Avant même que le titre s’inscrive à l’écran, les premiers plans nous livrent la fin du film dont il est dit qu’on n’en connaîtra jamais le début, l’origine de l’errance de Blaise et Nessa que nous allons suivre en déclinant tous les mots en « dé » : désintox, déliquescence, dérive, déambulation, dépression. Sans un gramme de pathos ou de sentimentalisme, selon un art de l’ellipse porté à son plus haut point, qui nous laisse en apnée, captifs de chaque plan et forcément loin des conventions de la narration.
Poser enfin la caméra.
Son désir était de « poser la caméra à un endroit ». Ashley McKenzie, la réalisatrice donne ainsi la clef du premier parti pris de Werewolf qui est également son premier long-métrage : des plans étonnamment recadrés, comme attrapés, saisis par une caméra souvent fixe et laissant tout un chacun apparaître et disparaître dans le champ selon une apparente géométrie du hasard et du furtif. Ce style aussi éthéré qu’exacerbé affranchit le regard porté par la caméra de toute intentionnalité, nous affranchissant à notre tour de la tâche de décrypter ces intentions. Dans Werewolf, il s’agit avant tout d’être et d’être là, afin peut-être de mieux être avec, sans jugement, sans analyse, comme ce cordage qui danse dans le vent du tout premier plan.
Ellipse, boucle, enfermement.
Elle, c’est Nessa, 19 ans à peine, Vanessa en réalité, comme une Nessa qui ne va plus, ou pas bien, ou pas loin, avec son compagnon Blaise, plus âgé. Chaque jour, ils se rendent à un rendez-vous pour recevoir leur dose de méthadone délivrée par un personnel soignant plutôt impersonnel puisqu’il restera soigneusement hors-champ en se contentant d’une voix blanche. Chaque jour, ils déambulent en poussant devant eux non pas une poussette, mais une tondeuse à gazon leur permettant de monnayer de menus services à une population diversement accueillante. Et chaque jour, ils cherchent un endroit où dormir. Dans ce film tourné sur une île canadienne, la figure de l’ellipse rejoint celle de la boucle ; l’enfermement psychologique des personnages principaux doublé par celui de leur addiction, souligné par la rareté des dialogues et l’absence de personnages secondaires nous fait vivre au plus près leur être-là sans raison, le quotidien vide de sens qui semble celui de la désaccoutumance, imposant un rythme hypnotique et vertigineux. Chaque jour, tenir. Respecter le contrat du programme qui voit à un moment Nessa accéder à plus d’autonomie et disposer d’une cassette fermée à clef contenant les précieuses doses qu’elle va pouvoir emporter avec elle.
Le principe d’un contrat est qu’il peut être tenu ou rompu, et engage l’entourage, quand il ne le met pas à l’épreuve, faisant éclater les déséquilibres et les non-dits de la relation. Tenir un contrat suppose ainsi de tenir autant l’un à l’autre. Raison pour laquelle la désintoxication en couple rencontre plus facilement l’échec. Ce moment de basculement interne du film se trouve à peine signifié ou capté, dans un silence des émotions et des sens nous transmettant la sidération de cette transformation qui donne son sens au titre Werewolf, loup-garou. Rien de tel qu’une addiction pour faire surgir le loup que l’on porte en soi. Contrat rompu, lien rompu, corde qui danse dans le vent.
Ne rien juger pour tout comprendre.
Respectant magistralement son mouvement elliptique du début à la fin du film, Werewolf nous maintient dans une essentialité du propos aussi butée et indépassable que le profil de Nessa, si attachante à force de ne jamais chercher à attacher. Cette essentialité donne son aspérité à chaque scène, la détachant comme un pur tableau, aidée en cela par des sons captés de l’intérieur d’un bunker et une lumière très travaillée : « Je voulais une lumière qui exprime une pâleur maladive. Qu’elle soit grise et translucide » signale la réalisatrice canadienne*.
Dans son interview du 16 février 2017 par Xavier Leherpeur sur France Culture, Ashley McKenzie explicite sa démarche : mener « une exploration plutôt qu’un message, une dénonciation des institutions ». Rarement une esthétique aura autant et aussi admirablement servi l’éthique personnelle d’une réalisatrice, également scénariste, productrice et monteuse.
* Dossier de presse.
Réalisation et scénario ASHLEY MCKENZIE
Image SCOTT MOORE
Son ANDREAS MENDRITZKI
Montage ASHLEY MCKENZIE assistée de STEVEN WILTON
Direction artistique STEVE WADDEN, JESSE STEWART
Musique YOUTH HAUNTS
1h18 – CANADA – 2016
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