Audrey Dana – « Sous les Jupes des filles »

Premier long-métrage de l’actrice Audrey Dana, Sous les jupes des filles crée la surprise. Envisagé comme un éventuel produit marketing,  son audace et son tonus emportent comme une bourrasque nos attentes circonspectes. Audrey Dana fait souffler un vent nouveau dans le paysage sinistré de la comédie française, réussissant  un film qui pourrait prétendre au futur statut de comédie française culte comme le fut Le Père Noël est une ordure en son temps, l’offensive féminine, voire féministe, en plus.

 

Avouons-le : au départ, nous y allions pour des raisons de midinette : les beaux yeux d’Adjani et  de Paradis, avec des préjugés de cinéphile pointilleux, alimentés par un titre trivial qui ne fait pas envie ou alors de façon de façon trop évidente, une affiche « all stars » (pas moins de onze vedettes féminines) ce qui ne l’empêche pas d’être cheap dans son design et un pitch qui a l’air d’être sponsorisé par Always ou Tampax : « Les 28 premiers jours de printemps, les cycles menstruels, onze femmes… »Dès le générique, notre machine critique est mise à mal par une animation assez sophistiquée et gonflée mettant en parallèle le ciel et les règles qui se disent en anglais « female trouble «, or, c’est de ça qu’il va s’agir pendant 114 mn qui vont défiler vitesse grand V.
Soutenue par la justesse des personnages, et de leurs dialogues une série de scènes hilarantes  nous permet de rire parfois gras, mais toujours intelligemment.
Le trio de scénaristes : Murielle Magellan, Raphaëlle Desplechins et Audrey Dana s’en est donné à cœur joie, en écrivant un scénario non pas misandre, sur un mode » tous-des-salauds », mais un panorama tout feu tout flamme des femmes dans tous leurs états. Les hommes ne sont ni sujets à vendetta, ni potiches, juste en retrait par rapport à ces « femmes au bord de la crise de nerfs » pour paraphraser Almodovar dont Dana n’a pas (encore) l’élégance mais, l’énergie baroque et contagieuse. On est ravis de découvrir que Sous les jupes… n’est ni un faux docu-fiction hystéro à la Maïwenn, ni un film a sketches, mais un film choral futé, dont la dramaturgie  est habilement tissée. A ce titre, une des scènes finales où l’armada féminin se trouve enfin réuni, est très payante. Le spectateur a frayé avec ces héroïnes au point de se réjouir de leurs rencontres ; jusque là, Dana and co avait astucieusement distillé hasards et recoupements entre les onze personnages principaux. Onze femmes, très différentes, dont le truculent point commun est d’être dysfonctionnelles. Joyeux éloge du grain de folie, Sous les Jupes…, nous offre quelques morceaux de bravoure, tels cette séquence où une Sylvie Testud-testostéronée comme jamais se voit agressée, lorsqu’un passant lambda la scrute vaguement et dégaine comme une guerrière sa bombe lachrymo ; faute au vent, c’est elle qu’elle neutralise ! Elle s’exaspère «  J’en peux plus de moi ! »

  

Certes, la musique est mainstream à souhait, pop FM ; la scène finale dont l’intention réjouit, n’est pas d’une grâce inouïe, quelques vannes frisent la vulgarité, mais ce sont d’infimes détails au regard du plaisir que le film procure  quasiment de bout en bout. Du casting à priori très « bankable », il n’y a rien à redire, offrant au passage quelques jubilatoires contre-emploi à des stars, comme Vanessa Paradis, excellente, dans le rôle de Rose, une executive « control freak » qui tyrannise suavement sa stagiaire à coups de caprices (les bougies Baobab à la cannelle  retrouver ses « amies », elle qui est haïe depuis la maternelle…). Laetitia Casta est épatante en émotive qui somatise. Coachée par son amie sexologue ou psychologue (Dana, ad hoc dans un rôle hilarant où elle confirme l’adage « les cordonniers sont les plus mal chaussés »), Casta panique : alors qu’elle a rencontré un procureur séduisant qui  l’attirait, elle s’est enfuie. Car,   plutôt que de ressembler à des ondulations affolantes et des oeillades sexy, son « body language » relève des flatulences,  rougeurs et allergies !… Parfois, le film s’apparente à une « philosophie Facebook » avec son lot d’adages tels «  Les filles, c’est comme les yaourts, quand ça arrive à péremption, ça gonfle ! » ; mais il ménage d’autres moments, plus mélancoliques et introspectifs, comme en témoigne la belle séquence Lavoine-Adjani. On se réjouit de voir Adjani -en surchauffe pendant tout le film- se poser et  parler sincèrement. Gonflée et malicieuse, Dana  lui a attribué le rôle d’une patronne de marques de lingerie, abusive et charismatique, se défendant outrancièrement de  la ménopause, trichant de façon éhontée sur son âge, allant jusqu’à dire à son ado de fille qui   vient de coucher avec son petit ami : « Pour moi, tu auras toujours huit ans» ! Audrey Dana explose les conventions, les attentes des spectateurs avec une audace galvanisante et surprenante. Elle joint à un plan de carte postale parisienne, type coucher de soleil sur la Tour Eiffel, un texto ultra-trivial ; donne des rôles « dits d’hommes » à des femmes surjouant les hommes, mais peinant à être femmes ; ainsi, on se régale du tandem bancal formé par Alice Taglioni, dans le rôle d’une Don Juane et Géraldine Nakache, d’une femme au foyer, débordée par la tentation gay.Ce qui a d’emballant dans le film d’Audrey Dana c’est qu’il ne ressemble à aucun autre ; certes, en allant vite, on pourrait dire l’équipe du Splendid  rencontre  les Frères Farelly et croque des tapas avec Almodovar, mais il y a une telle liberté de ton, de genres, que Sous les jupes… échappe à toute classification.
Plus encore que des « femmes libérées », Dana invente un genre de « film libéré », affranchi d’un tas de code narratifs et cinématographiques. A force de tordre le cou aux conventions, on espère que Sous les jupes va ouvrir des portes à un cinéma plus libre, plus fou, plus féminin.
 Suite à la projection des "Infidèles "   Dana a relevé que la comédie française se place la plupart du temps du côté des hommes, les femme y étant réduites à des rôles de faire-valoir. C’est suite à ce constat qu’elle a voulu réaliser "une comédie de femmes", pour les femmes. Mais, sa comédie va au-delà car,  comme dirait l’icône Genesis P-Orridge, leader de Throbbing Gristle et Psychic TV, devenu mi-femme, mi-homme (pandrogyne dixit l’intéressé(e) ) : «  Il n’y pas de genres ». En ce sens, Sous les Jupes des filles en est l’application cinématographique, concrète, audacieuse, populaire sans jamais être populiste, un peu triviale et beaucoup réjouissante.

S L J D F est  un film à la fois girly, pétillant, couillu, plein d‘une énergie transcendant les genres –cinématographiques, masculin-féminin. Une comédie qui, on le souhaite, fera date. Une mini insurrection en soi contre les diktats de la bien-pensance et de ce que doit être –ou pas- un film d’auteur. Un putsch bousculant et redistribuant de façon cathartique et drolatique les rôles et les genres.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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