Dans un futur beaucoup trop proche, Aude-Léa Rapin imagine avec Planète B une dystopie, fortement ancrée dans une réalité déjà contemporaine. En effet, tout est dès à présent là : la surveillance généralisée, en passant par la répression des activistes écologistes, la chasse aux immigrés… Seuls quelques éléments techniques – transhumanistes – demeurent encore, pour un instant, propres à la science-fiction, tels que les lentilles dotées d’un QR code par exemple.
En cela, Planète B est un vrai film de SF qui, par la cohérence graphique de son univers, fera taire les tristes sires toujours prompts à dénigrer les productions hexagonales au profit de films, généralement américains, très chers, très propres et peut-être aussi… très vides.
S’il est vrai que depuis le boum de la CGI et leur démocratisation dans les années 2000, la qualité des effets numériques n’est plus un argument pour aller voir un film, il est malgré tout appréciable que des auteurs mettent tout en œuvre pour que l’aspect visuel soit soigné et cohérent, au service de l’histoire qu’ils veulent raconter.
La réalisatrice embrasse sans restriction le genre du cyberpunk avec Grenoble comme décor, non sans une pointe d’humour. Il est en effet amusant de constater la façon dont une certaine identité de la ville (aussi surnommée «Chicagre») est ici, l’air de rien, exploitée du fait d’une actualité récente sur fond de violence d’une part, mais aussi de son histoire.
Sans pour autant remonter à la Révolution et à la fameuse journée des Tuileries, c’est au début des années 2000 qu’une vague de contestation avait conduit des mouvements étudiants – non-violents et écologistes – à défendre de vénérables arbres du centre-ville, lesquels finirent bien sûr par être abattus. Toutefois, les images des manifestants accrochés dans des cabanes sylvestres sont restées.
Au-delà des questions d’activisme, le film se perd malheureusement dans sa volonté d’embrasser trop de sujets. En effet, celui-ci pourrait lorgner tout à la fois vers un roman de Pierre Bordage, avec le sujet des migrations aux portes de l’Europe, traité dans Wang entre-autres, ou peut-être l’exploration de la réalité virtuelle d’Existenz (1999, David Cronenberg), voire d’Avalon (2001, Mamoru Oshii) ou encore du drame social à tendance naturaliste.
Ainsi le long-métrage donne parfois l’impression de se chercher une identité et semble hésiter lorsqu’il se confronte à ses propres limites. S’il est entendu que beaucoup de sujets peuvent être connectés (l’état policier, les migrants, l’activisme écologiste, la surveillance généralisée…), le film pêche par instant en étant davantage une sorte de catalogue d’angoisses. Dans sa volonté (certes louable) de vouloir faire état d’un ensemble de dérives bien actuelles, Aude-Léa Rapin manque peut-être l’essentiel, c’est-à-dire raconter cette histoire.
Car deux arcs s’entremêlent dans Planète B : celui lié à une activiste piégée dans une simulation VR (réalité virtuelle) de la fameuse “Planète B”, et celui montrant une migrante Irakienne clandestine. Deux films sont donc donnés à voir : l’un a des allures de drame carcéral orwellien tandis que l’autre lorgne du côté du thriller parano, avec une composante sociale.
Julia Bomparth (Adèle Exarchopoulos) se retrouve donc enfermée sur la Planète B – une sorte d’hôtel dans un cadre idyllique de bord de mer – en compagnie d’autres prisonniers. Il s’agit là de réalité augmentée, qui se révèle être en fait une prison virtuelle dans laquelle les détenus ne peuvent se soustraire à une torture psychologique répétée. Chaque détenu subit des cauchemars sur-mesure et incessants, à l’image de ce qui se déroule dans la “room 101” de 1984.
Dans le monde réel, Nour (magnifique Souheila Yacoub) est une réfugiée arrivée d’Irak qui cherche un moyen de prolonger un QR code, un sésame lui permettant de rester sur le territoire et de travailler.
A ces deux personnages, Aude-Léa Rapin donne à voir un monde truffé de drones, de scans, de contrôles et de désinformation. A noter d’ailleurs que l’organisation fictive « la ® » décrite dans le film rappelle bien sûr les actuels Soulèvements de la Terre. Finalement, si le seul espace de liberté reste – disons – l’esprit, alors la réalité virtuelle de la “Planète B” permet de totalement violer celui-ci. En cela, le film n’est plus si orwellien, car ce n’est pas la pensée en soit qui est ciblée, mais un espace qui relèverait peut-être davantage de l’inconscient et de la psychologie.
D’ailleurs, par son dispositif trop parfait, et ce malgré plein de trouvailles intéressantes (par exemple l’hôtel se révèle protéiforme et adapte sa structure en fonction des détenus), le dispositif de la “Planète B” fait long feu par ses limites. Très vite d’ailleurs, les enjeux des relations entre les détenus s’effondrent.
Si le résultat est généreux dans sa proposition et son respect du genre, ce long-métrage a du mal à éviter quelques écueils. Pourtant, là où les précédentes œuvres citées plus haut traitant de la réalité virtuelle ne s’intéressent qu’à cette technologie sur l’angle du jeu vidéo et ses dérives, Planète B parvient à se distinguer de ses aînés en abordant un aspect carcéral, qui n’avait pas vraiment été abordé de cette manière jusqu’alors.
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