, ces marques symbolisent le refoulé qui fait retour sous forme de symptôme, dont on tente de se débarrasser ; d’autre part, elles revêtent la forme de traces indélébiles et révèlent la peau comme un parchemin qui tient lieu de mémoire, à la place des mots. Voilà pour la part sérieuse de la comédie, qui n’en offre pas moins des scènes de complicité jubilatoire, une libération des corps dans la danse et l’amour, en compensation.

 

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Explorant déjà le thème des relations troubles dans Happy Few, Antony Cordier déplace ici la tentation endogamique dans des scènes qui ne boudent pas leur sensualité. Scènes de baignade, de tatouage et scènes culinaires ne sont pas sans rappeler l’emprise des sens, à la manière d’un Peter Greenaway (Le cuisinier, le voleur, sa femme et l’amant, The Pillow Book). Il y a même un peu de Tsai Ming-liang (La Saveur de la pastèque) dans une scène d’excitation torride au milieu des pelures de compost. Tout ce matériau charnel, déchets de peaux humaines, animales ou végétales, qui coexiste avec des scènes sexuelles plus explicites, fait la singularité de cette comédie, qui s’ouvre sur une sortie d’un univers familial en vase clos. S’il se termine sur un happy end convenu, Gaspard va au mariage n’en est pas moins plus profond qu’il n’y paraît, par son audace et son traitement habile des liens tabous.

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A propos de Miriem MÉGHAÏZEROU

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